Louis Guédet

Samedi 15 février 1919

1618ème et 1616ème jours

9h matin  Le dégel, hier soir pluie battante. Toujours la même détresse et la même désolation ! Je crains de devenir fou !! Que vais-je aller faire à Reims ? Je ne sais trop ? Rien, probablement, sinon achever de mourir moralement, si c’était la Mort seulement ! quelle délivrance !…

Reçu hier une lettre de Mme de Vroïl, qui m’écrit une lettre assez énigmatique. Leur intention était d’aller s’installer à Versailles au printemps, mais elle me dit qu’à la suite d’un heureux hasard très providentiel qui lui a fait connaître des choses qui changent tous leurs projets, ils pensaient venir habiter Reims ! Elle ajoute : je crois que nous sommes à la veille d’événements bien terribles, vous aviez bien raison en déplorant l’armistice du 11 novembre dernier, qu’allons-nous encore voir ?… Les malheurs prédits à La Salette ne vont pas tarder (prédictions de malheurs en 1846 non reconnus par l’Eglise Catholique) !… Que veut-elle dire par là ? je ne sais ? que penser ? que devenir ?

Elle viendrait donc à Reims en raison de ce que notre ville entièrement ruinée ne peut pouvoir être le théâtre de nouvelles catastrophes, et que là, par conséquent, ils trouveraient une sécurité et une tranquillité relative ?? Je serais curieux de savoir le fond de sa pensée à ce sujet !!! Il est vrai qu’avec tout ce qui se passe en Allemagne, qui redresse la tête et redevient menaçante, on se demande comment tout cela se terminera. De plus il y a cette conférence de Berne, l’Internationale veut reprendre son œuvre de destruction.

Les conditions du nouvel armistice ont été bien laborieuses à établir ! Les journaux, avec ce semblant de sécurité, de tranquillité, d’assurance qu’ils proclament laissent cependant entrouvrir leur inquiétude en l’avenir. Alors ? aussi devant cela je me demande si je fais bien de retourner à Reims et de laisser ma femme et mes enfants seuls ici ? Tout cela est bien troublant, bien angoissant ! Et je suis déjà assez misérable comme cela sans avoir ces nouveaux soucis ! Faudra-t-il que je me rejette encore dans la mêlée ? Certes ce n’est pas cela qui me ferait peur ! et puis ce serait peut-être enfin l’occasion de voir la fin de mes misères en disparaissant !! De quelque côté que je me tourne je n’ai plus rien à perdre, rien à craindre ! étant arrivé à la suprême détresse !! Je crois au contraire que je ne puis qu’y gagner, non pas avec l’espoir de pêcher en eaux troubles ? non ! mais quoi qu’il advienne je ne puis être plus malheureux ni plus désespéré que je ne le suis !!! Alors ! quoiqu’il arrive je n’ai plus rien à perdre…  que la vie ! ma vie ? pour ce qu’elle vaut !! j’en fais bien facilement le sacrifice !!

4h soir  Courrier peu important en raison de mon impossibilité de répondre à nombre de lettres, les dossiers étant emballés. Répondu. Puis vers 2h été à Songy rechercher ma paire de bottines que j’avais laissé l’autre jour à mon cordonnier. Causé avec lui et fait mes adieux, c’est un bien brave homme !

Revenu par la route détrempée et dit adieu à toute la campagne environnante, à mon cher territoire de St Martin-aux-Champs, à ces champs que j’ai tant parcouru, à ces buissons des « Terres aux lapins », de la « Bataille » du « Toit d’Etrain », etc… que j’ai tant battus avec mon vieux chien Bock, chose que je ne ferais sans doute jamais plus ! adieu à ces collines languissantes, douces et onduleuses (rayé), si charmantes dans leurs lignes moutonnantes comme une mer au calme ! Mélancolie ! serrements de cœur poignants. J’ai ressenti tout cela à mon retour de Songy et j’ai pleuré !! Je vous aimais tant et tant, collines et vallons de mon cher pays natal, mon berceau ! que j’ai tant admiré, contemplé par tous les temps par toutes les saisons, sous toutes ses formes et ses aspects !! Et toujours avec une mélancolie soit joyeuse, soit douce, soit tendre, soit triste et douloureuse, mais avec toujours un amour nouveau et un charme chatoyant comme si je le contemplais pour la première fois !! Adieu mon doux Pays !! qu’il me serait bon d’y revenir finir mes vieux jours et y mourir !! puis y dormir mon dernier sommeil. Hélas ! cette consolation ne me sera pas donnée sans doute !! Je n’aurais pas le bonheur de dormir ici pour toujours, bercé par la mélancolie, la douceur, le prenant de ma campagne champenoise si rêveuse, si affolante d’amour et de charme dont on a toujours soif et dont on ne se lasse jamais !! Triste et douce ! toujours !! Adieu !! et si ce n’était seulement qu’au revoir !!

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

 Cardinal Luçon

Samedi 15 – Visite de M. le Curé Galland de Librecy ; du Prince régnant (sic) de Serbie(1) à la Cath.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

Samedi 15 février

La Conférence de la paix a tenu une séance plénière pour entendre la lecture par le président Wilson, du projet de la Société des Nations. Le président a voulu, en effet, avant de repartir le soir même pour New-York, mettre cette grande œuvre sur pied.
Des bruits de révolution parviennent de Roumanie, mais ils sont jusqu’à présent tenus pour douteux. Le cuirassé Mirabeau s’est échoué sur la côte de Crimée, ayant dû appareiller à la suite de la rupture de son amarrage, par une violente tempête.

Philipp Scheidemann

Le nouveau cabinet allemand étant définitivement formé, Scheidemann a prononcé un discours en qualité de président du Conseil. Il a parlé des réformes intérieures et de la paix.
Un débat a eu lieu au Sénat sur la reconstitution du Nord. M. Loucheur a montré les difficultés de la situation. Il a établi entre autres, que la restauration des mines coûterait 2 milliards et demanderait dix ans. Aucun des problèmes posés, a-t-il dit, ne peut être résolu rapidement. Le débat sur la vie chère a continué à la Chambre.
Radek a été arrêté à Berlin.
Un attentat, aurait été projeté à Cleveland contre le président Wilson.
Une discussion intéressante sur les revendications ouvrières a eu lieu au Parlement anglais.
Plusieurs espions ont été condamnés en Belgique.

Source : La Grande Guerre au jour le jour