Abbé Rémi Thinot

8 NOVEMBRE – dimanche –

Un obus hier chez le Marquis de Polignac… Rue de Tambour, le célèbre Pingot a toutes ses vitres défoncées. « Vous êtes nettoyé », lui dis-je en passant… « – Oui, c’était vers 9 heures ; je prenais un verre au comptoir ; j’ai failli mourir en vrai bistro… mais les verres, je m’en f… Du moment que ma femme reste. C’est que si je n’avais plus ma femme, je serais sac…ent emm… dé ! Tiens – à sa femme – tu partiras avec Mme Richard. Il y a encore assez de femmes à Reims » Textuel ! quelle mentalité, Quel gâchis moral !

(une page déchirée)

A propos du poste d’observation les 14 et 15 sur la cathédrale, discussion entre le général et son chef d’état-major. Celui-ci prétend que ce n’est pas avoir établi un poste d’observation que le fait, pour des officiers, d’être montés là-haut, d’autant qu’ils ne se sont nullement occupés du tir des batteries… Le général prétend au contraire que c’était là un poste d’observation, mais qu’à partir du mardi 15, les allemands ne pouvaient plus invoquer rien de semblable.

Extrait des notes de guerre de l'abbé Rémi Thinot. [1874-1915] tapuscrit de 194 pages prêté à ReimsAvant en 2017 pour numérisation et diffusion par Gilles Carré.

Louis Guédet

Dimanche 8 novembre 1914

57ème et 55ème jours de bataille et de bombardement

6h soir  Journée calme et grise. Qu’aurons-nous ce soir ? Serons-nous tranquilles ? Quelle angoisse ! Quand arrive la nuit et que l’on est obligé de se demander ce qui va arriver ?!! Mon Dieu, ayez pitié de notre misère !

Aujourd’hui j’ai reçu une lettre de ma chère femme et de Marie-Louise. J’ai employé une partie de mon après-midi à préparer les linges, vêtements, etc… qu’elles me demandent de leur envoyer ! En prenant, cherchant, rangeant tous ces chers objets, j’avais le cœur serré. Je pleurais malgré moi. Mes chers aimés, vous ne savez pas ce que j’ai souffert en faisant cela ! J’ai si peu de courage maintenant !! Je n’y survivrai pas, je crois !

8h20 soir  C’est extraordinaire comme la vie, l’espoir, le désir de ne plus souffrir vous retient.

Ainsi hier soir à 8h10 je descendais à la cave. Et de ce moment je suis désemparé, désespéré.

Et en ce moment je me reprends à espérer et à… arriver à revivre ! Quel champ d’études, d’expériences, de remarques pour un psychologue, pour un analyste !! On est comme un misérable, un condamné à mort qui attend l’exécution de sa sentence, avec cette différence que la sanction n’a pas été rendue, jusqu’à décréter que malgré tout on est sous le coup de la mort qui peut arriver… brutale, nette, sans prévenance, sans jugement, en ce moment !!

Un obus qui siffle… déraille… l’éclat et… la sentence est rendue ! Voilà ma vie… la vie de nous tous rémois restés à leur poste… depuis 55 jours ! N’y a-t-il pas de quoi devenir fou ? Et malgré tout… l’espoir de vivre, de survivre à ces heures tragiques… me reprend malgré moi ! Que la puissance de vivre, de vouloir vivre est formidable !! Elle est toujours « Vainqueur ».

Le demi-feuillet suivant a été découpé.

8h37 soir  Voilà le canon qui regronde !! Attendons la réponse du berger à la bergère !! Pourvu que ce ne soit pas sur nous, pauvres hères ! qui n’en pouvons mais !

11h20  Effroyable fusillade et canonnade. J’en suis réveillé en sursaut !! Mon Dieu, ayez pitié de nous !

J’entends les cris des combattants et les « Hourras » de l’ennemi !!

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

8 novembre – Journée calme.

M. Viviani, Président du Conseil des ministres, vient dans la matinée à l’hôtel de ville, remettre à M. le Dr Langlet, maire, la croix de chevalier de la Légion d’Honneur.

– Comme suite au compte-rendu de la séance du conseil municipal donné hier, Le Courrier ajoute ceci, aujourd’hui :

Conseil municipal.

Au début de la séance de jeudi, tont nous avons donné le compte-rendu, un incident assez vif s’est produit.

L’Éclaireur de l’Est le relate en ces termes :

Comme M. Lelarge s’étonnait de la présence au conseil de M. Lesourd, adjoint au maire et sous-directeur de l’École professionnelle, et de M. Tixier, conseiller municipal et conseiller d’arrondissement, qui firent une assez longue absence tout récemment, M. Lesourd prétexta que des raisons familiales l’avaient déterminé à quitter Reims.

M. le maire, dans un langage très digne, rétablit les faits à leur exacte proportion et, en attendant la sanction administrative, on passa à l’ordre du jour.

– Canonnade terrible le soir et bombardement.

 Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Messe à 10 h pour les Fondations confisquées à la rue du Couchant.

Lettre au Saint-Père ; envoi d’un Rapport sur l’incendie de la Cathédrale et le sauvetage des blessés allemands. On apprend la mort du Capitaine Rigaud,(1) tué à Mametz.

Combats violents autour de Reims. Sans bombes sur la ville.

 Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. Travaux de l’Académie Nationale de Reims

(1) 28 septembre 1914 (JMO du 37er RI)


Paul Dupuy

Le courrier apporte deux cartes de Marcel des 29 8bre et 1er 8bre qui n’apprennent rien ; il va bien, c’est le principal.

Puis lettres J. D. (5 9bre) et Marie-Thérèse (6 9bre) donnant de tous des nouvelles satisfaisantes.

Du déjeuner de midi, Mme Jacquesson nous assure que la bataille s’est déroulée une grande partie de la nuit dans les directions de Witry et de Cernay, l’obligeant à se retirer à la cave ; consécutivement, c’est la 5e séance de la semaine qu’elle subit ainsi sans se déshabiller.

Un temps brumeux fait de ce dimanche un jour triste à l’excès en fin duquel on voudrait pourtant pouvoir ne pas aller coucher de crainte des surprises de la nuit.

Paul Dupuy - Document familial issu de la famille Dupuis-Pérardel-Lescaillon. Marie-Thérèse Pérardel, femme d'André Pérardel, est la fille de Paul Dupuis. Ce témoignage concerne la période du 1er septembre au 21 novembre 1914.

Source : site de la Ville de Reims, archives municipales et communautaires

Rue du Couchant
Rue du Couchant

Dimanche 8 novembre

Les engagements en Flandre, comme partout d’ailleurs, demeurent à l’avantage des alliés.
Sur l’Aisne, près de Vailly, nous avons reconquis tout le terrain précédemment cédé. Dans l’Argonne et dans les Hauts-de-Meuse, les tentatives ennemies ont totalement échoué. Les communiqués anglais et belges sont très réconfortants et le bulletin belge spécialement annonce la retraite d’une partie des forces allemandes dans la direction de Bruxelles.
L’Angleterre publie maintenant un récit officiel du combat naval dans les eaux chiliennes, combat qui, malheureusement, ne lui a pas été favorable.
Mais cet échec est peu de chose à côté de la défaite ou mieux du désastre que les Russes ont infligé aux Austro-Hongrois en Galicie. Les armées de François-Joseph décimées, et qui ont laissé des milliers et des milliers de prisonniers, ont été rejetées sur les Carpates, et coupées des armées allemandes, la route de Cracovie et de la haute Wartha est désormais libre pour nos alliés.
La flotte russe qui opère dans la mer Noire a bombardé Songouldak et détruit plusieurs transports ottomans qui portaient des hommes, des vivres et des munitions.
Les troupes du tsar dans le Caucase ont complètement dispersé les régiments turcs et kurdes qui leur étaient opposés.
L’armée japonaise s’est emparée de l’arsenal de Tsing-Tao,aprés six semaines d’investissement. C’est un lourd échec pour l’orgueil de Guillaume II, qui se flattait de créer un empire germanique d’Extrême-Orient, en face du Japon.
L’état-major suisse dément le bruit d’après lequel l’Allemagne aurait demandé le libre passage de ses troupes à travers le district de Porrentruy

Source : La Grande Guerre au jour le jour