Abbé Rémi Thinot

Dimanche ; 27 SEPTEMBRE :

Je vais commencer à dire la messe de 8 heures à la Mission. J’annoncerai simplement aujourd’hui la parole de M. le Curé, qui viendra dimanche prochain parler de la réorganisation du service paroissial.

SERMON ;

  1. I) M. le Curéviendra dimanche prochain nous dire dan$ quelles conditions notre pauvre paroisse continuera à vivre.
    Pauvre paroisse atteinte au cœur par la blessure criminelle faite à l’Eglise, mère du diocèse, au joyau de la France, au trésor du monde.
    Pauvres paroissiens atteints comme aucuns autres ; une partie de nos quartiers ne forme plus qu’un amas de décombres, accumulés par le fer ou par le feu…
  2. II) St ce renouveau quotidien des mêmes angoisses, des mêmes cruelles incertitudes, qui lasse le courage des plus vaillants

III) Sursum corda. Haut les coeurs, plus haut encore… Nous avons passé les jours les plus cruels ; nous passerons ceux-ci encore… Nous sommes actuellement immolés sur l’autel de la Patrie… Sursum corda ; nous nous relèverons de nos ruines ; notre cathédrale revivra ; elle n’est pas atteinte malgré les efforts de l’ennemi, dans ses œuvres vives. Nos maisons se relèveront … faisons vivre dans nos cœurs des sentiments de confiance et d’espérance… ceux-là seulement sont la vérité parce que tous les autres engendrent l’affaissement et la mort. Sursum corda ; élevons-nous jusqu’à l’idée de la France à racheter et de nos pêchés à expier, et maintenons-nous, par l’esprit de foi et la prière sur ces hauteurs. Toute Rédemption exige du sang et des larmes. Nous sortirons de l’épreuve purifiés et grandis.

Visite sous la direction de M. Léon, de la commission des Monuments Historiques. Ces Messieurs ont paru très bienveillants ; on commencera la couverture provisoire de la cathédrale aussitôt le bombardement… terminé, et c’est toute la cathédrale qu’on veut rendre au culte le plus tôt possible en fermant les portails et les vitraux. Deo gratias !

Ce soir, visite de M. Whitney Warren, grand ami de Widor et St. Saens, membre de l’Institut à titre étranger…

L’aumônier militaire à cheval photographié cette semaine passée près de la cathédrale est l’Abbé Umbricht 20ème Division – 10ème corps d’armée.

Extrait des notes de guerre de l'abbé Rémi Thinot. [1874-1915] tapuscrit de 194 pages prêté à ReimsAvant en 2017 pour numérisation et diffusion par Gilles Carré.

Louis Guédet

Dimanche 27 septembre 1914

16ème et 14ème jours de bataille et de bombardement

7h matin  La bataille a duré toute la nuit, peu de canon il m’a semblé. En ce moment il tonne assez loin me semble-t-il. Illusion. Voilà trois coups qui sont plus rapprochés. Mon Dieu ! Que les aurai-je entendu ces coups de canon, que de fois me suis-je dit : il s’éloigne, nous avançons donc ! or il n’en n’était rien…  Quelle torture morale !

6h1/4  M. Charles Heidsieck est venu me voir vers 10h du matin, nous avons causé, écrit chacun une lettre pour les nôtres, lettres qu’il fera parvenir par une automobile de l’ambulance qui se trouve chez Monsieur G.H. de Mumm. Il m’emmène vers 11h, et nous allons à la maison G.H. Mumm porter nos lettres, puis passons à sa maison de commerce rue de la Justice. Là je vois de réfugiés dans ces celliers. Ce sont de vraies scènes des temps antiques, tous ces gens sont calmes. En allant ensuite voir à la maison de son frère, M. Henri Heidsieck, rue Clicquot-Blervache, 10, en passant devant la clinique Lardenois on nous dit que la Municipalité à préconisé de faire des provisions d’eau à cause de certaines réparations qu’il y aurait à faire au château d’eau, sur lequel les allemands auraient tirés. Je quitte M. Heidsieck, le laissant aller seul chez son frère, et je cours chez moi prévenir ma domestique pour qu’elle fasse aussi sa provision d’eau. Je reviens rue St Hilaire 8, chez son fils Robert, parti au service, où M. Heidsieck s’est réfugié depuis le bombardement de sa maison rue Andrieux. Je déjeune avec lui, tout en devisant sur les événements, sur nos inquiétudes, nos désirs et surtout notre situation insupportable qui dure depuis 15 jours. Puis il me demande de faire un tour avec lui, de pousser même jusqu’à l’Hospice Roederer, rue de Courlancy. Le canon tonne continuellement. Nous rencontrons M. Eugène Jouët, puis M. Mareschal qui rentre à sa clinique Mencière. Nous apprenons que la situation n’est guère changée mais cependant meilleure. Qu’on avait intercepté un radiotélégramme des allemands leur donnant l’ordre de l’attaque générale sur tout le front, ce qui nous expliqueraient les combats incessants, de jour et de nuit, d’hier et d’avant-hier…  Par contre nous leurs rapportons ce que nous avions appris auprès de M. Robert Lewthwaite à l’Hôtel de Ville ce matin, c’est que la situation était plutôt bonne et que l’armée du Général de Castelnau, qui est au-delà de Péronne, prononcerait actuellement à un mouvement d’enveloppement sur la droite des allemands au point même de leur faire face du nord au sud. Ce serait un gros avantage si c’était vrai.

On peut remettre des lettres : à la clinique Roussel au docteur Simon tous les jours avant 10h du matin, elles partent le soir pour Paris par des ambulances, demain sur le bureau du Sous-préfet de Reims et à la Mairie qui les fait mettre à Épernay ou à Châlons à la Poste.

Le Ministre des Beaux-Arts M. Dalimier (en fait le Sous-secrétaire d’État de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts) est venu hier avec son Secrétaire d’État pour visiter la Cathédrale de Reims, et va la faire examiner par deux commissions à l’effet de voir à  la protection temporaire de ses voutes et à sa réfection. Il parait que l’Ambassadeur des États-Unis d’Amérique a tenu à voir de ses yeux les actes de vandalisme des allemands. Ils étaient encore ici aujourd’hui. Cette présence de l’ambassadeur d’Amérique a une grande portée et une grande importance, comme conséquence et surtout pour fixer le Monde entier sur la façon dont les allemands comprennent la Guerre au XXème siècle et se conduisent envers nous et nos monuments !!

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

Dans l’après-midi de ce jour, je puis me rentre chez mon beau-frère, place Amélie-Doublié et remarquer qu’une barricade, ou plutôt un barrage de tonneaux a été installé sur le pont de l’avenue de Laon. Pendant toute la durée du trajet, j’entends nos pièces tirer ; la riposte est faible

– On apprend qu’hier après-midi, un officier général aurait été tué aux portes de Reims, près de route de Cernay, au moment où il inspectait des batteries. C’est, paraît-il le général Battesti.

Paul Hess dans La Vie à Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Cardinal Luçon

Nuit plus calme autour de Reims : mais toujours le canon au loin. 5 h à 8 h. 1/2, canonnade très violente au loin.

Le P. Heinrich me raconte que ses Pères lui ont rapporté hier ceci : 200 hommes dormaient dans une tranchée, sans sentinelle. Les Allemands les surprirent et les tuèrent tous. Un capitaine qui était à peu de distance voit venir les Allemands qui accouraient avertir que les Français ne se tenaient pas sur leurs gardes ; ils criaient : En avant, Marche ! Le capitaine les reconnaît cependant pour des Allemands. Il crie à des camarades : tirez ; lui, tombe mort, tué par les Allemands ; mais les Français finirent par repousser l’attaque avec avantage ; Avec une pareille discipline, il faudrait que Dieu fît des miracles pour que nous ne soyons pas battus (1).

La 52e Division de réserve a perdu son Général (Battesti). Elle n’a pas de Colonel ; c’est un Lieutenant-Colonel qui la mène.

Matinée tranquille jusqu’à midi.

A 1 heures le tapage recommence au nord-ouest et au sud-est. Des obus sont lancés. A 2 h. M. le Curé vient me voir et m’apprend qu’il y a eu messe chantée à la Chapelle du Couchant et qu’il y aura vêpres à 3 heures. Vendredi prochain j’irai rue du Couchant (ou à la mission ?) dire la messe du 1er vendredi, faire une allocution très brève. Visite de M. Mimil, interrompue par un bombardement, descente ad ingeros.

Messe au Couchant, il y a eu grand’messe chantée avec une assistance passable. Vêpres à 3 h., je l’ai su trop tard.

Toute la journée la canonnade a été plus lointaine ou moins vive. Vers 4 h. nous sommes allés à l’Enfant Jésus. En allant, nous sommes entrés au G. Séminaire. Pendant que nous y étions, plusieurs obus allemands ont passé au-dessus de nos têtes.

Pendant la nuit du 27 au 28, canonnade insistante toute la nuit.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918
(1) Anecdote entièrement fausse, d’ailleurs invraisemblable sur plusieurs points, qui donne le ton des propos mensongers dont se nourrit l’arrière.

Gaston Dorigny

On dirait que les dimanches sont destinés à être plus terrifiants que les autres jours. Toute la journée le canon n’a cessé de tonner. Dans tous les quartiers on fait des barrages.

Au pont Huet on a fabriqué des barricades avec des madriers et des arbustes de chez Jean et de chez Maillard. A quatre heures ½ du soir les obus s’abattent sur l’aviation, le Maroc et la rue Havé. Une des filles de M.Kieberlé, rue du quai militaire est tuée dans la cour de leur maison. On va de terreur en terreur et on se demande de plus en plus se qu’on va devenir. Toute la population du Faubourg de Laon émigre et on ne peut toujours rien prévoir au point de vue résultat .

C’est le quinzième jour sans changement, les artilleurs eux-mêmes déclarent que ce n’est pas une bataille de campagne qui se livre à Reims mais un véritable siège. Jusqu’ici rien ne peut faire prévoir la suite de cette bataille de Reims. Seul l’espoir et la patience font encore vivre les habitants. L’alimentation devient difficile, les magasins sont presque tous fermés. C’est toujours l’incertitude du lendemain.

Gaston Dorigny

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 Décès de cette journée dus aux bombardements
  • BONNET Lucien Georges    – 4 ans, 33 rue de Cormicy, domicilié 28 rue de Guignicourt
  • KOEBERLÉ Joséphine Catherine Elisabeth    – 23 ans, Quai militaire, Tisseuse – victime de bombardement en son domicile
  •  RICHARD Émile Noël   – 3 ans, 8 rue des Gobelins

Lundi 27 septembre

Notre offensive est couronnée de succès dans deux importants secteurs du front. Au nord d’Arras, nous avons occupé tout le village de Souchez et avancé vers l’est dans la direction de Givenchy. Plus au sud, nous approchons de Thélus. Nous avons capturé un millier d’hommes.
En champagne, nous avons progressé de 1 à 4 kilomètres sur un front de 25, entre Auberive et Ville-sur-Tourbe. Nous sommes sur la route de Souains à Somme-Py et sur celle de Souains à Tahure. Les pertes de l’ennemi sont très importantes. Vingt-quatre canons de campagne sont tombés entre nos mains. Depuis deux jours, nous avons fait 23000 prisonniers valides.
Les Belges on forcé les Allemands à évacuer 200 mètres de tranchées sur l’Yser.
Les Anglais ont attaqué au sud du canal de la Bassée. Sur un front de 8 kilomètres, ils ont pénétré dans les retranchements ennemis jusqu’à une profondeur de 4 kilomètres parfois. Ils ont gagné 600 mètres de tranchées au sud de la route de Hooge et fait 1700 prisonniers.
Les Russes ont repoussé les Allemands devant Dwinsk avec des pertes énormes et poursuivi leurs avantages en Galicie et en Volhynie. On annonce que l’amirauté de Berlin rappelle ses grands navires de la Baltique par crainte des sous-marins russes et anglais.
La Bulgarie multiplie les notes aux puissances en prétendant qu’elle se borne à assurer sa défensive.

Source : La Grande Guerre au jour le jour