Louis Guédet

Dimanche 22 juin 1919

1745ème et 1743ème jours

6h soir  Chaleur excessive, et pas d’ombre avec nos maisons rasées. Je suis parti ce matin pour Fismes à 6h20, arrivé à 7h1/2. Fait le tour de la ville ! Quel désastre ! C’est plus impressionnant que Reims, car l’on sent qu’il, on voit qu’il y a eu une lutte acharnée, féroce…  on voit trace de cela à chaque pas. Dans les rues, sur les murs. Dans les débris des maisons. Des tombes dans les cours, dans les jardins. On a l’impression du mouvement, de la lutte, des corps à corps féroces dont tous les cours ont été les témoins.

La maison de mon ancien patron, celui qui est cause que je suis notaire à Reims, M. Remy, notaire à Châlons-sur-Marne où j’ai débuté (Charles Rémy, notaire, membre de l’Académie nationale de Reims (1818-1896)), route de Paris (nationale) n’existe plus. C’est un trou de 15 à 20 mètres de diamètre et de 10 mètres de profondeur, un vrai cratère. Il ne reste rien, des pierres, des toitures, etc…  juste 2 grosses poutres maîtresses !! Il parait que ce sont des torpilles américaines qui faisaient ce beau travail. Du reste il parait que les allemands avaient une peur terrible des américains. Je visite également la maison de M. Lelong, ancien notaire à Laon, parent de ma femme, elle est écharpée et dans un état lamentable. Dans une armoire je trouve un vieux livre de Droit administratif lui ayant appartenu. Sur le premier feuillet il y a écrit de sa main au crayon : « Paul Lelong, notaire à Laon ». J’emporte ce feuillet pour l’envoyer à ma chère femme !! Cette maison évoque de nombreux souvenirs !! pour moi ! J’en suis tout attristé. Dans le jardin, des tranchées et un abri blindé de commandement. Route de Crugny, je cherche la maison de Melle Varin (Jeanne) de Reims (Jeanne Varin, née en 1870, a épousé à Paris le 2 septembre 1916 Emile Hallade) ! Je la trouve difficilement dans ce chaos, une tombe allemande se trouve dans le jardinet.

J’arrive chez Bruneteau, notaire, mon confrère, qui est tout joyeux de me voir. Il veut absolument que je déjeune avec lui. Je lui objecte bien que mon train est à midi, mais celui-ci me répond imperturbablement et dur comme fer que le train ne passe en Gare de Fismes toujours qu’avec 1 heure de retard, ce qui a été encore vrai aujourd’hui ! Je le quitte pour aller à la messe à 9h. L’église est au 3/4 démolie, il ne reste plus que la chapelle du transept sud, dédiée au Sacré-Cœur, dont la statue a la moitié de la tête enlevée par un éclat d’obus. Le Curé, l’abbé (en blanc, non cité) l’a parfaitement aménagée ! Peu de monde ! Grand-messe chantée par les fidèles qui…  déchantent à chaque instant. Je fais le tour de l’Église. Le pauvre clocher qui était si gracieux, si pimpant dans son style du XVIe n’existe plus. Un regret pour moi, car à 22 ans de distance, lors de ma première visite de Fismes, j’avais été très pris par ce clocher, cette église, cette charmante et calme ville du Tardenois. J’en avais conservé une impression de douceur, de charme, d’attendrissement, d’affection que je n’ai jamais oubliée et qui me remue encore profondément quand j’y songe !! C’était aussi par une journée aussi chaude que celle-ci.

Les cloches ont été enlevées par les allemands, et je remarque que toutes les plaques des chaises et prie-Dieu ont été raflées par ceux-ci…  comme les boutons de portes, les robinets de cuivre, c’est de même partout où ils ont séjourné ou passé.

Dans le jardin du presbytère qui surplombe les remparts et d’où on a une vue magnifique sur la plaine et la colline qui encerclent Fismes au Nord, je ramasse une douille de 77, ce sera un souvenir.

Au sortir de la messe je salue Mme Forzy, la femme de mon ancien clerc, qui est également notaire à Fismes, et fit glorieusement son devoir comme capitaine, Croix de Guerre, etc… Je le reconduis chez elle en devisant, sa maison est fendue en 2 comme une maison de poupée. Forzy, qui est absent, a une baraque comme Étude. Je cause un bon moment avec celle-ci qui insiste pour que je déjeune avec elle, mais je refuse ayant promis à Bruneteau de déjeuner avec lui.

Je rentre chez Bruneteau et nous déjeunons en tête à tête. Il me raconte ses aventures, il a été réellement courageux, aussi je serais heureux qu’on lui donnât la Reconnaissance française que j’ai demandée pour lui.

Il me raconte les combats terribles qu’il y a eu dans Fismes, où il n’était plus resté que 3 vieilles femmes qu’on a été obligé de ligoter pour les emmener. La ténacité de l’amour du foyer mène aux cendres.

Il y a 3 000 tombes d’américains et autant de français et d’allemands, couchés là côte à côte, les français et les allemands mélangés, tandis que les américains sont tous ensembles dans un grand quadrilatère avec 4 quartiers, cantons de 7 à 800 tombes rangées systématiquement, tête à tête, par rangs de 50 tombes surmontées de croix blanches. Au milieu, un grand mat où flotte le pavillon étoilé…  De loin ce cimetière ressemble à un grand champ de lys ! Sur les croix un seul nom, et un n° d’ordre, rien de plus.

Durant le peu de temps que les allemands ont occupé Fismes (en 1918) qui a été pris et repris 3 ou 4 fois, ceux-ci ont trouvé le temps de faire des monuments en pierre sur les tombes de certains de leurs tués, et toujours avec leur fatuité habituelle. Des inscriptions orgueilleuses.

Fismes et les environs sont encore occupés par des troupes américaines, françaises, kabyles, noires, annamites et chinoises, qui terrorisent la contrée et tous les jours on apprend des vols et des viols. Hier encore une jeune fille a été trouvée nue et violée dans un champ. La population réclame impérieusement le départ de ces rebus de société. Les femmes ne sortent plus dans la plaine.

Bruneteau me conduit à la Gare et je repars vers 1h1/4 au lieu de midi !! Le train n’avait pas voulu manquer à son retard coutumier.

Rentré fatigué vers 3h, dépouillé mon courrier, écrit quelques lettres portées aussitôt à la boite au coin de la rue Hincmar et Chanzy (Il y en a toujours une au même emplacement, cent ans plus tard).

J’ai hâte de dîner et de me coucher, il est 7h.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Fismes – Albums Valois BDIC

Cardinal Luçon

Dimanche 22 – Fête-Dieu à Sedan, S. Charles

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

Dimanche 22 juin

Une majorité très nette se dessine à l’Assemblée nationale allemande pour la signature de la paix. Les Etats du Sud sont unanimes pour la signature, si le gouvernement Prussien s’y est montré hostile.
Le revirement des socialistes majoritaires et du centre est complet en faveur de l’acceptation du traité.
En tout cas, les puissances alliées et associées ont fait savoir qu’elles n’accorderaient aucune prorogation du délai imparti à l’Allemagne.
Le roi d’Italie a poursuivi ses consultations. On parle d’une combinaison Nitti-Tittoni, mais un replatrage du ministère Orlando est tenu pour improbable.

Source : La Grande Guerre au jour le jour