Louis Guédet

Dimanche 24 juin 1917

1016ème et 1014ème jours de bataille et de bombardement

9h matin  Nuit d’insomnie à partir de 10h3/4 du soir, les allemands n’auront pas cessé de tirer sur la ville à intervalles irréguliers coup par coup toutes les 5 – 10 – 15 – 20 – 30 et 40 minutes, jusqu’à 5h du matin. Impossible de dormir, on était éveillé à chaque fois qu’on assoupissait. Tous ces obus passaient pour la plupart au-dessus de nous avec leur sifflement strident (c’étaient des autrichiens) ou alentours. Je suis éreinté. La nuit précédente du reste ils avaient déjà tiré sur Ste Geneviève mais moins longtemps, un incendie avait été allumé 8 rue Ste Geneviève chez Mme veuve Godart. Tout est brûlé. Je n’ai encore aucun résultat du bombardement de cette nuit qui semble avoir été fait par une unique pièce.

Ce matin il a fallu se lever à 6h1/2 bien fatigué pour aller à la dernière messe de 7h dite par l’abbé Divoir. Pas d’autres prêtres, que le jeune vicaire qui dirige les chants avec Mlle Becker comme organiste, Boudin, Jean du Nouveau Cercle et un autre. Sermon sur la fête de St Jean Baptiste dit par l’abbé Divoir, durant lequel les obus ne cessent de siffler. Salut en fin de messe, avec communion consommatrice donnée à la même fidèle, Melle Kauffmann (?). Depuis cela le canon n’a cessé de tonner contre les avions allemands. Pas un des nôtres ! comme…  toujours hélas ! pour leur donner la chasse. La nuit de même nous n’avons pas répondu par un seul coup de canon à cette pièce qui ne cessait de tirer sur nous ! On se demande, et je ne suis pas le seul, si vraiment nos états-majors noceurs ne le font pas exprès pour décourager notre si vaillante population. C’est à le croire. Du reste nos galonnés font tout, tout pour nous obliger à partir…

5h1/2 soir  Courrier assez volumineux auquel j’ai répondu rapidement. Porté ces lettres vers 2h1/2, de là passé au Petit Rémois lui causer de son article sur les décorations qui est très sobre, ce dont je l’ai félicité. On ne parle pas de moi, c’est ce que je désirais. Passé rue Buirette et au 19 – 21 (chez Madame Georges Goulet et les religieuses Auxiliatrices) j’entends un concert de violon, violoncelle, flute et piano. C’était une valse !! De la musique, une valse ? Dans nos ruines, dans nos larmes, au milieu du sang qui coule partout. Ce ne peut être que des galonnés ! En effet c’est là que se terre notre commandant de Place et ses valets ! Des femmes entrent pour égayer ce couvent sans doute ? Quelle honte. Il était exactement 2h25. Rencontré des officiers et des sous-officiers, toujours avec la même attitude provocante, insolente.

Il serait tombé cette nuit 2 bombes, au 1 rue Dallier où étaient installés les bureaux de la Place !! (Rayé)!! Quelle (rayé) ne passera pas (rayé) en (rayé).

Je file par la rue des Telliers – Tirelire où je constate l’état du 15, maison appartenant à notre Directeur de l’Enregistrement de la Marne, M. Barry (à vérifier). Elle est fortement abîmée au coin de la rue de la Tirelire et du boulevard de la République. (Au 2ème étage tout le coin est enlevé à cette hauteur) et poussé jusqu’au cimetière du Nord que je n’ai pas visité depuis 2/3 mois. Quels désastres !! Le péristyle de la chapelle est entièrement démoli…  la statue de l’Espérance en marbre du monument Godbert est broyée. Prié sur la tombe de mon pauvre ami Maurice Mareschal. Mais quelle désolation ! Des herbes folles, des orties partout, les sentes des chemins remplies d’herbes. Un vrai cimetière de campagne…  abandonné, oublié. Ce cimetière naguère si soigné, si entretenu, si…  léché !!… C’est pénible, mais il me semble cependant  qu’au milieu de cette végétation folle et désordonnée les morts reposent mieux de leur dernier sommeil. Personne ne vient les déranger, les indifférents fuient maintenant ce désert…  désolé. Pris un journal en rentrant et me voilà désœuvré, désolé, encore plus désolé de tout ce que j’ai vu. Il faut donc que partout où je porte mes pas je ne trouve que des ruines…  des désolations.

Rue de la Tirelire
Angle de la rue de la Tirelire et du boulevard Foch, ancien boulevard de la République

8h soir  Ce cimetière du Nord m’obsède. C’est le tableau de la dévastation au milieu du domaine de la mort. Ce ne sont que tombes et monuments brisés, broyés, pulvérisés, effondrés par les obus. Ce n’est que caveaux béants, laissant voir et cercueils et ossements, et sur tout cela une végétation estivale de forêts vierges et de savanes. J’erre pendant une heure dans ce vaste désert. De-ci de-là je me penche sur une tombe béante. Tout à coup un foisonnement, un bruissement, est-ce une âme qui me parle, un mort qui ahale une plainte contre les vandales qui ont troublé son repos éternel, non ce n’est qu’un merle qui me frôle, s’enfuyant d’un buisson de roses perché sur cette haie feuillue. La vie près de la mort. Rien de nouveau sous le soleil. Les morts dorment de leur dernier sommeil. Les oiseaux du ciel nichent et chantent parmi ces tombes au milieu des herbes folles. Je traverse au hasard ce monde de tombes, frôlant les unes, enjambant les autres, à m’y perdre. A un moment donné je suis obligé de m’orienter pour retrouver ma route, et comme je reprends ma marche un lapin de garenne au gîte déboule à mes pieds, bondissant, sautant et se terrant dans une tombe ! Je passe devant le monument de l’abbé Miroy qui est encore intact (Monument emblématique de ce cimetière représentant l’abbé Miroy étendu mort après son exécution par les prussiens le 12 février 1871). Les bombes des vandales respecteraient-elles la victime de 1870-71 ? Eux du moins ne respectent rien, pas même les morts. Le monument de Drouet d’Erlon est aussi indemne. Je quitte ce lieu de désolation. Le cœur rempli d’horreur de tout ce que j’ai vu.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

Dimanche 24 juin 1917 – Bombardement toujours très violent.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Cardinal Luçon

Dimanche 24 – + 12°. Nuit tranquille sauf obus envoyés de temps en temps, où ? 6 h., aéroplanes, tir contre eux. Bombes sur l’avenue de Laon. Un Père du Saint-Esprit est obligé de se coucher par terre plusieurs fois en venant nous voir. Messe militaire à Ville-en-Selve, Fête du Sacré-Cœur. Sermon sur la France et le Sacré-Cœur au 8e d’Artillerie volante(1). Visite au Maire, bon chrétien qui tient l’harmonium à l’église. Mgr Neveux à Dizy, la matinée ; à Champillion (sic) l’après-midi. Quelques obus sifflent le soir vers 10 h.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
(1) Ce terme ne correspond à aucune unité e l’armée. S’agit-il d’un terme familier à mettre entre guillemets ou d’une erreur de transcription ?


Dimanche 24 juin

Violent bombardement, suivi d’une nouvelle série de tentatives allemandes sur les points attaqués les jours précédents, d’une part dans la région de Vauxaillon, d’autre part au sud et au sud-est de Filain. Toutes ces attaques ont été repoussées et n’ont valu à l’ennemi que des pertes sérieuses sans aucun avantage.

La lutte a été particulièrement vive entre la ferme de la Royère et la ferme Froidmont. Les Allemands qui avaient élargi leur front d’attaque à l’est de l’Epine de Chevregny jusqu’au nord de la ferme Froidmont, ont multiplié leurs efforts pour enlever les positions contre lesquelles ils s’étaient brisés la veille.

Les vagues d’assaut, disloquées par nos feux n’ont pu aborder nos lignes ni déboucher du saillant où elles avaient pénétré. D’autres tentatives ennemies, à l’est de Chevreux, à l’est des Cavaliers-de-Courcy et dans le secteur des Chambrettes, ont également échoué. De notre côté, nous avons fait dans les lignes allemandes plusieurs incursions qui nous ont valu des prisonniers.

Les Allemands ont jeté 1200 obus sur Reims.

Les éclaireurs russes ont réussi à occuper plusieurs tranchées allemandes. M. Venizelos est arrivé au Pirée sur l’invitation de M. Jonnart, pour conférer avec M. Zaïmis. Sur le front roumain de Moldavie, la lutte s’intensifie.

Source : La Grande Guerre au jour le jour