Louis Guédet

Lundi 25 juin 1917

1017ème et 1015ème jours de bataille et de bombardement

8h1/2 matin  La nuit a été calme. J’ai pu dormir. Ce matin canonnade habituelle. C’est bien fatiguant. Le temps est nuageux, mais la journée s’annonce belle. Les journaux ne disent rien. Je ne sais même plus pourquoi on s’obstine à les lire, pour ce qu’ils nous disent. Des bêtises, des mensonges pour nous leurrer, nous tromper et nous endormir.

Hier soir après dîné j’avais été porter une lettre à la Poste, et en sortant je me suis heurté à M. Jean Bondelle, propriétaire du Café Jean. Jean qui se trouve au coin de la rue Clovis et de la rue Hincmar 41 – 43. Le papa Jean, comme d’ordinaire nous taillons une « bavette », et dans la conversation, comme on causait des décorations dernières, il m’apprend que tous les soirs vers 5h/6h Beauvais, Dor le charcutier, Hapillon, un original, et Joliat (à vérifier) du Grand Bazar, un suisse, venaient pour une heure là à jouer à la Manille et surtout bavarder. C’est là, parait-il, que s’ébauchent les fameuses listes à rubans pour être soumises ensuite au comité…  d’Appel, composé de Dramas, Beauvais, Guichard qui tient alors ses assises dans la salle à manger de Dor, charcutier place Drouet d’Erlon, au coin de la rue St Jacques, impasse St Jacques 2, sous la présidence de la belle ?? et opulente Madame Louis Dor. Voilà comment sous la 3ème République et sous les bombes les décorations sont distribuées. On n’oublie pas les copains, croyez m’en, et encore bien moins ses rancunes politiques et personnelles.

En veine de confidence, le Père Jean me confiait tout cela d’un air convaincu et surtout important. Bref son café est devenu une succursale du Palais de la Légion d’Honneur, excusez du peu. On en aura vu de drôles durant cette Guerre !…  mais surtout des tristes et des navrantes.

Tout à l’heure en allant chercher mes lettres à l’École Professionnelle transformée en Hôtel des Postes, Hôtel de la sous-préfecture, Caserne des Pompiers de Paris, etc…  etc…  et centre du Gouvernement municipal « d’à côté » représenté par l’unique, le seul Beauvais. Je vais tâcher de voir ce dernier pour connaître son sentiment sur l’article du Petit Rémois qui l’a pas mal éreinté, lui et son aréopage politicien. Je suis curieux de voir l’impression qu’il en a, ce sera une étude de psychologie…  politique qui me permettra de l’analyser de plus près. C’est intéressant pour l’avenir de ces notes…

Le Maire de Reims, le Docteur Langlet, né le 7 septembre 1841, 76 ans, champenois de race dont il a la longue et haute stature, posture largement développée, belle tête toute blanche fine, surtout le nez très fin, grande barbe blanche émaciant l’ensemble de cette physionomie de médaille, yeux bleus très perçants et parfois pétillants de malice rusée.

En dehors de son héroïsme durant cette guerre et connue de tous, héroïsme entêté en bon champenois, le caractère du Maire est surtout dominé par cet entêtement contre lequel on ne peut rien. On s’y heurte comme contre un roc. C’est là la seule difficulté qu’on rencontre dans ses rapports avec lui, aussi s’agit-il de le tourner pour arriver avec lui à ce que l’on veut. Il y a un moyen notamment qui réussit assez souvent, c’est avec de la patience de lui insinuer une première fois son idée, mais d’une façon très vague, très superficielle et attendre, pour revenir à la charge quelques temps après pour laisser germer dans son esprit de façon qu’il la croit sienne, alors si vous arrivez à cela, votre idée triomphera et vous aurez réussi. Il est droit, quelque fois brutal, mais rarement. Sa vie est d’une simplicité patriarcale comme ses mœurs. Dans le fond il est particulièrement bon, seule la politique le durcit, et alors il devient 1848 ; vieille barbe à tous crins par principe, et périsse tout plutôt que cela.

Ses débuts dans la vie ont été très durs. D’une famille modeste il est arrivé assez difficilement au doctorat en médecine puis à l’École de Médecine. Très critiqué, très discuté comme capacités professionnelles par ses collègues de l’École surtout, il s’est relié en lui-même, et n’ayant que peu de satisfactions de ce côté, il s’est alors jeté à corps perdu dans la politique avancée. C’est un lutteur, et surtout un tenace, et il est arrivé ainsi à la force du poignet. Et arrivé Maire de Reims, c’est la Guerre qui l’a révélé et a fait de lui ce qu’il est. Une physionomie rémoise pour l’Histoire de notre ville et de la France… Il est foncièrement bon et il a continué à exercer sa profession de médecin et surtout en faveur des pauvres, des petits, des humbles et des malheureux. Au point de vue religieux (sans croyance je crois) à mon avis il n’est et n’a été sectaire que par principe, sans plus, en raison intellectuelle il reviendra à mon avis à des idées plus marquées en matière religieuse, sinon d’une conversion. C’est un humanitaire faisant le bien et agissant par pur sentiment du devoir et par dédain de toute récompense. On dirait qu’il l’accomplit simplement par orgueil de le faire. Pour le principe à ce point de vue c’est un idéologue. Il agit par dédain de tout. Il agit en apôtre, pour l’Idéal qu’il s’est créé. Il est intelligent, subtil, écrivant bien quand il le veut. Mais cette rigidité de mœurs, de caractère, d’idées mêlées à son entêtement inné, parait quelque fois être de l’apathie. Durant l’occupation allemande, et je crois déjà je l’avoir dit dans ces notes, quand il luttait contre les von Zimmer et consorts prussiens, parfois je me suis demandé s’il se rendait bien compte du danger que sa ténacité, sa résistance entêtée lui faisaient courir. Je ne crois pas, et là il y avait certainement dans son esprit et sa conduite une lacune qui pouvait amener les pires catastrophes. En tout cas c’est une belle physionomie digne de passer à la postérité et malgré ses défauts (qui n’en n’a pas) et les critiques dont il a été et il est encore en but. C’est un héroïque Civique, que j’admire sincèrement.

1h1/2 soir  On reparle de l’Évacuation de Reims. (Rayé) eux qui ont tout (rayé) maintenant qu’au lieu (rayé) français (rayé).

5h1/2 soir  Les allemands ont bombardé de midi à 3h du soir sans discontinuer vers le Barbâtre et le Faubourg Cérès, sans qu’un seul canon des nôtres ne répondit !! Tout le monde croit et ne s’en cache pas que nos états-majors le font exprès pour nous forcer à partir. C’est honteux. Ces jours-là on ne voit pas un officier courir les rues soyez-en certain.

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…tirer de sous, et allez donc.

6h1/4 soir  Canon et bombardement toute la journée, on en est assommé. Ils ont tiré surtout sur St Nicaise où nous avons des batteries, sur Ste Anne, et un peu partout. C’est bien fatiguant et surtout déprimant, on est continuellement en éveil, et tout en travaillant on est en alerte. Reçu lettre du Procureur de la République qui me demande de lui signaler les confrères de l’arrondissement cités et décorés. Sur 39 notaires de l’arrondissement il y avait 16 mobilisés…

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Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

25 juin 1917 – L’ennemi redouble d’acharnement vis-à-vis de nous. Bombar­dement des plus serrés sur les batteries de la rue Hennequin et le quartier Neufchâtel, qui est massacré de la place Luton à la rue Blondel.

Reprise du bombardement vers le Barbâtre.
Le communiqué annonce aujourd’hui 1 200 obus pour la journée du 24.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos


Cardinal Luçon

Lundi 25 – + 15°. Aéroplanes, tir contre eux. Visite à Clairmarais avec M. Abelé (le Curé). De 1 h. à 6 h. Bombardement acharné. De 12 h. à 6 h. des éclats tombent chez nous. Visite de M. Pierre Abelé.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

Lundi 25 juin

A l’est de Vauxaillon, une vive contre-attaque nous a rendu la majeure partie du saillant encore tenu par l’ennemi au nord-est de la ferme Moisy.

Assez grande activité des deux artilleries dans la région Hurtebise-Craonne. Au sud de Juvincourt, nos contre-batteries ont enrayé un violent bombardement de nos lignes. Une contre-attaque allemande, qui se préparait dans cette région, n’a pu sortir de ses tranchées sous la violence de nos feux.

En Champagne, nous avons aisément repoussé une attaque ennemie au nord-est du Cornillet.

Vers Auberive, nous avons effectué un coup de main et ramené des prisonniers.

Canonnade sur la rive gauche de la Meuse.

Sur le front belge, les Allemands bombardent la région de Dixmude et de Steenstraete-Hetsas. Lutte de bombes à la Maison-du-Passeur. Les Anglais ont fait des prisonniers au sud de la Scarpe, au cours d’engagements de patrouilles. Canonnade vers Croisilles et Messines.

En Macédoine, rencontre de patrouilles dans la région du lac Doiran. A l’est du lac Presba, l’ennemi a exécuté de violents tirs d’artillerie et de mitrailleuses sur nos tranchées : il n’a tenté aucune action d’infanterie.

Le nouveau cabinet von Seidler, composé de fonctionnaires, est constitué à Vienne.

Un complot allemand, sur lequel le Storthing délibère en secret, a été découvert en Norvège.

Source : La Grande Guerre au jour le jour