Madeleine Guédet

Jeudi soir 6 août 1914

On nous dit à l’instant que les Français seraient à Saverne et à Château-Salins, puis que les Belges combattent avec les Allemands et sont entrés en Allemagne.

Il parait que les frères Falck, gros marchands de bois de Vitry-le-François ont été arrêtés il y a quelques jours au moment où, déguisés en maçons ils se préparaient à partir en Allemagne où ils étaient officiers. On a saisit sur eux une très grosse somme et des papiers compromettants. On dit qu’ils seraient déjà fusillés.

Beaucoup moins de trains passent parait-il.

Nous n’avons pas de journaux aujourd’hui encore.

Il faut des permis de circuler partout, puisque toute la France est en état de siège.

Nous n’avons plus de houille et on ne peut en avoir, plus d’électricité et bien peu de pétrole ou bougies que nous ménageons beaucoup. On fait la cuisine au charbon de bois ou devant le feu de la cheminée de la cuisine.

J’ai eu ce matin une lettre de Louis et une de Papa datées du 3 août. Comme je les conserve je n’en indique pas le contenu, je note cependant qu’ils croient que l’on a annoncé des blessés de l’escarmouche de Longwy.

Journal de Madeleine Guédet épouse de Louis Guédet, retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Louis Guédet

Jeudi 6 août 1914

9h1/2 soir  Journée calme !!?? oui calme !? en apparence ! Quand le soleil brillait les hommes passaient ! passaient ! vers la frontière ! Toujours la même obsession ! obsession ! qui vient de me reprendre, de me ressaisir…  de m’agripper !

Libre seulement le soir, je suis allé à la gare pour avoir les heures des rares trains qui pourraient me conduire près de mes enfants, de ma pauvre femme, demain. Je cause à l’un et à l’autre de ces braves cheminots qui sont admirables de dévouement, et tout à coup j’entends dans la cour de la gare « La Marseillaise » chantée devant l’entrée de l’enregistrement des bagages où je me trouvais. Weiss le chef de factage me dit : « Venez voir ! » Je vais sur le trottoir au milieu des chariots abandonnés et là je vois 200 hommes petits et grands, hâlés, qui chantaient ! « Ce sont des Zouaves ! » me dit mon interlocuteur. Ils arrivent, ils ont passés la frontière pour s’engager : or touchant vraiment le sol de la France à Reims ils le saluaient de notre chant de victoire !! Il y en avait des grands et des petits…  l’un de ces derniers, un gamin pas plus grand que mon André représentant 10 ans (il avait 15 ans) à qui je demandais comment il se trouvait au milieu de cette bande : « Monsieur mon frère est là qui a 20 ans et je l’ai suivi !! » – « Que feras-tu quand il sera engagé ? » – « Je le suivrai, les Prussiens en tuent trop chez nous !! il faut que nous en tuions aussi des Prussiens !! » Pauvre gosse !! Et ils étaient là chantants toujours !!…

Weiss rentrant à son bureau et voyant mon émotion me disait : « Vous auriez du être là à 4h, il est arrivé une bande d’alsaciens, 800, je crois, qui venaient de là-bas et l’un des leurs me disait que sur 80 qui avaient tenté de traverser la frontière à travers la forêt il y en avait eu 35 de tués par les douaniers allemands qui tiraient sur eux comme sur des lapins ! »  Sauvages !! « Et malgré tout ajoutait ce malheureux transfuge, il y en aura encore beaucoup d’Alsaciens qui viendront chez vous quitte à être fusillés à la frontière !! »

Rentré dans la salle d’enregistrement des bagages je repasse sur le quai de la voie de la gare et je vois passer un train de wagons de marchandises (60 à 80 wagons) bondé de soldats : ceux-là arrivaient du Mans, ils chantaient sans fanfaronnade et ils réclamaient : « La peau de Guillaume ! » Un employé me disait  « Ils sont tous comme cela depuis 8 jours…  mais M. Guédet, sans bousculade et sans blague de leur part ! Vous savez si Guillaume en revient ! J’en rends mon brassard ! »

Et toujours le même calme, le même vouloir, la même simplicité de ces hommes qui vont vaincre ou mourir.

Mourir ? peut-être ? mais Vaincre ? assurément !!

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

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