Louis Guédet

Vendredi 15 mars 1918                                               

1281ème et 1279ème jours de bataille et de bombardement

5h1/2 soir  Temps magnifique, froid avec vent d’Est. Eté à Vitry-la-Vile retirer mes malheureux bagages qui sont arrivés à bon port. Travaillé toute la matinée à les reconnaitre. Courrier assez court. Lettre de Madame Georges Herment, veuve de mon ancien clerc, notaire à Doullens (Somme), tué en novembre 1915 (Lieutenant au 5e RIT, tué le 10 octobre 1914 à Beaucamp (59)), qui m’annonce son projet de remariage avec le Capitaine Baquet, du 122e d’Infanterie, Chevalier de la Légion d’Honneur, Croix de Guerre, 50 ans (Raymond Léandre Baquet, né en 1868, mariage le 9 juillet 1918), et me demande la marche à suivre pour son fils de son premier mariage (Raymond Herment (1903-1965)), et si je consentirais à être son subrogé tuteur, comme je l’avais déjà accepté. La pauvre petite femme a, je crois, raison. Elle n’aurait jamais pu élever seule son fils, le fils de mon malheureux clerc, Herment, que j’avais en profonde estime. Je lui réponds que j’accepte en souvenir du père. Cette lettre m’a néanmoins laissé songeur et mélancolique toute la journée. Je ne pouvais distraire ma pensée de ce pauvre Herment mort si courageusement, lui homme de tout devoir ! Tout cela vous attriste et vous endeuille. Que de souvenirs soulevés et remués en mon âme par cette lettre ! Que tout passe ! même le souvenir des disparus !! Pauvre Georges Herment !! Brave et honnête garçon, caractère assez singulier, un peu paradoxal, mais sérieux, sûr et de devoir – surtout – Je suis certain qu’il s’est fait tuer par devoir. Pauvre Herment ! Il est certes plus heureux que ceux qui restent.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

Paris, 15 mars 1918 – Le bel immeuble devant abriter provisoirement la mairie de Reims est situé 19, avenue de l’Opéra, à l’angle de la rue des Py­ramides. Sans transition, du jour au lendemain, nous nous trouvons ainsi transplantés au milieu d’un cadre somptueux, dans l’une des plus jolies perspectives de Paris, après avoir vécu si misérablement dans les ruines de Reims.

A 9 h, sont réunis en cet endroit, dans les superbes apparte­ments du premier étage, où fonctionnait, avant la guerre, une ban­que autrichienne, M. Émile Charbonneaux, adjoint au maire, MM. Perotin, directeur du service de l’architecture de la ville de Reims, Cullier, chef du bureau de la comptabilité, Coûtant conducteur à la voirie, rattaché depuis peu à la « comptabilité » et moi-même.

Em. Charbonneaux fait reconnaître les locaux et prend les dispositions avec M. Perotin pour les aménagements du cabinet de l’administration municipale, du secrétariat, où pourront être grou­pés différents bureaux annexes, du bureau de la comptabilité et de la recette municipale, dont les emplacements sont choisis et dé­terminés.

A la suite de démarches qu’il a faites, M. Em. Charbonneaux est à même de nous apprendre que les archives, qui sont parties de Reims derrière nous, pourront être placées dans le sous-sol de l’Office colonial, au Palais Royal.

Em. Charbonneaux nous annonce en outre qu’il serait en mesure de faciliter le logement, à Paris, d’une partie du personnel évacué et à venir — car les camarades restés à Reims ne tarderont pas à suivre.

Nous nous rendons avec lui, 281 rue Lecourbe, afin de visiter une maison nouvellement construite, dont les installations intérieu­res sont sur le point de se terminer et nous sommes très heureux qu’il veuille bien nous guider, et même venir avec nous en voir le propriétaire, en vue de résoudre, au plus tôt cette importante question. Les conditions de la location des logements de cet im­meuble sont examinées et arrêtées séance tenante. Cullier retient immédiatement un appartement, avec chambre indépendante au troisième étage du bâtiment sur cour et il est entendu qu’il me sous-louera la chambre.

Cette matinée si utilement employée, le groupe, avant de se séparer de M. Em. Charbonneaux, tient à le remercier de l’aménité avec laquelle il s’est préoccupé aussi bien des intérêts particuliers, que de l’organisation complète des services.

Les collègues nous quittent à une station du nord-sud et nous décidons, Cullier et moi, de déjeuner dans les environs. Nous esti­mons avoir lieu d’être satisfaits de ce qu’aient été résolues si rapi­dement, les différentes choses essentielles concernant notre nou­veau genre d’existence, puis nous projetons de nous rendre dès cet après-midi à la maison Walbaum, transférée à Paris, afin d’y de­mander le déchargement, en gare de la Villette, du wagon qui y est arrivé avec nos archives, ainsi que leur transport, pour partie avenue de l’Opéra 19 et pour la plus forte charge, rue de Valois, au Palais Royal.

Avant de nous remettre en route pour ce déplacement, nous faisons une courte promenade dans le quartier de notre futur do­micile. A cette heure et par une belle journée déjà printanière, il nous est très agréable de circuler librement. Nous avançons en échangeant nos impressions nouvelles ; au coin des rues Dombasle et de la Convention, nous nous arrêtons pour nous reposer un instant dans un bar — il est 13 h 3/4.

Il n’y a pas longtemps que nous sommes entrés — cinq mi­nutes à peu près — lorsqu’une très violente et formidable explo­sion, qui a fait vibrer tout dans l’établissement, se produit soudai­nement ; elle est suivie de deux ou trois autres plus sourdes, tandis qu’un énorme nuage blanc apparaît au loin, se détachant dans le ciel bleu. On court de tous côtés, dans les rues, pour chercher un refuge : Les Gothas ! a-t-on entendu crier ; patron et patronne sont disparus dans la cave — et nous nous apercevons que nous som­mes restés seuls dans le bar, devant nos tasses de café. Il nous semble que cela s’est passé dans la direction nord-est, à l’extrémité de Paris probablement, et nous sommes d’accord pour conclure qu’une importante usine vient sans doute de sauter.

En nous rendant alors à la maison Walbaum, rue de Tanger, précisément dans le sens de l’explosion, il nous est donné de voir, de moins loin, de fortes colonnes de fumée, remarquées dès la sortie du métro, et paraissant annoncer un incendie immense — puis, en allant toujours, d’apercevoir la foule au milieu de laquelle passent, se suivant de près, bon nombre de taxis transportant des blessés.

Nous apprenons enfin qu’une épouvantable catastrophe s’est produite. Un dépôt considérable de munitions, composé principa­lement de grenades, a été détruit à La Courneuve. Il y a quantité de victimes — les journaux, le lendemain parlent d’une trentaine de morts — et les dégâts qui se sont étendus, rasant, ravageant tout jusque dans un rayon éloigné, sont des plus sérieux.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Cardinal Luçon

Vendredi 15-0°. Nuit à peu près tranquille, sauf quelques obus de temps en temps jusqu’à 4 h. A 4 h. 15, heure solaire, violente canonnade aux Cavaliers de Courcy. Via Crucis in Cathedrali, 7 h. 30 à 8 h. 30, mugiente canone. A 6 heures, des éclats d’un obus contre avions viennent frapper nombreux dans l’angle de mon cabinet avec la maison Miltat. 6 h. Visite du Capitaine Luizeler, de l’architecte et de M. de Bruignac au sujet du 2e radio-télégramme de l’ennemi relatif au poste d’observation optique qu’il prétend avoir aperçu sur la Cathédrale. On me remet les clefs des serrures de l’enclos et des portes de la Cathédrale pour que je les gardé. Ma Note paraît dans l’Écho de Paris auquel elle a été transmise par le Ministère ou la Commission de l’Armée.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173


Vendredi 15 mars

Légère activité d’artillerie de part et d’autre en Champagne, dans les régions des Monts, dans les Vosges, à l’est de Saint-Dié et dans la région de l’Hartmannswillerkopf.
Trois appareils allemands ont été abattus par nos pilotes.
Notre aviation de bombardement a effectué plusieurs sorties. Neuf mille huit cent kilos de projectiles ont été lancés sur les gares, usines et terrains d’aviation de la zone ennemie.
En Macédoine, activité d’artillerie sur la rive droite du Vardar et au nord-ouest de Monastir.
Nombreux bombardements exécutés par les aviations alliées sur la ligne Sérès, Drama, sur les dépôts ennemis de la vallée du Vardar et sur la gare de Berauci, au nord de Monastir.
Sur le front britannique, nos alliés ont exécuté des coups de main sur les tranchées allemandes, au sud-est d’Epehy et ont ramené des prisonniers.
Des tentatives de raids ennemis, au nord de la voie ferrée d’Ypres à Staden, ont complètement échoué.
Activité des deux artilleries au sud-ouest de Cambrai.
Recrudescence de l’activité de l’artillerie allemande, dans les secteurs de Neuve-Chapelle et de Fauquessart.
Combats de patrouilles et d’artillerie sur le front italien.

Source : La Grande Guerre au jour le jour