Le 15 septembre 1914

Ma chère maman,

Je ne t’ai pas mis l’endroit où nous sommes de façon à éviter tout retard. Depuis mon départ, j’ai juste reçu une carte de toi dans laquelle tu me dis que papa perd sa place. C’est gai pour nous, et que G. et Pierre sont au feu. Jean à […] et Raoul à la maison. Je n’ai aucune nouvelle d’Élisabeth à qui j’ai écrit au moins dix lettres. Je n’y comprends rien. Les fantassins reçoivent des lettres qui mettent cinq jours pour venir de Paris, et nous rien. Sois sans inquiétude pour moi, je l’ai échappé belle plusieurs fois mais je ne me suis jamais si bien porté, même pas un rhume, ce doit être la vie à la campagne. Tout un mot à Elisabeth puisque mes lettres ne lui parviennent pas. Elle doit être furieuse contre moi. Donne-moi des nouvelles de G., J. et R. ainsi que de toute la famille. Je n’ose pas te dire que les fonds sont en baisse car vous devez être ennuyés à l’heure actuelle.

Heureusement que tout va bien, il paraît que les Boches sont en déroute sur toute la ligne, mais, ce qui n’est pas rigolo, c’est s’il me fallait faire des troupes d’occupation. Mon cheval est légèrement amoché mais il marche encore bien. Les pauvres vieux ne sont pas à la noce. Ils en voient de dures, je t’assure, sur les champs de bataille. Il y a des milliers de cadavres allemands ; ils ne se donnent pas la peine de les enterrer et ils ne soignent plus leurs blessés. Ils abandonnent aussi leurs canons pour courir plus vite. Si, comme je l’espère, je vous revois, j’en aurai à vous raconter. En attendant, je vous embrasse de tout coeur et vous dis à bientôt.

Jacques



Le 20 septembre 1914

Mes chers parents

J’ai reçu une carte de toi hier, elle était datée du 13 septembre ; comme cela, ça va, mais tu me dis que la dernière carte que tu as reçue de moi est du 22, je n’y comprends rien, car je n’y mettais rien qui puisse lui procurer du retard. tu me dis aussi que Georges et Pierre sont blessés. J’espère que ce n’est pas grand-chose. Dis ce que c’est car tout de même, si Georges est au Mans, cela doit être assez grave. Raoul et Jean sont-ils toujours à Paris et à Meaux ? C’est aujourd’hui dimanche et nous avons, quelques-uns, repos. Aussi, presque tous, nous en avons profité pour aller à la messe, car, par hasard, l’église n’a pas été démolie par les Allemands, comme ils ont coutume de faire. Je crois que les lettres arrivent cachetées, c’est pourquoi je puis te dire que nous sommes à Einville, dans la Meurthe-et-Moselle, à côté de Lunéville. Nous sommes dans ses parages-là depuis trois semaines, c’est-à-dire depuis que nous sommes partis de la Lorraine annexée. Les Allemands brûlent et démolissent tout sur leur passage, de sorte que nous trouvons la désolation partout. Comme nouvelles, nous ne savons rien. On dit tellement de blagues que l’on ne croit plus rien du tout. Il commence à faire froid, de la pluie, et du vent et tout paraît plus triste. Ainsi les chevaux aussi font de drôles de bobines. Si tu pouvais m’envoyer un chandail bien chaud, je t’assure qu’il serait le bienvenu, surtout qu’ici, il n’y en a pas.

Par ici, les choses ont l’air de bien aller, les Boches reculent visiblement, nous leur avons pris pas mal de canons grâce à la pluie, leur artillerie se déplaçant mal dans les terrains lourds. J’ai entendu dire qu’ils demandaient la paix. Il faudrait qu’ils se dépêchent car je dois être libéré demain et j’ai raté mes vingt-deux jours de permission.

Papa a-t-il trouvé quelque chose, et cela ne doit pas être commode en ce moment. Je vois d’ici votre tracas. J’ai reçu il y a trois jours, cinq lettres. Deux de toi, deux d’Élisabeth et une de Jean. Tu penses si cette avalanche m’a fait plaisir. Je crois du reste te l’avoir déjà écrit et ensuite, je mélange tout. Tu dois me croire à moitié fou mais moi, tout va bien, sauf un peu de colique et de froid au pied. Écris-moi de longues lettres avec de vos nouvelles. Tu peux les cacheter, on ne les ouvre pas et maintenant, elles mettent quatre à cinq jours à nous parvenir ainsi que les colis. Embrasse toute la famille de ma part, au fur et à mesure que tu les verras. Il pleut à plein temps, ce qui n’a rien de rigolo, mais si vous êtes tous dans le même état que moi, nous serions bien heureux. C’est pourquoi, je te répète, ne t’inquiète pas de moi, cela te fera toujours un souci de moins. Je vais écrire à Élisabeth pour la tranquilliser aussi et lui faire prendre un peu patience, elle qui m’attrapait pour deux jours de retard. Qu’est-ce qu’elle doit dire maintenant que les lettres mettent un mois pour lui parvenir ? La vie à Paris est-elle beaucoup changée ? Et la nourriture, que pensez-vous de l’approche de l’armée allemanden en voilà qui ne doutent de rien, il faut espérer qu’ils vont payer cher les carreaux cassés mais, ce qui m’ennuie, c’est cette troupe d’occupation, ce serait le bouquet.


Au revoir, à bientôt, je vous embrasse tous de tout coeur. 

0 … Demain matin !!!!!

30 septembre 1914

Tout va bien.

Nous sommes dans le Nord, à Abbeville pour l’instant.

Je vous embrasse tous
.

Jacques