Paul Hess
Au retour d’une visite en famille, faite ce dimanche chez nos amis Bienaimé, nous voyons, vers 18 h 1/2, le lamentable défilé de pauvres gens de Charleroi et environs ayant dû quitter précipitamment leur pays, au moment où la bataille s’y est livrée. La colonne formée par ces évacués – 5 à 600 personnes, surtout femmes et enfants, pourtant des paquets de linge et de hardes – débouche de la rue Colbert, traverse la place Royale et prend la rue du Cloître pour se rendre au lycée de garçons; elle est guidée par la police. Tous ces malheureux Belges parlent d’atrocités épouvantables commises sur les leurs, par les Allemands. Nous rentrons tristement impressionnés par ce tableau navrant
Source : Paul Hess dans La Vie à Reims pendant la guerre de 1914-1918 - Notes et impressions d'un bombardé
Dimanche 23 août
Les Russes ont poursuivi les corps d’armée allemands qu’ils avaient culbutés à Gumbinnen.
Ils sont entrés dans la ville d’Insterburg qui compte plus de 350000 âmes et où ils trouvent des dépôts de vivres et de munitions importants. Insterburg est déjà à 62 kilomètres sur le territoire prussien et à 60 kilomètres de Königsberg. Les forces allemandes dans cette région semblent avoir été complètement dispersées. Elles ont perdues au moins 8000 prisonniers. La marche des Russes devient d’une signification décisive, car ce ne sont pas les forts élevés en Prusse et qu’ils ne peuvent tourner qui les gêneront beaucoup. Le généralissime russe, le grand-duc Nicolas, en signalant cette brillante victoire au gouvernement français, par l’entremise de Mr Isvolski, et en lui faisant connaître en même temps qu’il avait pris beaucoup de matériel roulant, a ajouté que les forces russes en Prusse étaient septuples des forces allemandes.
Ainsi les slaves du nord remportent comme les slaves du sud, les Serbes, succès sur succès. Les Monténégrins avancent à nouveau en Herzégovine.
Mais la grande lutte se déploie sur notre frontière.
Les Allemands, fort de 12 ou 14 corps d’armée, se sont acheminés de Liège et d’Arlon, par Bruxelles ou les rives de la Meuse, vers la Sambre. Ils ont dû laisser une forte garnison devant les forts de Namur qui les criblent d’obus, mais des masses énormes sont arrivées près de Charleroi. La gare a été bombardée samedi. Alors, nos troupes ont pris l’offensive sur toute la ligne.
En Lorraine, notre retraite s’est encore accentuée.
Lunéville a été occupée par l’ennemi. On dit que certains régiments, pris de panique, n’ont pas suffisamment résisté. Ils seront châtiés. Mais nos unités se trouvent encore sur la rive droite de la Meurthe, couvrant Nancy. Nous avons dû, pour éviter que nos contingents de ce côté restassent en l’air, abandonner le Donon et la trouée de Saales que nous avions acquis si chèrement.
Un Zeppelin, le dirigeable n°8, a été abattu par notre artillerie, près du fort de Manonviller.
L’armée belge, entrée dans le camp retranchée d’Anvers et forte de 250.000 hommes, a envoyé des colonnes volantes vers Malines pour purger de ce côté le territoire des Allemands qui s’y trouveraient.