Abbé Rémi Thinot
25 SEPTEMBRE : Vive canonnade à 1 heure du matin. Je dis, à 7 heures, pour la première fois, ma messe à la Mission.
Beaucoup de victimes hier, paraît-il pendant le bombardement de l’après-midi.
7 heures 1/2 du soir ; Journée plate ; le canon sans arrêt, quelques bombes, dont une rue du Barbâtre J’ai vu chez Sœur Gabrielle l’Écho de Paris d’aujourd’hui ; les bulletins officiels annoncent le statu quo… sur toute la ligne
L’exaspération des nerfs est grande en ville ; cette perpétuelle menace de mort commence à ébranler les plus robustes. J’ai vu 1870, dit celui-ci… les jours que nous vivons sont infiniment plus cruels. Si je savais où aller, disent ceux-là, et surtout, si j’avais une voiture, je partirais. Je n’y tiens plus ; vraiment, la situation est pénible.
Le drapeau blanc qui a été hissé pendant le bombardement du 4 septembre, a été confectionné dès les premières bombes par M. Mathis, gardien du Musée des Beaux-Arts, et porté en toute hâte à bicyclette par M. L. Bonnet, membre de la Compagnie des Sauveteurs et envoyé par l’Hôtel de Ville. L’Abbé Andrieux l’a guidé jusqu’au sommet de la tour Nord.
Les fusées qui avaient été laissées là,lors de l’installation du protecteur ont été descendues et détruites par l’Abbé Andrieux le 9 Septembre.
On a eu beau affirmer, en haut lieu allemand, que la cathédrale n’avait pas été visée ; « Faites bien remarquer surtout que si votre belle cathédrale n’a pour ainsi dire pas été effleurée, c’est que nos canonniers avaient reçu, de l’autorité supérieure, l’ordre formel de la respecter… » (Le commandant d’armes ; Lieutenant-Colonel Riesenwetter ; Courrier du 8 Septembre).
Je pense qu’elle l’a été.
Extrait des notes de guerre de l'abbé Rémi Thinot. [1874-1915] tapuscrit de 194 pages prêté à ReimsAvant en 2017 pour numérisation et diffusion par Gilles Carré.
Louis Guédet
Vendredi 25 septembre 1914
14ème et 12ème jours de bataille et de bombardement
8h1/4 matin A 1h1/4 du matin combat assez violent A 6h1/4, reprise de la bataille, car on entend encore le canon et la fusillade, et toujours à la même distance. Ah ! Cette situation de « charnière » de l’étau dans lequel notre État-major veut enserrer les allemands devient intolérable, voilà près de 15 jours (demain) que nous piétinons sur place, et que notre malheureuse pauvre ville de Reims reçoit des horions sans pouvoir en rendre. Quelle situation ! Et toujours cette insupportable odeur âcre de fumée des incendies qui vous prend continuellement à la gorge, et cela depuis 7 jours durant. Tout en est imprégné, appartements, meubles, vêtements, linges, objets usuels que l’on touche, même le pain que l’on mange, tout sent la fumée.
Qu’aurons-nous aujourd’hui ? Serons-nous encore bombardés ? Quel martyr ! Quelles tortures morales auxquelles nous sommes assujettis ! On vit comme dans un rêve, un cauchemar. On devient somnambule ! On va, on vient la tête vide, sans idée ! Puis un obus arrive, deux, trois. On retourne dans les caves et là on écoute les bombes siffler, éclater, on est comme une bête que l’on mène à l’abattoir. On pense à des choses idiotes, ou bien on ne pense pas du tout… Le mauvais quart d’heure passé, on reprend ce qu’on appelle des occupations. On voit les dégâts des uns et des autres, et, comme un chien battu qui s’ébroue quelques instants après, on n’y pense plus !
9h1/4 Deux domestiques de M. Français m’apportent une caisse et deux paniers contenant sans doute des objets ou papiers précieux à préserver. Je les leur fait descendre à la cave près de mes minutes. Que Dieu les garde comme tout ce que j’ai ici et à St Martin. Et mon pauvre cher Père ? Quelle inquiétude j’ai à son sujet, étant sans nouvelles de lui. M. Français (manufacturier, né à Reims en 1863 et décédé à Antibes en 1920) est passé ce matin rejoindre sa mère à Épernay, il a bien fait il n’y plus rien qui le retienne ici, et sa maison est journellement exposée. Hier après-midi encore il est tombé quelques obus à proximité. Il parait que rue de Tambour un projectile incendiaire a brûlé quelques maisons. Pourvu que la Maison des Musiciens soit indemne !!
Ces deux serviteurs m’ont dit que M. Français leur avait recommandé de se réfugier chez moi au cas où sa maison ne serait plus sûre ou dévastée. Je les recevrai bien volontiers, mais j’espère bien que ces braves garçons ne seront pas obligés de recourir à une telle extrémité. Dieu protège la maison de mon ami comme il protégera la mienne !!
11h Un inspecteur des Établissements Économiques vient me prévenir que la Maison Kiffer, rue Cérès, où ils ont une succursale, a reçu le 19 septembre un obus qui n’a fait que traverser la toiture pour aller tomber chez le voisin. Dégâts peu importants, un trou à la toiture et des vitres brisées. 50 Fr environ de réparations, je lui donne une autorisation pour qu’il fasse faire le nécessaire. Il me dit qu’ils ont au moins 12 ou 14 succursales complètement broyées, anéanties, la maison principale, rue du Barbâtre n’a rien eu jusqu’ici.
A quelques rares exceptions près, et sauf la journée du 12 du côté de Rosnay, tous les combats ou batailles au front de Reims n’ont été que des duels d’artillerie, lourdes et de campagne. On se tient sur ses positions pour tenir toujours les allemands accrochés, et permettre à l’étau d’accomplir son enserrement, son encerclement. Dieu le permette et le fasse réussir, car ce serait un coup formidable asséné sur la tête du colosse allemand. Ce serait le commencement de la fin, du désastre, de l’anéantissement !
6h soir Promené de deux à 5 heures. Vu le Maire, le Sous-préfet : aucune nouvelle. Quelle vie mon Dieu ! Cette incertitude est tuante. On s’est battu toute la journée aux portes de Reims comme depuis 15 jours (Le Général Battesti a été tué dans les combats de cette journée par un obus de 210 allemand à la hauteur du 209 de la rue de Cernay où il existe un petit monument). On n’avance à rien, si, à faire détruire la Ville de Reims en détail. Quelle journée pénible, énervante, fastidieuse.
8h1/2 soir Depuis 8h combat vers Cérès de mousqueterie où domine le roulement des mitrailleuses. C’est un déchirement continu qui ne s’interrompt sans doute que quand on change la « couronne » de cartouches.
Las ! Je vais me coucher, et tâcher, à cette triste chanson, et pendant que la Grande Faucheuse travaille, de lire un peu les Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand, cela me changera peut-être les idées. Je n’ai pas tenu un livre depuis un mois ! Quelle vie, mon Dieu !
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Paul Hess
La famille enlevant des provisions, retourne, dès le matin à l’endroit où nous nous trouvions hier.
Nombre de Rémois profitant du beau temps, quittent ainsi la ville, chaque jour, pour aller respirer le bon air dans les champs, en sécurité, plutôt que de s’enfermer dans les caves. Après avoir travaillé jusqu’à 11 h, à mettre mes notes à jour, je vais rejoindre tout le monde pour le déjeuner puis, nous partons, mon beau-père, les enfants et moi, dans la direction d’Ormes. Tout le long du trajet, nous pouvons examiner les tranchées, les divers travaux exécutés sur cette partie du champ de bataille où s’est déroulée, les 11 et 12 septembre, l’action devant Reims.
La commune d’Ormes est remplie de troupes.
Sur le chemin du retour, rencontré M. H. Jadart, conservateur de la bibliothèque, indigné et attristé du traitement que nos ennemis font encore subir à notre pauvre ville, car il est possible, comme la veille, de suivre de l’endroit où nous sommes, leur œuvre de destruction systématique. Avec une profonde douleur, nous voyons tomber les obus principalement du côté de Saint-remi et du Parc Pommery.
Le duel d’artillerie, pour ainsi dire ininterrompu depuis le 13, continue.
Paul Hess dans La vie à Reims pendant la guerre de 1914-1918
Cardinal Luçon
A 6 h. Reprise de la canonnade, toute la matinée. Quelques bombes dans la ville. Visite à M. le doyen de St-Jacques, aux Auxiliatrices, à tous les blessés de la clinique Roussel.
2 h 1/2 – Visite du quartier Sainte-Geneviève (Porte de Paris). Accompagné de M. Camus. Arrivé au pont, pour me jeter dans le premier groupe d’hommes que je rencontre. Surprise : Ah ! c’est vous Monseigneur. Ah ! c’est bien ce que vous faites là. Vous venez nous consoler : nous en avons bien besoin. Et tous me serrent la main : l’un d’eux fait toucher sa montre à mon anneau. Je donne des médailles aux petits enfants. Les hommes eux-mêmes en demandent. je mets deux heures à aller du pont à la Porte de Paris, allant de groupe en groupe, et causant à tous, en leur prenant la main. La glace est rompue. L’accueil est aimable de la part de tous.
Mort du Général Battesti (1 ; invité à aller priser près de son lit, maison Neuville. Visite à l’ambulance du Frère A. Honoré (Capucin) chez les Soeurs de St Vincent de Paul. Crépitement de mitrailleuses le soir, vers 8 heures. Coucher au sous-sol.
Cadinal Luçon dans Journal de la guerre 1914-1918, éd. Travaux de l'Académie nationale de Reims
(1) Le général Battesti commandait la 52e Division d’Infanterie de Réserve. Il a été tué par un éclat d’obus dans les tranchées du secteur « Rue de Cernay-Cimetière de l’Est ». La maison Neuville où son corps a été déposé est sans doute celle de Maurice Neuville, 8 rue de Betheny (en 1914, il existait trois maisons Neuville à Reims, sans compter l’usine du Faubourg de Vesle). Le général Battesti a une rue à son nom à Reims
Gaston Dorigny
Les Allemands sont toujours à nos portes, le canon qui a repris au petit jour ne cesse de gronder. A dix heures ½ du matin les batteries qui nous environnent ayant probablement été découvertes, une grêle d’obus s’abat dans notre direction. Nous ne nous sentons plus en sécurité chez nous aussi repartons-nous à nouveau chez mon père. A cinq heures du soir nous retournons chez nous, il n’y a pas de dégâts mais le canon continue à nous assourdir. Nous retrouvons le pot au feu que nous avions dû laisser en plan le matin. Après avoir soupé nous nous couchons au bruit des mitrailleuses et des fusils.
Vendredi 25 avait lieu place Amélie–Doublé, à coté de la maison bombardée, les obsèques d’un jeune homme décédé depuis près de huit jours. Une fois déjà on avait tenté de le transporter au cimetière du Faubourg de Laon mais le cortège avait dû rebrousser chemin sous la mitraille et le corps avait dû être ramené au domicile mortuaire.
Gaston Dorigny

Samedi 25 septembre
L’ennemi a bombardé nos tranchées près de Boesinghe. Nous avons riposté. Grande activité d’artillerie en Artois. Nous provoquons l’explosion d’un dépôt de munitions près de Thélus. Entre Somme et Oise (Canny-sur-Matz, Beuvraignes), nous canonnons les positions ennemies, en détruisant des abris de mitrailleuses. Violent bombardement réciproque sur le front de l’Aisne et en Champagne. Entre Meuse et Moselle, nous atteignons des rassemblements ennemis à Nonsard et à Pannes.
En Lorraine, nous endommageons des organisations allemandes sur le Remabois et la Vezouse, ainsi que dans les Vosges (Linge et Braunkopf).
Les Russes ont accentué leurs progrès en Volhynie et en Galicie. Au nord-ouest de Doubno, ils ont fait 1400 prisonniers; ils ont sabré de gros effectifs autrichiens sur le Dniester.
La Bulgarie a officiellement mobilisé vingt-huit classes et envoyé quatre divisions à la frontière serbe. La Grèce a riposté en mobilisant vingt-quatre classes, outre les quatre qui sont sous les drapeaux. On estime que la Roumanie ne se désintéressera pas de cette nouvelle guerre, si elle éclate. Les Serbes ont pris des mesures pour défendre leur frontière.
Un croiseur allemand aurait été torpillé dans les eaux danoises; le croiseur turc Hamidich a été mis hors de combat, en mer Noire, par des torpilleurs russes.
Deux taubes ont essayé vainement d’opérer au-dessus d’Abbeville.
Source : La Grande Guerre au jour le jour