Abbé Rémi Thinot
1er OCTOBRE – Jeudi –
St. Remi priez pour nous.
Ce que j’ai pris pour une canonnade hier, c’était l’arsenal qui explosait, derrière Neufchâtel, au Parc d’Artillerie.
Il y avait là de grandes réserves de cartouches à blanc et d’obus id. pour les grandes manœuvres. Pendant 1 heure et demie, çà été une pétarade. Tout le quartier s’est enfui, craignant une explosion d’ensemble.
L’après-midi, Je suis allé hors la Haubette, photographier quelques campements de rémois. Il y avait quelques promeneurs, mais le grand nombre de ces groupes qui ont allumé ici un feu, là établi une tente, ailleurs une maison de paille, sont de pauvres gens des quartiers éprouvés qui sont venus chercher là le droit à l’existence.
Le sol est parsemé de débris de toutes sortes ; chiffons, paille boîtes de conserves vides etc… Tout à proximité des tranchées creusées par les allemands pendant leur retraite, personne ne s’y établit ; ce sont des foyers de malédiction.
Le temps est superbe, le soleil si doux !
Le Courrier a reparu hier et il a continué aujourd’hui aussi nul et insignifiant que Jamais.
- le Curéétait ici quand est arrivé le facteur, oui le petit facteur que j’avais rencontré hier déjà et qui m’avait remis la carte d’un vicaire d’Abondance.
« II faut que je descende, dit M. Landrieux, voir comment c’est fait, un facteur »
Et j’ai en mains un paquet de lettres… condoléances d’amis à l’endroit de notre chère cathédrale, nouvelles de la chère Savoie… mais si anciennes ! On commence seulement à trier les paquets fin août, début septembre. Est-il vrai que nous allons sortir de notre sépulcre? Remonter sur la terre des vivants? Deo gratias.. !
Extrait des notes de guerre de l'abbé Rémi Thinot. [1874-1915] tapuscrit de 194 pages prêté à ReimsAvant en 2017 pour numérisation et diffusion par Gilles Carré.
Louis Guédet
Jeudi 1er octobre 1914
20ème et 18ème jours de bataille et de bombardement
9h matin Combat très violent cette nuit vers 2h1/2 du matin, quelques coups de canon seulement. Cette matinée est d’un calme absolu ! Le Courrier de la Champagne reparait et donne espoir. Quelle vie !
11h On me dit que la Division Marocaine aurait pris les bois de Berru, si c’est exact ce serait un vrai succès et un nouveau retour d’un bombardement de Reims plus problématique. Nous verrons, en tout cas en ce moment, depuis 4h du matin nous jouissons d’un calme que nous ne connaissions plus depuis longtemps. Que Diable peuvent-ils mijoter nos Prussiens ? Encore quelque tour du Diable, ou de l’Enfer, c’est tout comme.
5h50 Été déjeuner chez Charles Heidsieck avec Mareschal, et revenu chez moi vers 2h fumer un cigare, notre hôte ayant oublié les siens à sa maison de commerce rue de la Justice. Notre ami habite chez son fils Robert 8, rue St Hilaire, depuis que sa maison rue Andrieux a été éventrée par 2 obus. J’enverrai Adèle poster mes 2 lettres, une pour ma femme Madeleine et une pour mon Père à la Poste de la rue Libergier. Maurice Mareschal qui nous avait quittés en route pour voir son médecin-chef, arrive avec M. Van Cassel, commandant d’État-major, associé de la Maison Deutz et Geldermann d’Ay, on bavarde sur notre situation qui n’a pas changée. Van Cassel et Maurice nous quittent vers 3h1/2, puis survient M. Raoul de Bary qui venait cause à M. Heidsieck d’une combinaison et d’avances sur les signatures de 8 négociants en vins de Champagne avec la Banque de France et les banques locales Chapuis et Cie, etc… (800 000 francs) pour pouvoir faire des avances aux vignerons, payer leurs vins en hiver et payer leurs ouvriers et me demander de leur rédiger un projet s.s.p. (sous seing privé) relatant cet emprunt et constatant la solidarité entre eux pour le renouvellement, l’aval ou le remboursement de la somme empruntée. C’est fait. Ils me quittent à 4h.
Je vais faire un tour, entré causer chez Michaud avec les 3 braves filles qui gardent la maison. Je lie conversation avec un capitaine du 27ème d’artillerie et un soldat du même régiment qui l’accompagnait. Nous nous connaissons des amis communs. Le capitaine est un M. Delattre, de Roubaix, cousin de Mme Louis Abelé, dont j’ai reçu le contrat de mariage à Roubaix en mars dernier !! et le jeune soldat se nomme Adolphe Vandesmet, de Watten près de St Omer, dont les parents étaient des amis de Maurice Lengaigne. Je lui dis que je suis même allé chez ses parents il y a quelques années avec les Lengaigne, et que j’ai visité leur maison de jute (filature de jute) et la fabrique de bâches et de cordages !!
Alors nous avons causé un bon moment, rappelant nos souvenirs et les noms de diverses personnes que nous connaissions. Ils paraissaient enchantés d’avoir pu causer de leur pays avec moi. Ils sont en batterie du côté de Concevreux.
7h3/4 Toujours rien. Pas un coup de fusil, pas un coup de canon depuis 11h où 7 ou 8 obus sont tombés sur le quartier Cérès. Et enfin un obus tombe d’un aéroplane allemand rue de Vesle vers 5h1/2. C’est tout. Est-ce que comme le bruit court que déjà les allemands se seraient retirés sans combat ?!!! Attendons la nuit et demain nous dira ce qu’il en est.
8H05 Toujours le calme plat !! Est-ce que vraiment nous serons délivrés de ces oiseaux-là ??!! Alors ! ce serait la délivrance ??!!… la… Victoire !!! Mon Dieu ! serait-ce possible ??!!
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Paul Hess
A partir de 2 h 1/2 du matin, canonnade et fusillade. Cependant, personne ne quitte le lit ; on commence à s’habituer à ces sortes de réveils, – les enfants eux-mêmes ne s’inquiètent plus véritablement que lorsqu’ils discernent, parmi les sifflements, ceux plus stridents annonçant aussi tôt des arrivées peu éloignées.
Nous apprenons que le bruit épouvantable qui nous avait fait croire, hier, à une grande bataille très proche, provenait de l’explosion des munitions du parc d’artillerie, provoquée par des obus envoyés par les Allemands?
– Le Courrier de la Champagne reparaît ce jour. Il a installé provisoirement ses bureaux à l’imprimerie Bienaimé, 23 bis, route de Paris, à la Haubette, où se fait également le tirage du journal.
Dans le numéro d’aujourd’hui, nous lisons que le faubourg Sainte-Anne a été éprouvé le mardi 22 septembre, vers midi, alors qu’un bataillon d’infanterie stationnait sur la place Sainte-Clotilde et dans la rue de Louvois Bientôt après que cette troupe eut été signalée par un aéroplane allemand, les obus tombaient, faisant des victimes, brisant une partie des vitraux de l’église et endommageant plusieurs immeubles.
– nous y voyons également cet article :
« Nos établissements industriels détruits. Place Barrée – Maison Pouillot et Cie, tout est détruit ; ces Messieurs estiment à deux millions, les pertes qu’ils ont subies.
L’usine rue Saint-Thierry est intacte ; on ne peut encore fixer sa réouverture, vue le manque de matières premières.
Rue des Filles-Dieu – Maison Nouvion-Jacquet et Principaux ; rien ne subsite de l’immeuble et des marchandises qu’il abritait.
Rue des Trois-Raisinets – Établissements Lelarge anéantis ; à peine quelques pièces de tissus ont pu être dégagées.
Le tissage du boulevard Saint-Marceaux, où avaient été installées nos batteries d’artillerie, est ruiné.
Rue Courmeaux, – Établissements Ed. Benoist & Cie, un obus tombé sur les magasins ; les éclats ont déchiqueté toutes les pièces de tissus. L’Usine du Mont-Dieu est intacte ; malheureusement, les matières premières font défaut.
Rue Eugène Desteuque – Le conditionnement municipal des laines et tissus, déjà si éprouvé antérieurement, dévasté par l’incendie.
L’établissement des « Vieux-Anglais » n pourra être remis en marche avant un mois
Rue de Bétheny – Usine Clément, complètement détruite.
C’est aussi la même désolation que présente l’usine de MM. Collet frères, rue Ponsardin et impasse du Levant.
Rue Saint-André – Maison Alex. Leclère, laines, détruite.
MM. Gaudefoid, commissionnaires en tissus, Satabin, Flon et Osouf, dégâts aux immeubles ; mobiliers et marchandises très sérieusement endommagés.
Il donne encore cet avis, du plus haut intérêt pour les habitants demeurés à Reims, privés de nouvelles depuis le 1er septembre au soir, c’est-à-dire depuis un mois, puisque le service des Postes évacuait de notre ville le lendemain 2 septembre, à la première heure :
Service des Postes. Le Service des Postes est provisoirement rétabli. Il est installé au local de l’École maternelle, rue Libergier 32.
Une seule levée est faite à 15 heures (3 heures du soir).
Quant à la distribution des lettres, elle aura lieu une fois le jour, à des heures encore indéterminées, le nombre des facteurs étant des plus restreint.
Nous allons donc enfin pouvoir envoyer de nos nouvelles et en recevoir de l’extérieur de notre ville, après avoir été si longtemps privés de toute communication postale. Aussi, cette mesure devenue possible, est-elle unanimement appréciée.
– Le même journal d’aujourd’hui, publie encore cet entrefilet :
Le témoignage du Général Joffre. Bordeaux, 27 septembre. Le gouvernement allemand ayant déclaré officiellement à divers gouvernements, que le bombardement de la cathédrale de Reims n’avait eu lieu qu’en raison de l’établissement d’un poste d’observation sur la basilique, le gouvernement français en a informé le général commandant en chef des armées d’opérations.
Le Général Joffre a immédiatement répondu au ministre d la guerre dans les termes les pus nets. Le Commandant militaire à Reims n’a fait place, en aucun moment, un poste d’observation dans la cathédrale. Le bombardement systématique commença le 19 septembre, à 3 heures de l’après-midi.
Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos
Cardinal Luçon
Fête de Saint-Remi ! les solennités habituelles ne peuvent avoir lieu. Vers 3 h. canonnade de grosses pièces. Depuis 5 heures au moins tranquillité complète. On n’entend rie. Visite à l’Ambulance de Courlancy chez les Frères.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. Travaux de l’Académie Nationale de Reims
Gaston Dorigny
De toute la journée on a entendu que quelques coups de canon au loin. L’après midi nous profitons de l’accalmie pour faire un tour chez Thierry * . A part quelques obus dans le Port-sec la journée a été calme, nous avons rejeté les allemands sur Nogent l’Abesse. A quatre heures du soir un aéroplane allemand passe au dessus des promenades où stationne de la troupe, lance une bombe qui ne fait aucune victime. Nous nous couchons le soir dans le même silence. Vers deux heures du matin on entend encore les mitrailleuses et quelques coups de canon assez lointain, puis le jour ramène le silence.
Gaston Dorigny
* Il ne peut s’agir que du grand père Léon Thierry – 28 mai 1847 – 8 décembre 1914 – ou de Charles Thierry alors âgé de 26 ans. Charles est le père de la cousine Madeleine Wernli vivant en Suisse alémanique – Weinfelden-, veuve de Werner Wernli, citoyen Suisse
Paul Dupuis
Dès 7 heures, et lesté comme demandé, je pars à bicyclette.
Le plaisir de tous est grand lorsque j’apprends qu’à Reims la nuit passée a été d’un calme inconnu depuis 3 semaines ; nous voulons tous croire à une bienheureuse intervention de St Remi, dégageant la ville, et nos bons amis, ainsi réconfortés, décident de surseoir à leur projet le départ vers des contrées moins exposées.
Content moi-même de les laisser en de meilleures dispositions, je poursuis jusque Sacy, porteur du traditionnel pain qui me fera doublement bien accueillir des miens.
Mais, par exemple, il n’en est pas de même du Colonel du 25e Dragons qui, lui, posté à l’entrée du village me reçoit plutôt fraichement.
En exécution d’ordres formels, il prétend ne pouvoir me laisser pénétrer dans la localité, ou s’il m’y admet devoir m’en refuser la sortie.
L’exhibition d’un vieux laissez-passer lui prouve mon identité, tandis que mes explications le convainquent qu’il n’y a pas lieu de me retenir comme suspect ; aussi, finit-il par autoriser entrée et sortie, mais à condition que je laisse là ma bicyclette dont l’usage est interdit aux civils sur le parcours Sacy-Reims.
Là, il se montre absolument intransigeant, et après avoir embrassé les miens et être convenu avec eux que leur retour s’effectuera le samedi 3 8bre, c’est forcément à pieds que je reviens.
Paul Dupuy - Document familial issu de la famille Dupuis-Pérardel-Lescaillon. Marie-Thérèse Pérardel, femme d'André Pérardel, est la fille de Paul Dupuis. Ce témoignage concerne la période du 1er septembre au 21 novembre 1914.
Source : site de la Ville de Reims, archives municipales et communautaires
Jeudi 1er octobre
La situation est proclamée satisfaisante. Les contre-offensives ennemies ont été partout brisées, entre Oise et Aisne, comme dans la Woëvre et les Hauts-de-Meuse. L’armée russe du gouvernement de Souwalki reconduit vigoureusement vers la frontière les forces allemandes qui l’avaient franchie.
Le gouvernement austro-hongrois est obligé de reconnaitre, en des communiqués diplomatiques, que les troupes du tsar descendent la vallée de la Theiss dans 1a grande plaine hongroise. Budapest, d’une part, et Debreczin de l’autre, seraient de la sorte menacés.
Les Serbes qui avaient pris une première fois Sem1in, en Esclavonie, sur la rive hongroise du Danube, et qui en avaient été chassés, ont réoccupé la ville dont ils vont faire une base d’opérations.
Un incident s’est produit entre l’Italie et l’Autriche, des barques italiennes ayant sauté sur des mines austro-hongroises dans l’Adriatique.
En Belgique, Lierre, au sud-est d’Anvers, a été bombardée, Malines en partie détruite, et Alost complètement évacuée par sa population.