Abbé Rémi Thinot
12 NOVEMBRE – jeudi –
4 heures 1/2 soir ; C’était mon tour aujourd’hui ; j’ai ma bombe, un Shrapnell à l’angle de ma chambre à plaques et dans le mur qui la sépare de ma chambre à coucher ; ma bibliothèque est dévastée, mon lit saccagé, toute ma chambre à coucher bouleversée ; mon réveil était à terre, poursuivant son tic tac consciencieux…
Il était 1 heure moins un quart ; Launois, que j’avais envoyé prendre mon appareil resté à la cathédrale, me dit que dans la cour sud-est, il a vu des pierres récemment tombées… j’y vais.
Les obus sifflaient ; dès l’entrée de la rue du Cloître, je vois le malheur et j’en suis très impressionné. C’est un contrefort de l’abside qui a reçu le projectile. Exactement au niveau de la tête de l’Ange, tout est saccagé ; colonnes supportant le pinacle, moulures, fleurons, la tête, le buste, les ailes de l’ange. Et tout autour, une auréole satanique ; le flux noir et blanc de la déflagration.
J’entre dans la cathédrale ; des éclatements s’étaient fait entendre dans le voisinage. Nous avancions dans le croisillon… zzziii… pan ! Devant nous, à droite de l’autel, coté épitre, un jaillissement de fumée, suivi d’un cliquetis de pierres agitées. Un obus dans la cathédrale ! Dans la cathédrale ! Là, presque sur l’autel, Sacrilège ! Un instant, j’ai cru que l’autel était renversé… J’envoie Launois me chercher mon appareil… Je fais la photo, renvoie Launois chercher un nouveau châssis et prévenir M. le Curé. Il revient en hâte pour m’annoncer qu’une bombe était tombée chez moi…
Cet attentat nouveau à la cathédrale m’a bouleversé. Je n’ai eu aucune hâte à revenir voir chez moi les dégâts ; la cathédrale me tenait… chère cathédrale… Il était exactement 1 heure quand cette bombe s’est écrasée sur les dalles du sanctuaire à Notre-Dame. C’était chez moi à peu près à la même heure. Singulière coïncidence ! Mon Dieu, je suis entre vos mains.
8 heures 1/4 ; Au loin, le bruit comme d’une mêlée intense…
10 heures 1/2 ; J’étais couché ; je dormais profondément. Je suis réveillé par de formidables éclatements à proximité immédiate ; des éclats rejaillissent sur le toit.
Je me lève ; je m’habille ; je descends… le bruit le plus confus que jamais d’une bataille très importante à proximité ; salves, mitrailleuses… les chiens hurlent au loin.
Brisé de besoin de sommeil, je me recouche. A la grâce de Dieu !
Extrait des notes de guerre de l'abbé Rémi Thinot. [1874-1915] tapuscrit de 194 pages prêté à ReimsAvant en 2017 pour numérisation et diffusion par Gilles Carré.
Louis Guédet
Jeudi 12 novembre 1914
61ème et 59ème jours de bataille et de bombardement
… ce matin de Roucy faire un tour à Reims. Elle me disait qu’ils étaient absolument sur la ligne de feu comme nous et que parfois elle était obligée de descendre dans leurs caves (des creuttes (carrières et habitations troglodytes dans le département de l’Aisne)), elle est chez sa sœur, et n’a aucune nouvelle de son père ni de sa mère qui sont à Craonne ou Craonnelle, à quelques kilomètres de là ! En tout cas elle ne parait pas se faire beaucoup de bile ! Heureux caractère ou égoïsme ? Je ne sais.
8h soir Faut-il se recoucher ? ou non ? Ah ! dormir ! J’irais jusqu’à dire toujours ! Quelle souffrance de se dire tous les soirs : dormirai-je ? ou ne dormirai-je pas ? et cela pendant 2 mois. Et quand nous conterons cela à nos amis, à nos connaissances, à nos parents qui vous portent tant d’intérêt, ils se moqueront de vous ! Eux étaient si bien, si à l’abri des coups ! « Comment, vous ne dormiez pas ? Oh que c’est drôle ! »
Le demi-feuillet suivant a été découpé
10h soir A 9h1/2 comme d’ordinaire canonnade, sifflement de 2 ou 3 obus. Voilà Adèle qui déboule dans ma chambre en me disant : « M’sieur, n’entendez donc pas, moi je descends ! » Je me lève et m’habille sans grande conviction, je descends, et au moment d’ouvrir la lumière de la première cave je trouve l’électricité ouvert !! C’était mon Adèle que j’avais envoyé chercher une bouteille d’eau de Contrexéville à 7h qui l’avait laissé allumé. La grosse bête !! Nous sommes juste restés 10 minutes, et nous voilà remontés. Elle n’est ni figue ni raisin ! Cette grosse imbécile la… En tout cas, çà m’a donné l’occasion de faire des économies de lumière, en me faisant trouver cette lampe allumée qui aurait pu brûler des heures et des nuits et des jours !! Elle ne pouvait pas nier que c’était elle ! C’est ce qui l’embête le plus ! Fiez-vous aux domestiques !! Enfin, çà a été un mal pour un bien !!
Allons-nous pouvoir dormir tranquille ? Cette fois !
11h10 A 11h encore un obus, tout près celui-là. Je m’habille et je descends, jusqu’à l’entrée de la cave seulement. Ma grosse bête est là, assise, elle n’était pas remontée. Un obus seulement. Je remonte. Vais-je faire cette comédie toute la nuit ?
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Paul Hess
Coups de canon la nuit. Bombardement violent toute la journée.
Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos
Cardinal Luçon
Jeudi 12 – 4 h du matin, bombes, presque toute la nuit, mais lointaines.
Bombes vers 1 heure sur la maison Boquillon rue de l’École de Médecine, chez M. Thinot l’Abbé. On semble nous viser.
Visite de la Maison S. J.-B. de la Salle, et familles Becker, Camuset et Rome avec M. Landrieux. Rencontré M. Jacques Simon, verrier, dans la rue.
Visite à la Clinique Mencière. Vu le Commandant, frère du Préfet des Vosges, qui ne veut pas d’obsèques religieuses.
Réception de nombreuses lettres recommandées, parmi lesquelles une du Duc d’Orléans (2 octobre), celle du Pape (7 octobre).
De 8 h 1/2 à 9 h bombes ; de 9 h 1/4 à 9 h 1/2 silence ; de 9 1/2 à 11 h, terrible bombardement autour et auprès de nous. Descendu à la cave à 9 h, à 10 h jusqu’à 11 h.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. Travaux de l’Académie Nationale de Reims
Paul Dupuy
Sans interruption, le canon s’est fait entendre de 6 à 22 heures, et comme d’usage les bombes ont été partagées entre les différents quartiers.
À 13H1/2, lettre de Marie-Thérèse (8 9bre) demandant que j’envoie copies des pages d’André des 28 août et 5 7bre. Je les prépare ; bien souvent mes yeux se mouillent pendant ce travail, et c’est bien péniblement que j’arrive à le terminer.
En les envoyant demain à Limoges, je prierai qu’on m’autorise à y adresser aussi les originaux, que je trouve trop exposés ici.
À 22 heures, descente forcée en cave avec séjour jusque minuit.
Paul Dupuy - Document familial issu de la famille Dupuis-Pérardel-Lescaillon. Marie-Thérèse Pérardel, femme d'André Pérardel, est la fille de Paul Dupuis. Ce témoignage concerne la période du 1er septembre au 21 novembre 1914.
Source : site de la Ville de Reims, archives municipales et communautaires