Abbé Rémi Thinot

6  SEPTEMBRE – Midi – Des centaines de blessés sont arrivés ce matin ; ils sont rue de l’Université et des bandes de soldats éreintés passaient rue Vauthier tout à l’heure.

Rencontré à Notre-Dame M. de Bruignac, prisonnier hier encore avec les autres conseillers, à propos des réquisitions. On fournit celles-ci difficilement. Ainsi, il fallait 20.000 kilos de pain pendant 5 jours ; on arrive à peine à la moitié. Toujours cette histoire des parlementaires qu’on ne retrouve pas. On a suivi leur piste assez loin ; on continue les recherches. L’autorité prussienne convient pourtant que la ville n’y est pour rien. Tout l’obscur de cette affaire s’éclaircit quand on sait que Saxons et Prussiens se disputaient l’honneur d’entrer à Reims. Les Saxons y étaient quand les Prussiens, qui avaient envoyé des parlementaires, lesquels ne revenaient pas, ont bombardé. Les Saxons ont vite envoyé un des leurs pour arrêter les Prussiens. Les parlementaires prussiens avaient été arrêtés à La Neuvillette parce qu’on leur avait dit qu’il n’y avait plus d’autorité militaire à Reims. Ces parlementaires sont repartis avec les officiers français qui les accompagnaient (un colonel et un général. On a perdu leurs traces et on ne sait où ils sont, mais il est certain que vendredi à 3 heures, les Prussiens voulaient recommencer le bombardement.

Je vais me procurer un appareil ; il faut absolument que je fasse des photographies.

Après Vêpres seulement, avec la jumelle de Poirier, je suis allé faire un tour et j’ai photographié une affiche Place Royale ;

Du P. Etienne, ces mots entendus ;

1°) à la Poste, du factionnaire questionnant certaines personnes ; « La guerre, chose cruelle, pas morale… »

2°) un bonhomme qui l’aborde ; « Monsieur, je ne sais pas de votre bord, mais si on n’avait pas chassé les bonnes sœurs, nous n’en serions pas là.. ! »

A rapprocher de l’apologue d’un gaillard accostant l’abbé Midoc, place de l’Hôtel de Ville pendant les premiers jours de la mobilisation ; « Monsieur l’Abbé, nous ne sommes pas dans les mêmes idées, les poules et les coqs se battent toujours dans la basse-cour, mais quand l’épervier arrive, tout le monde est d’accord ».

Entendu également dans un café, de la bouche d’un officier allemand ; « Si nous avions vos soldats, nous serions déjà à Paris, mais vous devez bien vous apercevoir qu’ils sont mal commandés… »

Il paraîtrait que nos ennemis auraient été battus aujourd’hui à Montmirail.

Épernay n’a pas été bombardée, au dire de Antoine, chauffeur de la Maison Pommery (réquisitionné hier par un officier prussien tandis qu’il transportait les meubles de Stanford). On n’y veut pas croire que Reims aurait été bombardée… !

Une chose qui navre tous les honnêtes gens et les patriotes, c’est la familiarité avec laquelle la partie inférieure de la population traite avec les allemands. Sans parler de l’ignominieuse conduite des filles, affichée au grand jour. On souffre d’un grand manque de dignité ; on pouvait avoir une attitude calme sans avoir cette condescendance … presque flatteuse… j’allais dire dégradante… Je comprends qu’un soldat ait dit ; « Les Français ne veulent pas la guerre ; c’est l’Angleterre et la Russie » et cette autre parole d’un officier supérieur pendant les discussions « J’aime mieux mes deux parlementaires que vos m 100.000 c… de rémois.. ! »

Extrait des notes de guerre de l'abbé Rémi Thinot. [1874-1915] tapuscrit de 194 pages prêté à ReimsAvant en 2017 pour numérisation et diffusion par Gilles Carré.

Juliette Maldan

Dimanche 6 septembre 1914

A la messe de 9 heures, les enfants sont bien disséminés dans le grande nef. On sent qu’ils sont tous effarouchés et dispersés par le danger. Après quelques paroles d’actualité sur la mort, que vendredi, nous a tous frôlés de si près, le commentaire de l’Évangile du jour est bien de circonstance pour préparer aux détachements futurs !

A la sortie, devant le grand portail, triste impression à la vue de tous ces allemands campés sur la place du Parvis. Ils ont étendu de la paille, et bivouaquent avec leurs lourds charriots autour de la statue de Jeanne d’Arc. Ce qui est plus triste encore, c’est de voir la lie de la population se grouper autour d’eux, comme autour de bêtes curieuses, oubliant tout souci de patriotisme et de dignité ! J’en pleurerais d’indignation !

L’après-midi, à la sortie des vêpres, on se communique les nouvelles plus rassurantes de l’Hôtel de ville.

Il a pu être prouvé que les parlementaires avaient été reconduits à cinq kilomètres de la ville comme l’exigent les lois de la guerre, ce qui dégage la responsabilité de la municipalité. Cependant, comme une fois-là, ils ont disparu sans que l’on puisse retrouver leurs traces, l’État-major allemand exige que Léon de Tassigny, accompagné de M Wenz et d’officiers allemands, parte en auto à leur recherche, à travers les lignes de feu. C’est une périlleuse mission, Jeanne est dans l’angoisse. « si je ne reviens pas, lui a dit Léon, tu sauras que j’ai fait mon devoir, et que je suis mort en brave, pour mon pays ! »

Les rues sont couvertes d’affiches sur lesquelles on peut lire que l’armée allemande « ayant pris possession de la ville et de ses forteresses », ceux qui se livreraient aux moindres infractions seraient immédiatement punis de mort, et la ville livrée aux pires représailles.

Pour les dépenses les plus insignifiantes du reste, ce sont toujours les mêmes mots qui reviennent : « Sous peine de mort », sous peine d’être « pendus ou fusillés ». Par exemple, il est affiché partout que toucher à un fil télégraphique est un crime puni de mort. Or, je m’aperçois qu’à notre insu, un de ces fils vient d’être accroché le long de la façade de la maison. Il passe sous la fenêtre de ma chambre, de telle façon que rien n’est plus facile que de le briser involontairement en tirant les persiennes.

Nous vivons sous le régime de la terreur, mais les allemands non plus, n’ont pas l’air de se trouver en sécurité au milieu de nous. Ils se méfient de tout. Le soir, ils prennent possession de l’aérodrome militaire, mais exigent que des conseillers municipaux aillent y coucher avec eux, possédés qu’ils ont de la crainte que l’aérodrome ne soit miné et en saute. Même crainte aussi pour l’État-major installé à l’Hôtel du « Lion d’Or ». Il faut que deux conseillers municipaux viennent chaque soir, à tour de rôle, coucher près des officiers supérieurs.

Dans les magasins où les officiers achètent des bonbons, ils exigent, dans la crainte qu’ils en soient emprisonnés, que les vendeuses en goûtent devant eux.

Probablement sous l’emprise de cette crainte, ils ne font aucune incursion dans les maisons particulières où y manifestent leur méfiance comme chez les André Prévost, où les maîtres de la maison, enfermés dans leur chambre, ont été gardés à vue toute une nuit, par un soldat armé faisant les cent pas !…

Les soldats sont corrects dans les rues, une discipline sévère semble régner. Le pavé résonne sous leurs pas lourds et cadencés, et par moments, vers le soir, ces hommes tous ensemble, chantent des chœurs francs et vraiment impressionnants.

A la fin de cet après-midi du dimanche, quelques amis sont venus peupler le grand salon rouge. On met en commun les tristesses, on essaie mutuellement de se réconforter en gardant toujours et quand même l’espoir qui soutient. Quels que soient les événements, la vieille maison doit rester fidèle à son rôle, et demeurer un centre de famille.

Du reste, le compte est vite fit, des parents, des amis demeurés à Reims !…

Le bruit d’une troupe nombreuse qui défile en parade me fait lever les yeux vers les fenêtres de la rue.

Musique en tête, serrés dans leurs uniformes couleur poussière, les soldats allemands passent, d’un pas lourd et scandé de parade. Enveloppé dans leurs rangs pressés, un pauvre petit soldat français, un prisonnier, est contraint de marcher avec eux. Ils le promènent ainsi, sans pitié, dans cette marche triomphale plusieurs fois répétée autour de la ville… Que c’est allemand, cela !… et que l’expression d’intense souffrance de notre petit soldat fait mal à voir ! Elle se poursuit tout le reste du jour. Qu’auront fait ces barbares de leur prisonnier ?…

Journal de Juliette Maldan, grand-tante de François-Xavier Guédet, retranscrit par lui-même.

Louis Guédet

Dimanche 6 septembre 1914

9h matin  Me voilà seul et à 44 ans de distance à quelques jours près (étant arrivé à Paris le 24 août 1870 et y étant resté jusqu’au 18 février 1871). Ma femme, mes enfants et moi nous sommes dans  la même situation où se trouvaient mon Père, ma Mère et moi ! Je suis seul ici à Reims, et ma pauvre chère femme et mes petits je ne sais où. Si je savais seulement qu’ils sont en bonne santé et sains et saufs à Granville ! Moi peu m’importe que je souffre plus ou moins, mais pourvu que j’ai de leurs  bonnes nouvelles. Mon Dieu, faites que je ne sois pas, comme en 1870, six mois sans avoir de leurs nouvelles. Je n’y résisterai pas. Voir deux fois la Guerre c’est trop.

En revenant de la messe de 7h1/2 à St Jacques je suis passé par la place Drouet d’Erlon square Colbert côté gare, boulevard de la République et rue de la Tirelire pour reprendre la rue de Talleyrand et rentrer.

Un obus a éclaté dans la rue place Drouet d’Erlon, au coin de l’Hôtel Continental qui m’a paru assez abîmé. Chez Mme veuve Marguet, 35 rue de la République, un obus lui a enlevé son balcon et a éclaté dans l’immeuble, cela doit être bien arrangé.  Cet obus venait de Bétheny. Preuve nouvelle qu’ils ont tiré de tous les côtés et non des Mesneux seulement comme ils l’affirment. Non ce n’est pas une erreur, c’est de la Terreur qu’ils ont commis.

En en faisant le bilan : Collomb, rue du Clou dans le fer, Camuset, Léon Collet, esplanade Cérès. Le bureau de Mesurage, rue Eugène Desteuque, Marguet, 35 Boulevard de la République. L. de Tassigny, (maison Debay) rue de l’Écrevisse, Girardot, Place des Marchés, École Professionnelle, rue Libergier, Mauclaire syndic rue Libergier, Veuve Gilbert, rue du Carrouge, Lanson, boulevard Lundy, Hourlier, rue Eugène Desteuque, Maison Prévost et Lainé, rue St Pierre les Dames, Grandbarbe, rue St André, 1, Veuve Sarrazin, esplanade Cérès (1 tué), Banque Adam, rue de l’Hôpital (rue du Général Baratier depuis 1937). Vaillant, 1 rue Legendre, Dr Gosset, 2 rue Legendre, (en blanc) au 21, rue Cérès et Luxembourg (coiffeur du coin), de Tassigny-Maldan 18, rue Cérès (maison où habitait Clémence d’Anglemont de Tassigny (1856-1953), veuve de Théodore Maldan (1844-1899), elle aurait quitté sa maison en feu sans son chapeau, au grand dam de sa gouvernante)(elle est par ailleurs l’arrière grand-mère maternelle de François-Xavier Guédet), Rémond-Faupin (maison de Colbert) rue Cérès, Place Royale, Habitation d’Alexandre Henriot. Kunkelmann rue Piper 1/3, Goulden (Auguste) 5, rue Piper, Dufay, rue St Symphorien, l’Éclaireur de l’Est.

Mais ils ont surtout tiré sur les alentours des églises Cathédrale, St Remi et St André qui leur servaient à n’en pas douter de point de mire. La Cathédrale a eu 3 obus près d’elle rien que dans la rue (Notre-Dame). 2 dans le terrain vague de l’ancienne prison. L’église St Remi en a eu une quinzaine autour d’elle, plus les 2 qui sont tombés dedans. Pauvre verrière flamboyante du portail sud, il n’en reste pas un verre. Je n’ai pas encore vu St André, je n’en ai pas encore eu le courage, mais il parait que la sacristie est en miettes. Le buffet et les orgues sont abîmés.

11h matin  Vers 9h3/4, je ne peux m’empêcher de faire un tour par le boulevard de la République. Je passe rue de la Tirelire et remonte le boulevard vers la Porte Mars, puis je prends le boulevard Lundy. Pas de dégâts sauf un trou qui n’a pas du faire beaucoup de mal à la maison de M. Wenz fils. Deux soldats allemands entrent à l’hôtel Werlé, ces messieurs les officiers se logent bien. Deux plantons d’ambulance à la Maison de Commerce Roederer. Chez Henri Lanson un obus est entré par la fenêtre du salon, il doit y avoir de beaux dégâts. Rue de Bétheny (rue Camille-Lenoir depuis 1932) rien. Rue St André 1 (rue Raymond-Guyot depuis 1946), maison Grandbarbe, côté ouest sur la place, une baie de 5 mètres de haut sur 3 à 4 de large, ça doit être beau à l’intérieur. Église St André, la sacristie est saccagée, les vitraux brisés, on chante la Grand’messe en grande pompe.

Je reviens sur mes pas par la rue du faubourg Cérès. Esplanade Cérès, rue Legendre 2, maison du Docteur Gosset et Maison Vaillant en face gros dégâts, l’obus du Docteur Gosset venait de l’ouest et celui de Vaillant de l’est. Je le répète on a tiré de tous les côtés, rue de l’Hôpital maison Banque Adam un trou énorme, gros dégâts. Le coiffeur du coin rue Cérès et rue de Luxembourg est en miettes. La maison de Tassigny-Maldan en face est aussi fort endommagée. Rue de la Gabelle, chez la pauvre petite dame Mahieu, 5 rue de la Gabelle, la toiture est sautée, tout est pulvérisé. Elle me donne un vieux livre, une petite Histoire de France sur lequel on lit le nom Louise Marchais, traversé par un éclat d’obus.  Je reviens sur mes pas. Place Royale, au coin de Christiaens le pharmacien un obus a éclaté sur le pavé, peu de dégâts, quelques glaces de cassées, une vitrine intérieure traversée. Dégâts beaucoup plus graves chez Alexandre Henriot, au coin de la place et de la rue du Cloître. Les 2 étages et le rez-de-chaussée doivent être broyés à l’intérieur. Au rez-de-chaussée succursale de Mignot, ancien café de la Douane où j’ai pris pension pendant près d’un an en arrivant à Reims en mai 1887 comme 3ème clerc de Mt Douce, notaire, 24 rue de l’Université.

Je rentre et ma bonne m’apprend que mon Beau-père est venu et m’a laissé un mot (voir la carte jointe) pour me dire qu’il allait à l’usine Deperdussin avec des officiers du Génie qui prétendent qu’elle est minée. Qu’est ce que c’est encore que cette histoire. Vraie chicane d’allemand ? (Tout à l’heure M. Wenz fils m’apprenait devant le temple protestant du boulevard Lundy qu’on avait retrouvé la trace à Épernay des officiers allemands tant recherchés hier (ceux de sang royal) qu’ils étaient prisonniers de nos troupes, on parle de demander qu’on les relâche. Cette chicane leur échappe pour voler quelques millions de plus et pour fusiller quelques notables, ils ont recherché autre chose. Quelle race ! Ce sont des démons !)

Bref M. Bataille m’écrit qu’il part comme otage avec Diancourt, Lejeune, Chavrier, Chézel  à l’usine Deperdussin pour accompagner ces officiers du Génie, et que je ne me tourmente pas. Que va-t-il encore sortir de cette histoire ? Ils ne se rendent pas ! Après celle-ci c’en sera une autre.

11h3/4  Le canon tonne furieusement du côté de Soissons à l’ouest, c’est un roulement continu. Que Dieu nous protège ! Nous ne risquons ici que plaies, malheurs et bosses. Si les allemands avancent ils nous étrangleront,  s’ils sont obligés de reculer, il ne faut pas se faire d’illusion, ils nous brûleront, bombarderont, saccageront, ils nous tueront tous. A moins d’un miracle !! Faisons le sacrifice de notre vie, c’est le plus simple et je le fais bien volontiers. Pourvu que ma pauvre femme et mes chers petits soient sains et saufs et bien portants.

6h soir  Comme une âme en peine je pars faire le tour de la Ville. Boulevard de la République, rue du Champ de Mars, au 2 une bombe, rue Havé des ponts je vois les rails sautés à l’intersection des aiguillages rue Léon Faucher. Sur les lignes personne, à la gare de triage et au garage des locomotives 1 homme, 2 tout au plus. Au champ d’aviation quelques officiers et soldats. En haut  du pylône de l’orientation des vents le drapeau prussien noir, blanc, rouge. C’est le 1er que je vois. Rue du Chalet, cimetière de l’Est, boulevard Dauphinot, les casernes dans lesquelles sont quelques soldats. Je n’ai pas le courage d’aller plus loin. En résumé nous sommes maîtrisés par quelques hommes qui ont l’audace, la superbe de l’oser !

Une ville de 100 000 âmes dominée par 4 hommes et un caporal !

Je reviens par les Vieux Anglais qui ont reçu 4 obus, rue Piper 3 obus, 1 chez Goulden qui a fort abîmé sa cour d’honneur. 1 chez Kunkelmann et 1 dans la rue, rue St Symphorien, Maison Dufay architecte, l’étage supérieur est dévasté, il n’y a plus de toiture. Rue de l’Université à l’Éclaireur de l’Est une bombe. Place Royale, une affiche au coin de la « Société Générale » :

Ordre  Ayant pris possession de la ville et de la forteresse (??!!) de Reims, je signifie aux habitants etc…  etc…  toute la lyre ! quoi ! otages, fusillades, rançons etc…  je les reconnais là, signé ! Le Général commandant la Place. On n’est pas plus prussien. Nous ne savons même pas le nom de notre…  fusilleur.

8h1/2 soir  Rentre de dîner chez Charles Heidsieck avec Pierre Givelet qui y est pour quelques jours. Mon Beau-père a été relâché vers 4h après avoir trouvé chez Deperdussin 40 moteurs Gnôme et 30 aéroplanes intacts !! Le général Cassagnade (ancien gouverneur militaire de Reims) a été d’une incurie et d’une incapacité inqualifiable. Dans les forts on a retrouvé quantité de munitions intactes, dans les magasins des quantités de farine, pailles, etc…  C’est honteux.

Pendant le dîner on cause des événements et on espère. Il parait que des Allemands et des Prussiens c’est le XIIème Corps saxon qui nous a occupés. Les Prussiens (la Garde) sont furieux étant arrivés trop tard. Ces troupes n’avaient plus de pain depuis 9 jours !! C’est-à-dire leur état plutôt lamentable. Aussi ne sont-ils pas aussi sûrs que cela du succès final. Il parait qu’il ne nous restera à loger qu’environ 500 hommes. Tant mieux.

L’hôtel de Mme de Polignac route de Châlons (Hôtel Restaurant Les Crayères depuis 1983) est occupé par 15 officiers !! Ils savent choisir. M. Givelet m’a raconté deux histoires assez drôles sur notre bon et pacifique secrétaire général de notre Académie de Reims, j’ai nommé le bon et doux M. Jadart, les voici !

Quand on a parlé de l’entrée des troupes allemandes à Reims pour le 4 septembre, M. Jadart s’est souvenu qu’il y avait un musée lapidaire à Clairmarais et qu’en sa qualité de bibliothécaire et un peu conservateur des Musées de Reims, il devait à n’en pas douter sauvegarder ce petit musée oublié contre toute atteinte de l’ennemi. Il s’empressa de faire préparer un écriteau : Ville de Reims Musée Lapidaire de Clairmarais. Défense d’entrer. Et muni de cette pancarte il se dirige sur les 9h du matin, de son pas paisible et trottinant vers le susdit Musée. Il la fixait à l’entrée quand les premiers coups de canons du bombardement, (par erreur) se font entendre. Notre digne secrétaire se dit : « Tiens voilà qu’on bombarde Reims il est temps de rentrer ! » et de son pas menu il file vers le Bureau de Police du Mont d’Arène pour s’y réfugier. Là un inflexible agent le prie de circuler d’un ton péremptoire et mon bon M. Jadart s’en va et se dirige vers son logis sans plus s’inquiéter des obus, des schrapnels et de leurs éclats et mon Dieu, il y a un saint aussi pour les braves gens, il arrive sain et sauf au logis rue du Couchant (rue des Jacobins depuis 1924) sans le moindre accroc et Dieu seul sait par quel miracle !

Voici mon autre histoire : le lendemain matin de ce jour mémorable Monsieur (non précisé) rencontre le même M. Jadart, un récidiviste quoi ! sortant de chez lui et tenant à la main une carabine Flobert qu’il avait dû retrouver et qu’innocemment il allait remettre aux allemands à la Mairie. Monsieur (non précisé) lui montra son imprudence et lui conseilla de jeter l’arme chez lui dans un puits. Il n’en n’avait pas bref on la jeta dans le plus proche égout de la Ville.

Mon bon La Fontaine, si tu vivais encore tu ne serais pas le seul à avoir des distractions. Je n’ai pu m’empêcher de noter, de consigner ces deux petites aventures arrivées à mon bon M. Jadart, et je suis sûr d’avance qu’il me l’a déjà pardonné ! Je souhaite aussi surtout que nous en rirons ensemble quand nous ne serons plus sous la botte du teuton.

En allant chez Charles Heidsieck j’ai vu que la salle des adjudications de notre Chambre des Notaires servait de poste à la Garde préposée à la surveillance de l’Hôtel de Ville. Qui eut dit ou cru cela il y a presque un mois le 29 juillet 1914 à pareille heure, lors de notre dernière réunion de Chambre. Je ne me doutais guère que j’y verrais des prussiens vautrés dans la paille qui jonche cette salle.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

Dimanche – L’après-midi de ce jour, rencontrant mon ami et voisin R. Collet, je l’accompagne dans une courte promenade, puisqu’il désire, comme moi, se rendre compte des dégâts causés par le bombardement dans les environs du quartier que nous habitons et nous nous dirigeons vers l’église Saint-André. Nous voyons la maison Grouselle, rue de l’Avant-Garde, qui a été dévastée par deux obus, dont l’un a éclaté dans le jardin et l’autre à l’intérieur où il a pénétré par la toiture. La maison n° 12 de la même rue a été entièrement démolie par un projectile.

Tandis que nous sommes arrêtés, passent deux soldats allemands qui regardent à peine, jetant un coup d’œil indifférent à ces ruines qui nous émeuvent. Il est vrai qu’ils en ont vu d’autres depuis leur entrée en campagne. ils se promènent en fumant des cigares, comme des troupiers qui ont quartier libre ce dimanche.

A l’église Saint-André, un obus est entré à gauche du petit portail et a éclaté en abîmant entièrement une chapelle et en crevant ou tordant les tuyaux du petit orgue, rendu complètement hors d’usage.

– Au cours d’une seconde sortie faite avec mes deux fils, Jean et Lucien, nous devons nous arrêter longuement, avant de rentrer, pour laisser passer un régiment d’infanterie arrivant en ville, par la rue Cérès, l’arme sur l’épaule. Les hommes défilent en chantant le Deutschland über alles !. Ce spectacle produit sur nous une sensation pénible. La mélodie de leur chant ne nous est pas inconnue ; nous avions cru le remarquer déjà le 4, dans l’après-midi, sans avoir pu nous imaginer exactement ce qu’il était, lorsque nous avions perçu, de la maison, quelques bribes de ce qui une sorte de cantique. En effet, c’est l’air de l’hymne national autrichien et, sur cette musique d’Haydn, nous avons souvent entendu adapter un Tantum ergo dans les églises, en France.

Les soldats, comme ceux déjà vus les jours précédents, n’ont pas le moins du monde l’apparence de gens qui auraient subi des privations. Avec leurs faces rondes, colorées à la suite de la marche qu’ils viennent de fournir, leurs têtes passées à la tondeuse si courte que l’on croirait presque qu’ils ont le crâne rasé, ils donnent, dans l’ensemble, une impression de jeunesse vigoureuse. En les regardant, je me rappelle avoir lu dans les journaux, au début d’août, que leur ravitaillement devenant difficile, ils étaient tellement rationnés, qu’à Visé, lors des premiers combats en Belgique, les Allemands se rendirent aux Belges qui leur montraient des tartines de beurre. Peut-on écrire de pareilles âneries ! Ah ! ce ne sont pas ceux-là qui crevaient de faim, cela se voit tout de suite. En dehors de cela, leurs vêtements, leurs équipements sont en excellent état. Les officiers ont des chevaux superbes, harnachés de neuf, et chacun est à même de constater que les autos assurant leurs différents services, en imposent par leur beauté et leur souplesse.

En examinant cette masse grise de troupe d’où toute couleur voyante a été éliminée, où tout ornement ou accessoire brillant a été camouflé – les petits clairons même de la clique paraissent avoir été peints afin de supprimer la visibilité du cuivre de l’instrument -, en voyant avancer cette colonne uniformément terne, suivie de ses convois interminables, on ne peut se défendre de penser que l’armée ennemie a poursuivi de longue haleine, et dans les plus infimes détails, une préparation à la guerre ne ressemblant pas à la nôtre. Avec son matériel, elle donne une impression de force disciplinée, d’organisation et de puissance redoutables.

Nous voyons là, de nos yeux, et nous sommes obligés de constater que les journaux nous ont encore bien trompés.

Malgré cela, il est clair aussi que nos soldats, s’ils arrivaient en vainqueurs, s’ils chantaient comme ceux-ci, pour s »entraîner a défiler, auraient individuellement un autre aspect. Ils se tiendraient la tête haute, tandis que sauf le cadre – officiers et sous-officiers -, le reste, tout en faisant entendre de jolies voix, avance en troupeau, au pas mais sans respecter l’alignement et sans marquer le moindre souci de se présenter en prenant une allure martiale, pour entrer victorieusement dans une grande ville ennemie.

De nouvelles affiches ont fait leur apparition sur les murs, en ville. Voici exactement comment elles sont libellées, l’une et l’autre :

« Ordre Ayant pris possession de la ville et forteresse de Reims, j’ordonne ce qui suit :

Les chemins de fer, les routes et les communications télégraphiques et téléphoniques dans la ville de Reims même, ainsi que dans la proximité immédiate de la place, doivent être protégés contre toute possibilité de destruction ; il est surtout nécessaire de protéger, par une surveillance minutieuse, les bâtiments publics situés le long des lignes de communication. La ville sera tenue responsable de toute contravention contre cet ordre ; les coupables seront poursuivis et fusillés ; la ville sera frappée de contributions considérables.

J’ajoute qu’il est, d’ailleurs, dans le propre intérêt de la population de se conformer aux prescriptions précédentes. Elle aura ainsi le moyen d’éviter de nouvelles graves pertes en reprenant en même temps ses occupations ordinaires.

Le Général allemand, commandant en chef. »

Le texte de la seconde est :

Proclamation.

« Toutes les autorités du Gouvernement français et de la municipalité, sont informées de ce qui suit :

1 ° Tout habitant paisible pourra suivre ses occupations régulières en pleine sécurité, sans être dérangé. La propriété privée sera respectée absolument par les troupes allemandes. Les provisions de toute sorte servant aux besoins de l’armée allemande

seront payées au comptant.

2° Si, au contraire, la population oserait, sous une forme quelconque, soit ouverte ou cachée, de prendre part aux hostilités contre nos troupes, les punitions les plus diverses seront infligées aux réfractaires.

3° Toutes les armes à feu devront être déposées immédiatement à la mairie ; tout individu trouvé une arme à la main, sera mis à mort.

4° Quiconque coupera ou tentera de couper les fils télégraphiques ou téléphoniques, détruira les voies ferrées, les ponts, les grandes routes, ou qui conseillera une action quelconque au détriment des troupes allemandes, sera fusillé sur-le-champ.

5° Les villes ou les villages dont les habitants prendront part au combat contre nos troupes, feront feu sur nos bagages et colonnes de ravitaillement ou mettront entrave aux entreprises des soldats allemands, seront fusillés immédiatement.

Seules, les autorités civiles sont en état d’épargner aux habitants les terreurs et les fléaux de la guerre. Ce seront elles qui seront responsables des conséquences inévitables résultant de la présente proclamation « 

Le Chef d’Etat-major général de l’armée allemande, von Moltke

Le troisième placard, rédigé dans le même esprit, ne paraît pas s’adresser à nous. Il déclare, sous ce titre :

Proclamation s’adressant à la population.

 » D’après les informations reçues, la population du pays a, à plusieurs reprises, participé dans les actions hostiles. Il est prouvé que les habitants du pays, cachés en embuscades, ont tiré sur les troupes allemandes. Ils sont allés jusqu’à tuer des soldats allemands blessés ou à les mutiler d’une manière atroce. Même les femmes ont pris part à ces atrocités.

En outre, sur plusieurs routes, des barrages ont été construits, dont une partie était occupée et fut défendue par la population. La guerre n’est faite que contre l’Armée de l’ennemi et pas contre les habitants, dont la vie et la propriété resteront intactes.

Si cependant d’autres violences, de quelque sorte que ce soit, seront commises contre les troupes allemandes, j’infligerai les plus graves punitions aux coupables ainsi qu’aux habitants des communes dans lesquelles des combats contre la vie de nos soldats seront entrepris.

La population répond, avec sa vie et sa propriété, de ce qu’aucun complot aura lieu contre les troupes allemandes. Il est donc dans l’intérêt des habitants d’empêcher tout acte de violence qui pourrait être commis contre nos troupes par quelques individus fanatisés, en tenant compte de ce que la commune entière sera tenue responsable du crime commis. »

Le général commandant en chef

Si l’autorité militaire allemande ne recherche pas la correction absolue pour présenter les termes de sa prose, elle a du moins le talent indéniable de la mettre à portée de tous, au point de vue de la compréhension.

Paul Hess dans La Vie à Reims pendant la guerre de 1914-1918

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Renée Muller

6 septembre -aujourd’hui c’est dimanche- avec Maman je vais à la messe. Lucie ne vient pas – pauvre petite messe basse – où est–elle l’autre. Déjà on ne dit pas grand’chose de crainte de se faire ramasser par les boches ; je vais chercher du tabac pour Papa ; j’arrive à en avoir avec des difficultés, car le buraliste CHARPENTIER n’étant pas là, les boches ont pillé un peu sa maison comme celles que les gens avaient abandonné a eu à souffrir du passage des boches ; quelques uns de ses meubles ont été porté chez les voisins ainsi qu’une lanterne et quelques chaises…

Renée Muller dans Journal de guerre d'une jeune fille

Voir la suite sur le blog de sa petite cousine : Activités de Francette: 1914 : 1er carnet de guerre d’une jeune fille : Renée MULLER

Dimanche d’un grand calme : assistance aux offices et promenades, au fg de Laon pour les uns, en ville pour les autres, en ont occupé les longues heures.

De la rue du Carrouge, on a rapporté des légumes trouvés à la cave ; on y a aperçu un fût de bière en perce qui sera transporté en détail et utilisé au 23.

Des affiches apposées sur les monuments publics et signés « Voir Moltke », précisent les peines, de mort pour les individus, d’incendie pour la ville, qu’entraînerait tout attentat contre les soldats ou les services allemands.

Il paraît vraiment n’y avoir que de très peu de troupes ici ; on en voit beaucoup, mais qui ne font que passer, allant vers la bataille. Où ? C’est ce que nous ne savons pas.

Paul Dupuy - Document familial issu de la famille Dupuis-Pérardel-Lescaillon. Marie-Thérèse Pérardel, femme d'André Pérardel, est la fille de Paul Dupuis. Ce témoignage concerne la période du 1er septembre au 21 novembre 1914.

Source : site de la Ville de Reims, archives municipales et communautaires

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