Louis Guédet

Vendredi 29 juin 1917

1021ème et 1019ème jours de bataille et de bombardement

9h matin  Hier vers 8h1/2 soir orage avec pluie torrentielle. Nuit assez agitée, endormi tard et mal dormi. Pour peu que cela continue je perdrais le sommeil je crois. Ce matin le calme. J’ai trouvé enfin un faucheur qui fauche en ce moment le gazon des 2 grandes pelouses. C’est un ancien cocher qui me conduisait à la chasse à Nauroy. Que tout cela est loin, fort loin ! Ce faucheur dit que la maison, rue Souyn, où était réfugié mon vieil expéditionnaire M. Millet, aurait reçu une bombe. Pourvu qu’il ait emporté dans les caves les quelques actes que je lui avais donné à expédier. Ce serait une fatalité si c’était détruit. Quelle vie ! quelle existence ! sans but, à voir à chaque instant ce qu’on commence détruit, pulvérisé. On ne sait que dire, que penser. Oui ceux qui sont restés ici ont eu tort, grand tort. Les peureux ont eu raison de partir et ils triompheront.

4h1/2 soir  Reçu diverses lettres, notamment une de M. Paul Cousin, notaire à Paris, m’apprenant qu’Henry Mareschal (1898-1967) est…

Le bas de la page a été découpé.

On verra. Porté mon courrier. Rencontré Dufay-Lamy (Emile-Joseph Dufay, un des architectes de la reconstruction de Reims (1868-1945), époux de Jeanne-Julie Lamy (1876-1963)), tous deux décédés à Monaco) qui m’a causé de la maison Maillet-Valser (Augustin Maillet, imprimeur (1828-1913) et son épouse Fanny Anne Alexandrine Valser (1839-1919)), rue Boulard, qui ferait peut-être mon affaire. En causant de la situation de Reims et surtout de l’attitude de l’autorité militaire envers nous, il me contait qu’étant hier matin justement dans le bureau de la Place, rue Dallier, il entendit le lieutenant-colonel Frontil, commandant de Place de Reims, qui était dans son cabinet, et dont la porte était ouverte parler des 2 malheureux qui ont été tués l’avant-dernière nuit rue Passe Demoiselles (ou proche) et cette brute de s’écrier : « C’est bien fait, ils n’ont que ce qu’ils méritent, ils n’avaient qu’à foutre le camp. Je voudrais qu’il en arrive autant à tous les rémois qui s’entêtent à rester ici ! » Je n’ai pas à insister sur l’odieux du propos. Voilà comme nous sommes traités par ces brutes galonnées !

Rentré chez moi et cherché à travailler un peu, mais je n’y ai guère le cœur.

C’est un peu plus calme qu’hier.

Trouvé mot de Charles Heidsieck qui se disposait à venir me voir, mais en a été empêché par le bombardement de son quartier rue de la Justice ce matin. Il me donne rendez-vous demain matin à 8h1/2 avant 9h devant son départ par l’autobus d’Épernay à 9h, devant chez Bouchardeau place Drouet d’Erlon 18, où stationne la voiture et où elle prend des voyageurs. Il parait que ce service d’autobus aller et retour Reims – Épernay fonctionne bien, il y a 2 départs d’ici à 9h du matin et à midi, avec retour d’Épernay à 11h et 9h. On peut prendre une valise. Je m’en servirai à mon prochain voyage. Ce service marche depuis le 15 juin 1917. J’irai donc voir cet ami demain pour causer un peu.

8h soir  Mon faucheur a fini de (tondre) faucher à la faulx les 2 pelouses du jardin. Ce soir en écrivant ces mots cela sent bon l’herbe fraîchement coupée et cela me remémore tous mes souvenirs d’enfance, tous mes souvenirs de St Martin, quand enfant à l’âge de mon Maurice je me roulais avec mon fidèle compagnon, l’unique du reste, le vieux Bock, sur les verts « andains » (coupes de foin mises en rangées pour l’enlèvement) de notre prairie, si paisible, si verte, si douce, aux clairs soleils laiteux si particuliers à notre douce Champagne. Je me revois courant, bondissant dans cette vaste plaine marmorée (de la même couleur excepté quelques points sombres), courant après papillons et libellules, écoutant la caille « Paye tes dettes » (appellation courante campagnarde du chant de la caille) faisant partir sous mon pied le râle subtil au vol lourd et court, et parfois arrivant à la faire prendre à l’arrêt à mon vieux Bock 1er ou encore la perdrix qui pour nous égarer et sauver sa couvée s’envolait sous le nez de mon chien pour retomber comme blessée à 20 mètres de là , puis repartant encore dans mes jambes 3/4 fois, et quand, jugeant sa nichée sauvée et blottie en lieu sûr, nous partait alors sous le nez en caquetant à plein vol pour se moquer de nous. Doux souvenirs. Tristes souvenirs, mélancoliques souvenirs pour le pauvre agonisant que je suis… Demain mon faucheur le fera sécher, le mettre en tas et me trouvera un acheteur à 0,80 la botte. Un notaire de Reims, le juge de Paix de Reims, aura donc fait ses foins en l’an de grâce 1917 sous les bombes, je lègue ce fait à la postérité. Encore un épisode de l’époque tragique que nous traversons qui sort de l’ordinaire.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

29 juin 1917 – L’Éclaireur de l’Est annonce 2 000 obus pour le 27. De 2 h à 3 h du matin, tir violent de nos pièces.

Le communiqué dit que le 28, il y a eu 1 200 obus sur Reims, dont huit sur la cathédrale.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Cardinal Luçon

Vendredi 29 – + 16°. Nuit tranquille. Rendu visite au Général Schmidt ; à M. Walfard, au Colonel Frontel. Via Crucis in Cathedrali à 6 h. soir.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

Vendredi 29 juin

Bombardements intermittents dans la région du monument d’Hurtebise, sur le Casque, le Téton, le mont Blond et le Cornillet. L’artillerie ennemie a été vigoureusement contrebattue sur tout le front.

Sur les pentes du mont des Roches (nord de Jouy), une forte patrouille ennemie, qui tentait un coup de main, a été repoussée.

Une tentative allemande sur le saillant de Wattwiller (nord-est de Thann) a échoué; l’ennemi a laissé plusieurs morts entre nos mains, dont un officier.

Des engagements de patrouilles devant Flirey et Bezonvaux nous ont permis de faire des prisonniers.

Un avion allemand a été abattu au sud de Craonne. Le pilote et l’observateur ont été capturés.

Sur le front belge, l’ennemi, après avoir bombardé les tranchées au sud de Saint-Georges, a lancé un détachement à l’assaut. Ce détachement a été rejeté après une lutte corps à corps, éprouvant des pertes sérieuses. Canonnade vers Steenstraete.

Les Anglais ont accompli une nouvelle progression au cours de laquelle ils ont fait des prisonniers au sud de la Souchez. Ils ont atteint les abords d’Avion.

Les Italiens ont repoussé une attaque autrichienne sur le plateau d’Asiago.

Les élections à la Constituante russe sont fixées au 30 septembre 1917.

Source : La Grande Guerre au jour le jour