Paul Hess

24 août – Lucien, toujours à l’affût de nouvelles, a trouvé l’occasion de causer, le long du talus de chemin de fer, rue Villeminot-Huart, avec quelques blessés descendu d’un train en stationnement ; l’un d’eux a reçu trois balles, une à l’épaule, une au bras, l’autre à la jambe. ces soldats reviennent de Tamines près de Charleroi, où leur régiment a donné hier ; il lui ont dit qu’une grande bataille est encore engagée dans cette région.

Vers 21 h 1/4, ce jour, alors que nous devisions tranquillement, à la maison, nous entendons une fusillade nourrie éclater subitement en ville – pas bien loin – se prolonger pendant quelques temps et se terminer insensiblement avec des coups de feu isolés. Nous nous précipitons à la fenêtre ouverte et voyons sur la droite, c’est-à-dire vers le nord-ouest d’où est venu le bruit, une fusée monter dans le ciel, décrire une petit courbe et éclater à une certaine hauteur. Supposant qu’on a voulu éclairer, pour les tireurs, un aéroplane allemand, je sors et vais jusqu’à la place royale où je rencontre des personnes intriguées comme moi et qui se demandent aussi ce qui a pu se passer. Il est impossible de découvrir exactement de quoi il s’agit. Un receveur des tramways dont la voiture vient de s’arrêter, peut dire simplement qu’elle a reçu une grêle de balles ; certains parlent de simple manœuvre, sans savoir, pour avancer quelque chose.

Le lendemain matin, nous avons la stupéfaction et la douleur d’apprendre que les mitrailleuses postées sur le toit de la gare ont ouvert le feu sur un de nos dirigeables : les tringlots-conducteurs de la file des poids lourds automobiles en station le long du boulevard de la République, alertés ainsi, se sont mis, eux aussi à tirer avec leurs mousquetons, des soldats se trouvant dans un train arrêté sous le pont de l’avenue de Laon, en sont descendus avec leurs fusils pour en faire autant et, fatalement, le ballon français, dont un officier a été tué et un autre grièvement blessé, s’est abattu à proximité de la Neuvillette.

Comment a-t-il été possible de commettre une aussi épouvantable méprise, une telle erreur ? Chacun se demande anxieusement. La question des responsabilités est tout de suite agitée. L’arrivé de ce ballon avait dû être signalée ; alors ! cela ne devait pas se produire. Mais, nous ne serons guère fixés. on se questionne réciproquement et personne ne sait rien. Ceux qui, peut être seraient à même de satisfaire la curiosité publique en émoi ne veulent rien dire ou préfèrent maintenir tout le monde dans le vague. Des bruits tendant à démentir la fâcheuse nouvelle, qui s’est répandue comme une trainée de poudre, paraissent même vouloir se faire jour. Tout ceci est effroyablement ridicule devant l’évidence, et laisse supposer que la tragédie lamentable est résultée tout autant d’une formidable gaffe que d’une ou plusieurs négligences coupables.

Cependant, Lucien, toujours curieux et de plus fort débrouillard, a vite fait de courir vers la Neuvillette. Il trouve le moyen d’approcher du ballon descendu et de voir l’enveloppe qui est bien celle de l’un de nos dirigeables, le « Dupuy-de-Lôme » !

Nous avions eu l’occasion et le plaisir d’admirer ce bel aérostat, avant la guerre, un jour qu’il avait survolé Reims, effectuant un voyage d’essai ; nous revoyons t nous nous représentons facilement sa silhouette gracieuse se découpant nettement, en jaune, dans l’azur du ciel.

Une émotion intense nous étreint, lorsque nous nous imagions les angoisses, le martyre moral qu’ont dû endurer ses malheureux officiers quand il se sont rendu compte qu’ils n’avaient que bien peu de chance d’échapper à la mort, en s voyant mitrailler et fusiller avec un pareil entrain par leurs frères d’armes.

Beaucoup plus tard, incidemment, la nouvelle m’est donnée que le « Dupuy-de-Lôme » était parti de la place Maubeuge.

Dans quel but avait-il entrepris son voyage à Reims ?

Quelle était sa mission ?

  • Le japon déclare la guerre à l’Allemagne
  • De nombreux blessés arrivent à Reims. Parmi eux, à la gare, un officier aurait, paraît-il déclaré, que nous avons reçu une belle « raclée » en Belgique
Source Paul Hess - La Vie à Reims pendant la guerre 1914-1918 - Notes et impressions d'un bombardé

Gaston Dorigny

Les journaux nous donnent des nouvelles qu’on veut bien leur permettre de publier.

Le soir à 8 heures 1/2 on entend au-dessus de la ville et principalement de la rue Lesage le ronflement d’un dirigeable.

Croyant à un Zeppelin, les divers postes de mitrailleuses établis dans différents endroits de la ville tirent sur le dirigeable.

On s’aperçoit trop tard de l’erreur, c’était un dirigeable français, « L’adjudant Réaux » ou le « Dupuis de Lome » le malheureux fracassé va s’échouer entre la Neuvilette et Merfy. Par bonheur seul le pilote, le lieutenant Jourdan, a été tué, les autres passagers étant indemnes.

Gaston Dorigny, journal fourni par son petit-fils Claude Balais

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Juliette Breyer

C’est aujourd’hui la Sainte Marie. Les autres années nous nous réunissions pour la fête de ta maman. Mais cette année, rien. Je n’ai pas voulu quand même laisser passer la fête sans lui faire un petit plaisir. Maman a fait un bouquet à André et lui a offert tout gentiment. Elle a pleuré, la pauvre maman.

Gaston a écrit aussi. Il est à Aubrives près de la frontière belge et il s’étonne de ne pas avoir de tes nouvelles. Je lis tes lettres à tes parents. Ils sont contents. J’ai reçu une carte de toi cette semaine. Je vois, mon pauvre Lou, que tu fais beaucoup de chemin et que tu couches sur le dur, mais je suis heureuse aussi que tu aies des copains avec toi; comme cela on parle du pays. J’ai déjà vu Mme Landa et elle n’a pas encore eu de nouvelles de son mari.

Mais que je te raconte ma  semaine. Maman est tombée malade tout d’un coup; c’est-à-dire qu’il y a déjà longtemps qu’elle aurait dû se soigner. Elle ne peut même plus boire une cuillère de bouillon et puis pas de médecin.

Comme elle loge six soldats, ils ont été gentils et ils ont été chercher un major qui n’a pas demandé mieux que de venir. Il n’a pas caché à papa qu’elle était à bout de souffle et qu’elle ne pourrait guérir que si elle réagissait d’elle-même. Elle ne peut même plus bouger dans son lit. A peine a-t-elle la force de me dire: «Vois-tu, il faut que tu reprennes André; cela me fait beaucoup de peine mais je ne peux plus le garder».

Je l’enlève. Je suis heureuse de l’avoir avec moi car je ne te le cache pas : je commence par m’ennuyer après toi, mon Charles. Cela me sera une distraction, surtout que je n’ai plus autant de travail. La vente va toujours bien, mais c’est un peu de la vente en gros, toujours pour les soldats. Pauvres diables! Vois-tu, ils viennent me conter leurs peines. Ils ne reçoivent pas de nouvelles et cela me fait penser à toi, qui n’a pas encore reçu les miennes. Et puis encore, ce qui me tracasse aussi, c’est que tu es dans un pays où le soldat n’est pas bien regardé.

Il est passé ce matin devant chez nous deux Marocains qui venaient des Ardennes. L’un d’eux était blessé et il était porté par un âne, l’autre était à vélo. Il avait si mauvaise mine. Je lui ai demandé s’il voulait quelque chose. Il a accepté une menthe. Il y avait pourtant peu de monde sur le pas de la porte mais ceux qui étaient là ont fait une quête et il a ramassé quatre francs. « Merci Madame, m’a-t-il dit,  cela portera bonheur à votre mari ». Puisse-t-il dire vrai et que j’aie le bonheur de te savoir toujours bien portant.

Ces jours-ci nous avons été surpris d’entendre sur le soir un bruit formidable comme celui que ferait un coup de canon. J’ai su hier ce qui avait fait cela. Il y a eu méprise et c’est bien malheureux. Un dirigeable français signalé pour telle heure est passé une demi-heure plus tôt et n’a pas fait les signaux conventionnels. Un canon se trouvant sur la gare a tiré dessus et a tué celui qui le dirigeait. Etre tué par les siens, c’est triste la guerre.

Enfin voilà encore une semaine de passée. Quand serons-nous à la dernière ? Bons baisers et à bientôt.

Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) - Lettres prêtées par sa petite fille Sylviane JONVAL

De sa plus belle écriture, Sylviane Jonval, de Warmeriville a recopié sur un grand cahier les lettres écrites durant la guerre 14-18 par sa grand-mère Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) à son mari parti au front en août 1914 et tué le 23 septembre de la même année à Autrèches (Oise). Une mort qu’elle a mis plusieurs mois à accepter. Elle lui écrira en effet des lettres jusqu’au 6 mai 1917 (avec une interruption d’un an). Poignant.(Alain Moyat)

Il est possible de commander le livre en ligne


Lundi soir, 24 août

Nos armées, après avoir pris l’offensive sur toute la ligne, ont dû se replier sur la frontière du Nord et du Nord-Est.Les forces anglaises ayant été attaquées, nos force se sont portées à leur secours. Nos soldats d’Afrique ont été admirables et ont infligé d’énormes pertes à la garde prussienne, à l’ouest de la Meuse.A l’est de la Meuse, nous avons foncé vers la Semoy, mais nous avons été contenus. En somme, notre retraite s’est opérée par ordre et avec discipline. Nous seront temporairement sur la défensive du côté de Maubeuge.Les Russes progressent de toutes parts. Une première armée a détruit les trois corps allemands de la Prusse orientale, une autre marche vers Dantzig, une troisième va vers Thorn, une quatrième vers Posen, une cinquième vers Breslau, en Silésie. Elles mettront en œuvre des contingents énormes.La flotte japonaise a continué le bombardement de Tsing-Tao (Kiao-Tcheou), où 5000 Allemands ont reçu l’ordre de résister jusqu’à la mort.

Source : La Grande Guerre au jour le jour