Loiuis Guédet
Mardi 23 février 1915
164ème et 162ème jours de bataille et de bombardement
9h1/4 soir Journée calme, quelques bombes, mais on n’y fait pas attention. Bonne journée, occupée. Je suis allé à la Ville (Mairie) pour fixer une séance d’allocation comme juge de Paix. Entendu pour le jeudi 29 à 9h, ce ne sera pas long m’a-t-on dit. Après-midi à 1h assisté jusqu’à 4h1/2 à l’audience de simple police du 3ème canton que je puis être appelé à présider le cas échéant, qui se trouvait dans les cryptes du Palais de Justice. On se serait cru au Moyen-âge, le canon en plus. Toute la bande de malheureux, les uns intéressants, les autres non, des tristes, des drôles, des brutes. Une affaire entre autres m’a amusé. Une femme, à bonne langue je vous prie de le croire, avait eu l’idée assez drôle en passant dans la rue de passer la main sur la pilosité d’un nommé Furet qui causait avec 2 militaires et de le traiter de : Lagardère ! D’où échange de propos aigres-doux qui du reste allaient jusqu’aux coups. Scène devant le juge assez drôle de tous ces gens, sous la coupole de cette crypte moyenâgeuse, inculpés, prévenus, témoins, etc… et le public se disputant, s’interpellant, s’injuriant. Bref, condamnation de la coupable qui avait voulu trop caresser l’épine dorsale tortueuse de Furet à 2 Fr d’amende. Alors, dans un mouvement de protestation, la condamnée de s’écrier : « Mais M’sieur le juge, il (le coupable) n’a qu’une bosse, ce n’est pas juste, ce ne devrait être que 20 sous !! Rire général et le canon tonnait comme il tonne en ce moment.
Notre martyre cessera-t-il enfin !!
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Paul Hess
Sitôt levé, j’inspecte les décombres de la cour, rue Bonhomme, parmi lesquels je retrouve les quatre parties dispersées d’un petit fourneau à alcool, déjà remonté de ma cave effondrée rue de la Grue 7, après les incendies du 19 septembre 1914. Quoique sérieusement endommagés, ces débris assemblés reconstituent complètement l’ustensile, qui pourra resservir à faire chauffer, chaque matin, mon déjeuner, dans une casserole ramassée d’un autre côté, fortement bosselée, mais qui malgré cela reste encore également utilisable.
– Ce matin, la curiosité me poussant, je quitte la maison de bonne heure car je voudrais, tout en allant au bureau, avoir un aperçu des dégâts occasionnés en ville par l’épouvantable bombardement de la nuit du 21 au 22 février et, en faisant une assez longue promenade, je puis me rendre compte qu’ils sont véritablement effroyables, ce n’est pas trop dire.
Place d’Erlon, la maison n°39 d’abord, puis celles comprises avec le n° 59 dans la largeur de trois arcades, sont entièrement abattues, de toue leur hauteur – contenant et contenu ; elles ne présentent à la vue, du fait de l’explosion de « gros calibres », que l’horreur d’une salade indéfinissable, dans laquelle tout ce qu’elles pouvaient renfermer – mobiliers, ustensiles – a été brutalement mélangé aux ruines des constructions disloquées, aussi bien planchers des différents étages, que charpente et escaliers.
Rue des Poissonniers, l’immeuble n°6 est démoli en grande partie. Rue Jeanne-d’Arc, plusieurs maisons ouvertes par le haut, n’ont plus, au-dessus du premier étage qu’un amoncellement semblable à ce qui existe ailleurs.
Ici, dans une maison écroulée, au mur de la façade dégringolé, on voit un fourneau de cuisine resté seul intact, dans un angle du fond, comme suspendu sur un bout de plancher, à hauteur du 2e étage. Là, une cheminée supportant une pendule et quelques tableaux encore accrochés à un mur, sont tout ce qui est demeuré sur place, quand tout le reste, matériaux et mobilier est en tas.
Mais le n°31 de la rue Clovis offre, sans conteste, l’aspect le plus bizarre, dans ce qu’il m’est permis de voir au cours de cette tournée. La maison s’est effondrée complètement sur elle-même, avec toute sa structure et l’ameublement des appartements. L’ensemble est recouvert, à un mètre cinquante à peine du sol, par la toiture demeurée entière, à laquelle sont restées attachées la plupart des ardoises. Je m’arrête un instant parce que j’aperçois derrière le pan de mur encore debout, sur rue, un piano dont c’était sans doute la place, au rez-de-chaussée. Comment n’a-t-il pas été écrasé ? Il paraît intact dans ce chaos ; sa partie haute dépasse ce qui subsiste de la maçonnerie et je pourrais la toucher en passant mon bras sous le toit. Curieux et terribles effets d’un 210, là aussi.
Les incendies allumés sur bien des ponts, en cette nuit tragique, ne semblent pas s’être propagés comme le 19 septembre 1914 et les jours suivants. Cette fois, ils ont dû être localisés. Il est à remarquer que bon nombre d’incendiaires dont les traces ont été reconnues, parmi la grande quantité d’obus tirés sur Reims, n’ont pas ajouté les ravages du feu aux dégâts du projectile.
La cathédrale, pendant cet accès de rage de l’ennemi, qui a duré près de six longues heures, a été de nouveau gravement mutilée. Sa voûte est crevée, la tour nord a été attente à mi-hauteur et l’abside encore abîmée ainsi que différentes parties du pourtour.
Les Rémois s’accordent à dire que les Allemands ont procédé à leur œuvre de destruction par un tir convergent, en bombardant de diverses directions.
Lorsque les projectiles sillonnaient l’espace, j’ai eu la sensation, par leurs sifflements provenant de sens très différents, souvent opposés, que des pièces de tous calibres devaient tirer – ainsi que nous les avions entendues déjà bien souvent – du côté de Brimont, de Fresne, comme de Witry, Berru ou Nogent et encore d’endroits éloignés situés plus au sud-est de notre ville et, c’est en somme l’avis général, sur cette triste séance, pendant laquelle notre artillerie ne s’est guère fait entendre.
– Le bombardement a continué encore aujourd’hui.
Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos
Cardinal Luçon
Mardi 23 – J’assiste, sur l’invitation – par envoi – d’un aumônier du Général Rouquerol – à l’enterrement d’un Lieutenant-Colonel d’artillerie, d’un Lieutenant d’artillerie, d’un gendarme, à la Haubette.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. Travaux de l’Académie Nationale de Reims
Eugène Chausson
23/2 Mardi – Temps gris, toute la journée et la nuit, bombes de temps à autre.
Carnet d'Eugène Chausson durant la guerre de 1914-1918
Voir ce beau carnet sur le site de sa petite-fille Marie-Lise Rochoy
Mardi 23 février
Un zeppelin a bombardé Calais. Il a lancé dix bombes et tué cinq civils. Nos batteries ont démoli une pièce lourde installée à Lombaertzyde; nous dispersons des rassemblements entre Lys et Aisne. Les Allemands ont jeté de nouveau des obus sur Reims, qui a souffert. Sur le front Souain-Beauséjour, nous réalisons des progrès, enlevons des tranchées et des bois, et repoussons des contre-attaques. Nous avons fait à l’ennemi de nombreux prisonniers et lui avons infligé de grosses pertes. Notre infanterie et notre artillerie ont pris l’avantage en divers points dans l’Argonne. Nous consolidons nos progrès aux bois de Cheppy, entre Argonne et Meuse, comme aux Eparges (sud de Verdun), où nous avons enlevé la majeure partie des positions ennemies.
En Alsace, où des colonnes allemandes remontant les deux rives de la Fecht (près de Munster) avaient repoussé nos avant-postes, nous avons repris l’offensive et infligé a l’ennemi des pertes considérables.
Un vapeur américain a été coulé par une mine, à proximité de la côte allemande. Le gouvernement des États-Unis a prescrit une enquête.
Le bulletin de l’état-major russe explique la retraite des corps qui opéraient en Prusse orientale et qui maintenant sont à leur poste le long de la ligne fortifiée de Pologne.
Un conflit a éclaté à Constantinople, entre Enver bey et Talaat bey.
Le journal Giolittien de Turin, la Stampa, envisage la possibilité de moyens extrêmes pour réaliser les aspirations nationales de l’Italie.