Louis Guédet

Jeudi 5 juillet 1917

1027ème et 1025ème jours de bataille et de bombardement

8h1/2 matin  Nuit calme si on veut, parce qu’on n’a pas eu d’obus trop à proximité, mais nuit de combats et agitée. Très mal dormi. Ce matin temps gris couvert élevé et plutôt froid. Les journaux du matin ronflent encore sur la Grande offensive russe !! La belle blague ! Enfin c’est une occasion pour les parisiens de s’amuser, se réconforter et bien déjeuner ! Ils souffrent tant les pauvres malheureux et privés de tout… La guerre ne doit pas exister pour ce peuple privilégié ! C’est assez bon pour les rémois et les paysans…  mais les fils des riches bourgeois doivent être bien à l’abri et parader dans les rues de Paris à faire des visites pour montrer leurs uniformes immaculés, et…  sauver la France !!

1h Le bas de la page a été découpé juste après.

…vers 2h1/2 à la Poste, un sous-officier du 2ème Génie demande à me voir. Je m’excuse de ne pas le recevoir, mais nous faisons route ensemble jusqu’à la rue Libergier. Il venait me voir de la part de M. Albert Cousin, d’Amiens, (Albert Cousin, avoué à la cour d’appel d’Amiens, frère de l’épouse de Maurice Mareschal (1854-1931)) et me demande si la maison avait beaucoup de dégâts. Je la lui montre rapidement, et nous causons en route. Il me dit qu’il y a 70 000 habitants  de Reims dont les maisons sont entièrement démolies ou rasées. C’est lui qui a fait le relevé. Il me dépeint le découragement des troupes depuis la dernière offensive, et leur excitation contre les officiers. Lui est d’avis que nous n’aurons pas de Révolution aussitôt après la Guerre à cause des Anglais et des Américains qui nous tiendraient la bride, mais il ne dit pas que cela ne pourrait pas arriver 2 ou 3 ans après. Il a aussi entendu parler très fortement de bruits de paix en ce moment, cela revenait à ce que je disais de la réflexion de Marcel Hutin (Journaliste et Rédacteur en chef de l’Écho de Paris, très lié avec le Grand Quartier Général (1869-1950)) dans l’Écho de Paris d’hier. Un coup de théâtre pour la Paix. Et Marcel Hutin quand il lance ces points d’interrogation est toujours sûr que c’est certain, il le fait en question (sous forme de question), mais question que les événements confirment rapidement. Il paraitrait qu’il aurait toujours ces renseignements de Poincaré lui-même, avec lequel il serait au mieux… Ces sous-entendus sortent toujours de cette source… Ce sous-officier très distingué, un ingénieur probablement, est effrayé de l’état d’exaspération et de découragement des hommes. Et il me quitte sur ces mots : « Quand un état-major rate une offensive comme la dernière, c’est qu’il est incapable de faire quoique ce soit !… » Nous nous quittons sur ces paroles. Hélas il a parfaitement raison et c’est aussi mon sentiment.

6h soir  Mon faucheur François, 171, rue de Vesle, est venu mettre le foin des pelouses en tas, il y en a 3 gros « machos » comme on dit chez moi, qui peuvent représenter 80 bottes à 0,80 = 64 F. J’ai payé pour son travail (fauchage, fanage, mise en tas 11 F = (13h3/4 à 0,80 l’heure). Bref je vais avoir fait une 50aine (cinquantaine) de francs nets de ce foin qui risquait fort d’être perdu, et que dont je cherchais à me débarrasser au début pour rien. Ce sera un petit revenu pour Mme Mareschal. Qui n’eut jamais dit que ces pelouses n’auraient jamais produites un revenu quelconque !! Il fallait la Guerre et un juge de Paix de Guerre, doublé d’un notaire pour trouver cela.

La bataille parait avoir cessé vers Prunay – Mont Cornillet. Mais cela tapait fort. Devant Reims aujourd’hui le calme.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Cardinal Luçon

Jeudi 5 – + 15 °. Nuit tranquille en ville. Combat au loin, à l’est. Mati­née tranquille. De 1 h. à 4 h. bombardement sur ? assez violent, un obus à la fois, assez près de nous ; des éclats tombent autour de nous, chez nous, rue du Barbâtre. Chez les Sœurs de l’Espérance, un éclat est tombé sur la table de repassage. Visite à M. Sainsaulieu.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173


Semaine du 5 au 11 juillet

Opérations militaires sur le front français.

Après un ralentissement de quelques jours, remplis seulement par la canonnade et des escarmouches, les combats ont repris avec vivacité, en particulier sur les plateaux qui séparent la vallée de l’Aisne de celle de l’Ailette, l’ennemi multipliant ses efforts pour nous reprendre les positions avantageuses, les observatoires excellents que nous avons conquis.
C’est le matin du 7 juillet que la lutte s’est ranimée. En quatre points du front compris entre le moulin de Laffaux et la ferme de Froidmont, les masses allemandes nous ont abordés. Entre la ferme Froidmont et les Bovettes le combat fut particulièrement dur. L’ennemi réussi d’abord à pénétrer dans notre première ligne sur près de 3 kilomètres. Mais le lendemain, une contre-attaque vigoureuse nous a permis de reprendre la presque totalité du terrain perdu. De nouvelles attaques sur le Panthéon ont été brisées. Pour mener à bien cette affaire, les Allemands avaient mis en ligne des troupes d’élite appartenant à trois divisions différentes. Elles ont subi de lourdes pertes. D’autre part, à l’est de Cerny, nous avons amélioré nos gains du 1er juillet, devant Ailles. Une forte entreprise ennemie menée le 8 juillet, dans la soirée, dans la région d’Hurtebise et du Dragon, a, d’autre part, échoué.
En Champagne, des actions de détail ont tourné à notre avantage au Mont Haut et à l’est du Mont Cornillet.
Sur la rive gauche de la Meuse, nous avons, le 8 juillet, brillamment enlevé, trois saillants fortement organisés, l’un à l’ouest du Mort-Homme, les deux autres au sud-ouest de la cote 304. Plusieurs tentatives ennemies ont été victorieusement repoussées.

Sur le front Britannique.

Les communiqués britanniques de la dernière semaine n’ont signalé que des escarmouches ou des coups de main d’importance secondaire en différents points du front. Le 5 juillet, nos alliés ont avancé leur ligne sur une étendue de 600 mètres au Sud-Ouest d’Hollebecke. Une activité d’artillerie assez intense a régné dans le secteur de Nieuport où, depuis quelque temps, les Anglais ont relevé les Français et une partie des troupes belges.

La Guerre Aérienne

Une grande expédition de bombardement a été effectuée avec un plein succès par nos aviateurs dans la nuit du 6 au 7 juillet. 84 appareils, dont deux seulement ne sont pas rentrés, y ont pris part. De minuit 15 à 1h10, onze de nos avions ont survolé Trèves, et, y ont fait pleuvoir 2650 kilos d’obus. Sept incendies ont été aperçus, dont un d’une grande violence à la gare centrale. Vers la même heure, six appareils bombardaient Ludwigshafen et en particulier l’importante usine de la Badische-Anilin. En outre le maréchal des logis Gallois poussait jusqu’à Essen, où il lançait de nombreuses bombes sur les usines Krupp

L’offensive Russe

Durant la dernière période, les opérations en Galicie orientale ont été marquées d’abord par la résistance victorieuse russe aux contre-attaques austro-allemandes sur le front primitif d’offensive russe entre les approches du Zloczow et celles de Brzezany, puis par une nouvelle offensive de nos alliés au sud du Dniester. Après une journée d’accalmie, le 5 juillet, l’ennemi chercha à refouler les avant-postes établis à l’est de Bzrezany, tandis que plus au nord, il se portait par deux fois à l’attaque des positions perdues au cours des combats précédents. Dès le lendemain de ces tentatives infructueuses, la lutte devint extrêmement violente, chacun des adversaires passant alternativement de l’offensive à la défensive, celle-ci soutenue de nombreuses contre-attaques.

A l’aube du 6 juillet, après un feu de destruction qui dura plusieurs heures, l’infanterie russe, dans la direction de Zloczow, enleva trois lignes de tranchées. Mais, dans la journée, elle ne put accentuer sa progression, et, dans la soirée, dut ramener quelque peu en arrière une partie de ses unités.

En même temps, à l’ouest du village de Koniuchy, une bataille acharnée se livrait. Les ouvrages et les points fortifiés passèrent à plusieurs reprises de mains en mains. La région étant généralement boisée, les Austro-Allemands profitèrent des couverts pour amener en ligne des réserves, dont l’intervention réduisit les premiers avantages obtenus par les Russes. Aux abords mêmes de Brzezany, malgré de violentes initiatives réciproques, la situation acquise ne subit aucun changement. Ce fut aussi, dans cette journée du 6 que le général Kornilof, gouverneur de Pétrograd au début de la Révolution, devenu commandant de l’armée au sud du Dniester commença à préparer son offensive dans la région de Stanislau, en mettant en action son artillerie et en refoulant les avant-postes ennemis.

Le 7 juillet, le colonel-général von Boehm-Ermoli, qui dirige, sur le front général du prince Léopold de Bavière, le groupe des armées de Galicie, ordonna une énergique contre-offensive dans tout le secteur dont Koniuchy est le centre. Les masses austro-allemandes s’avancèrent à rangs serrés, en particulier sur la ligne Godow-Dortun. Tous leurs furieux assauts furent brisés parmi les pertes les plus sanglantes.

Mais, le 8 juillet, tandis qu’au nord du Dniester, la bataille se résolvait temporairement en un duel d’artillerie, le mouvement en avant des troupes de Kornilof prenait, au sud du fleuve, un caractère bien déterminé d’offensive stratégique. Après d’efficaces bombardements, l’infanterie russe s’élançait, vers midi, à l’assaut de toutes les positions longuement fortifiées par les Autrichiens depuis l’automne dernier à l’ouest eu au sud-ouest de Stanislau.
Le front d’attaque embrassait une envergure d’une trentaine de kilomètres, au long de la Bistritza, depuis Jezupol, ville situé sur le Dniester en aval de Haliez, jusqu’à Bohorodezany. Sur cet alignement, les diverses organisations, ainsi que leurs points d’appui, parmi lesquels la gare de Lysiec, furent emportées, et la cavalerie russe, lancée à la poursuite de l’ennemi en retraite, atteignit en certains points la rivière Lukwa. Ce brillant et rapide succès valut à nos alliés la capture de 131 officiers, 7000 soldats, 48 canons dont 12 de gros calibre, et d’une grande quantité de mitrailleuses.
Le 9, parmi de sanglants combats, l’avance russe se poursuivit dans la double direction d’Haliez et de Kalusz. L’ennemi reculant vers la Lomnica, ayant perdu une profondeur de terrain d’environ 10 kilomètres, abandonna encore un milier de prisonniers.

La Guerre Navale

Les derniers raids aériens sur l’Angleterre

– La semaine dernière, le sud-est de l’Angleterre a été attaqué deux fois par des escadrilles d’avions allemands de grand modèle. La première attaque, le mercredi 4 juillet, vers 7 heures du matin, n’a duré que quelques minutes; les quinze avions qui y ont pris part se sont enfui vers le large, après avoir bombardé Harwich. Ils furent rencontrés à une assez grande distance du littoral belge, par des avions navals britanniques venant de Dunkerque, qui en abattirent deux et en endommagèrent gravement un troisième. Le nombre des victimes du bombardement est de 47, dont 11 tués et 36 blessés. Les dégâts matériels sont peu importants.
Mais, plus grave de beaucoup, a été la seconde attaque, le 7 juillet. Ce jour-là, une force aérienne ennemie puissante composée d’une vingtaine d’appareils, volant en deux groupes, apparut vers 9 heures du matin, au dessus de l’île de Thanet et de la côte Est du comté d’Essex qu’elle bombarda. Les avions continuèrent de faire route vers Londres, qu’ils abordèrent par le nord et survolèrent ensuite suivant une direction Nord-Ouest-Sud-Est, en marchant assez bas, lentement, en formation serrée, ceux du centre seuls lançant des bombes, ceux des côtés repoussant les avions de chasse britanniques qui les attaquèrent vivement. L’ennemi n’est resté qu’un quart d’heure environ au dessus de la ville. Ce raid a causé la mort de 43 personnes.

Atlantique

– Le 4 juillet, à 4 heures du matin, un sous-marin allemand a émergé devant Ponta-Delgada (Açores) et l’a bombardée. Une batterie de côte et un transport américain ont riposté.

Méditerranée

– Un communiqué officiel nous avise que, le 19 juin dernier, le sous-marin Ariane, commandé par le lieutenant de vaisseau Viort, a été coulé par un sous-marin ennemi. Tous les officiers ont péri ; 9 hommes ont été sauvés. Guerre sous-marine – La situation est stationnaire. Parmi les navires coulés par les sous-marins ennemis, sont le paquebot français Calédonien, torpillé en Méditerranée (sur 431 personnes, 360 ont été sauvées) et le vapeur américain Orléans, torpillé dans l’Atlantique.

Source : La Grande Guerre au jour le jour