Louis Guédet

Vendredi 12 janvier 1917

853ème et 851ème jours de bataille et de bombardement

6h soir  Temps maussade de neige fondue, et rayé de soleil malade…  triste journée. Écris ce matin au Procureur de la République M. Bossu pour le féliciter de sa nomination comme Procureur Général à Bastia, cela m’émotionne beaucoup. C’est un déchirement pour moi. Enfin audience civile à 9h1/2, mouvementée !! J’en suis encore tout nerveux, il me faut si peu de chose maintenant… ! Je tomberai bientôt certainement. Je suis à bout de nerfs. Mais procédons par ordre.

Un conseil de famille Lesage-Baillette, de braves gens de Trois-Puits, morts père et mère (Maurice Alfred Lesage, né en 1883, soldat au 94ème RI, tué à Douaumont le 18 mars 1916, et son épouse Gabrielle Clémence Baillette, née en 1891 et décédée en 1914), laissent 2 petits fort seuls (dont Aimé Lesage (1911-1976)). Là j’ai vu le grand Baillette, pauvre garçon enlevé par les allemands jusqu’à Warmeriville lors de la retraite de Champagne. Il y est resté 18 mois à travailler avec les allemands. L’usine Harmel était transformée en caserne, 2 régiments et 400 chevaux, on l’employait aux travaux de culture et au nettoyage des rues. Pas trop maltraité. Tous les hommes de 16 à 40 ans parlent maintenant allemand !!

La gare de Bazancourt a été démolie par la grosse Julie, mais ils ont fait une voie de raccordement et rien n’a été changé. On voit que cet homme un peu fruste se rend compte de la puissante organisation des allemands. Bref il n’a pas trop souffert.

Ensuite une affaire idiote d’injures entre voisins qui se continuait devant moi, cris, injures, piaillements de femmes, etc…  avec cela l’agent d’affaires véreux et taré de Duytsche qui n’arrêtait pas de créer des incidents, il y avait déjà 3/4 d’heure que cela durait !!  Quand après la déposition plutôt mouvementée d’un témoin nommé Marchand, je m’aperçu que j’avais sur mon bureau une lettre (déposition identique) du témoin que j’avais oublié de signaler au fameux Duytsche. Très innocemment je lui tends la lettre en disant : « Tenez, j’ai oublié de vous la donner avant, mais lisez-là, elle est identique !! » Alors Duytsche lève les bras d’horreur : « Vous ne m’avez pas donné connaissance de cette lettre avant la déposition, c’est un cas de récusation. Je récuse ! en me regardant !! » – « Vous me récusez, et bien soit !  Sortez d’ici tous, et vous irez trouver un autre juge de Paix pour juger votre affaire ».

Tabellion !!! Il parait qu’il voulait simplement dire qu’il récusait le témoin et non moi !

Bref je les ai flanqués à la porte. J’étais au bout de mes nerfs avec ces cris durant 1h. Landréat et Jésus mes greffiers étaient pétrifiés et ma foi embêtés. Quant à moi ! Je risque une plainte de cette fripouille au Procureur. La réponse était facile, aussi je m’en faisais pas trop de bile ! Bref repassant à 3h au Greffe 59, boulevard de la République pour remettre à Landréat une pièce, je me heurte à Duytsche qui sortait, et derrière lui mon brave Landréat qui, rayonnant, me dit que l’affaire est arrangée en réunion à 15 heures, et Duytsche ne portera pas plainte !! Plainte de quoi ?…  Je crois au contraire que j’ai pris le bon moyen avec lui et que je serais délivré de ses laïus !…  Bref tout est bien qui finit bien, mais que j’ai les nerfs tendus. Avant j’étais monté à l’Enregistrement rue de la Concorde, et en rentrant, au pont de Vesle, je glisse et m’étale sur le pont devant la sentinelle, dont le mouvement de présentation d’armes devant un de mes citoyens, le capitaine de gendarmerie Girardot et (en blanc, non cité) avait occasionné ma glissade. Le Capitaine de dire : « Cela glisse ! » – « En effet Capitaine, mais c’est moins glissant que le Parquet Général pour les Gendarmes !! » Tête du Galonné !! qui n’a pas pipé. Je pars demain pour Paris.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Cardinal Luçon

Vendredi 12 – Nuit tranquille ; + 2°. Via Crucis in Cathedrali aquis lamentabiliter inundata.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

Vendredi 12 janvier

En Argonne, à la Fille-Morte, nous avons fait sauter une mine qui a causé de gros dégâts dans la tranchée adverse.
Sur la rive droite de la Meuse, une attaque des Allemands, dirigée sur une de nos tranchées du bois des Caurières, a été repoussée après un vif combat au cours duquel l’ennemi a subi des pertes sérieuses.
Actions d’artillerie en Haute-Alsace, en Woëvre et dans la région de Verdun.
Les Anglais ont effectué toute une série d’opérations secondaires.
Au sud de l’Ancre, des détachements ont pénétré sur deux points dans les tranchées allemandes de la région de Grandcourt et y ont enlevé des prisonniers. Une autre opération a eu lieu avec un grand succès près de Beaumont-Hamel. Une tranchée a été enlevée sur un front de 1200 mètres. Une contre-attaque ennemie a été dispersée. Nos alliés ont fait l76 prisonniers.
Ils ont encore pénétré dans les lignes allemandes à l’est d’Armentières et au nord-est d’Ypres.
Aucune action militaire importante sur le front d’Orient. Lutte d’artillerie sur la Strouma et dans la région de Monastir.
Les hydravions britanniques ont bombardé Gerevitch, au nord-est de Xanthis. Douze avions britanniques ont bombardé les établissements militaires de Hudors et de Stroumica. Huit avions français ont opéré près de Velès.
Le cuirassé anglais Cornwallis a été coulé en Méditerranée.

Source : La Grande Guerre au jour le jour

Bois de Caurières
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