Louis Guédet
Lundi 7 avril 1919
1669ème et 1667ème jours
9h matin Temps magnifique, nuit d’insomnies. Je suis fort fatigué. Enfin je pars dans 1 heure. Pourvu que j’arrive à un résultat dans cette affaire Jacquemart pour les enfants Heidsieck.
6h soir Parti de Reims à 11h55. Nous traversons les lignes de tranchées, amies et ennemies. Witry-les-Reims. Rien ! L’église est en ruines, j’aperçois la maison de ce pauvre Lacoisne que j’ai vu la dernière fois en septembre 1914, ainsi que j’ai dû le relater au début de ces notes ! s’il m’avait écouté il serait peut-être encore en vie. C’est un martyr du devoir. Lavannes, on aperçoit le clocher, de la Gare rien. Bazancourt fort abîmé. C’est insensé ce que les allemands ont remué de terre. Tous ces pays sont totalement changés de physionomie. Entre Bazancourt et Le Châtelet, fort abîmé, nous traversons dans une forêt de sapins un immense parc et dépôt de munitions abandonnées.
Tagnon est assez épargné. En quittant Tagnon le tunnel étant sauté, le train fait un immense circuit sur une voie de fortune pour franchir cette immense colline de démarcation des eaux de l’Aisne et de la Marne. Une seconde locomotive nous pousse, on avance au pas, cette montée me rappelle énormément la montée sur Pontarlier. Arrivé au sommet la locomotive de queue nous abandonne et revient à Tagnon. Quant à nous nous descendons cette montagne après une courbe énorme et reprenons à la sortie du tunnel auquel des centaines de prisonniers travaillent actuellement à remettre en état la voie normale.
Durant tout mon voyage nous ne voyons que la plaine inculte, et personne, c’est le désert. En tout cas à l’aller et au retour je n’ai pas vu dix vaches ! quant à des chevaux de cultures j’en ai compté 7 ou 8 attelés à des charrues !! Quel désert ! 86 kilomètres parcourus sans apercevoir la valeur de 20 ares de cultivés !!!
A Rethel les eaux de l’Aisne envahissent la plaine à cause des « étendues » faits par les allemands, de même pour la Retourne et la Meuse ! Inutile de dire que nous franchissons tous les cours d’eaux sur des ponts de fortune, les autres étant dynamités. A Rethel miséreux réseau de voies ferrées, des baraquements, Rethel est rasé. Nous ne marchons bien entendu que sur une seule voie, la 2nd ayant été dynamitée tous les 40 mètres, ou les rails enlevés par les allemands pour faire de nouvelles voies stratégiques !! La plaine et ces contrées en sont sillonnées comme des lignes télégraphiques, c’est une orgie de fils tendus à l’horizon, on se croirait en Amérique ou en Russie, à voir tous ces poteaux dans ce désert !! ces steppes devrais-je dire ou ces pampas ! Amagne, Lucquy détruits, Launois, Boulzicourt intacts ou à peu près, nous ne sommes plus dans la zone du Mur Païen ou de la Muraille de Chine (voir Heidenberg (importantes cimenteries), etc !…) à Mohon c’est un chaos de ferrailles et d’usines écrasées. Là je prends une patache qui nous conduit à Charleville au pas de 2 haridelles pour 3 Francs, c’est le commencement de l’exploitation éhontée. Les carolopolitains ont bien profité du… dressage allemand à ce point de vue…
Vu Laurent clerc de notaire à Mézières (Jean Baptiste Ernest Laurent, clerc de notaire de 1870 à 1919), nous tombons d’accord pour l’affaire de la succession Jacquemart. Je me dirige à mon hôtel, le Lion d’argent ! oui, d’argent… ! (20, rue Thiers, actuellement avenue d’Arches)
Hôtel infect, sale et dégoûtant, mais il n’y a que celui-ci d’ouvert. Le Terminus ne le sera que dans 15 jours. Dîner odieux. 4 filets de harengs saurs, 4 morceaux de bœufs de 3 centimètres cubes, des légumes innommables, 4 amandes, 2 figues, 12 noisettes, 20 grains de raisins de caisse, immangeables, 2 verres de vin, coût : 8,50 !! Ma chambre 10 Francs !! et d’une saleté. Pas de serviettes, pour manger la serveuse a daigné me donner la loque qui lui servait pour essuyer les verres !! etc… Et dans ce boui-boui de restaurant est venu du monde, mais habillés d’une façon impeccable, hommes en jaquettes et femmes avec diamants et rubis aux doigts !! Notaires, magistrats, directeurs de Banques, etc… etc… Bref j’aime encore mieux vivre dans mes ruines, du reste Mézières et Charleville ont toujours été repoussants de saleté. Mézières est assez démoli par le bombardement du 11 novembre. Je vais me coucher.
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Cardinal Luçon
Lundi 7 – Messe du Pape pour les Veuves. Visite au Cardinal Merry del Val. Visite de M. Charles Roux.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
Lundi 7 avril
Les Quatre se sont réunis matin et soir, le colonel House remplaçant M. Wilson. Les experts financiers étaient présents. Ces séances ont été particulièrement importantes et de sérieux progrès ont été acquis.
L’accord de principe a été conclu sur la question des indemnités à réclamer de l’Allemagne et l’on va passer à l’examen des modalités d’application.
La commission chargée d’élaborer une formule au sujet du bassin de la Sarre a terminé à peu près ses délibérations.
La légation belge a publié cette note:
» Pendant son séjour à Paris, le roi des Belges a pris contact avec les personnalités les plus éminentes des gouvernements alliés et associés. Il a eu l’occasion de s’entretenir, avec les chefs de ces gouvernements, des intérêts essentiels de la Belgique. Il régnait en Belgique quelque anxiété. On se demandait si les questions belges avaient conservé leur rang dans la sollicitude de la Conférence. Le roi a pu donner des précisions sur les points principaux du programme belge, et, particulièrement, sur les réparations qui sont dues à la Belgique pour assurer son relèvement économique et sur les conditions de sa sécurité.
Le roi a été écouté partout avec la plus grande attention, et il a quitté Paris, satisfait des impressions qu’il a recueillies.»
Le gouvernement de l’Etat serbo-croatoslovène a offert de régler, au moyen de consultations populaires, ses litiges territoriaux avec l’Italie et la Roumanie. Il a remis une note verbale au Comité des Quatre.
Une délégation dalmate a été conduite par M. Pachitch chez M. Pichon.
M. Wilson va mieux.
On annonce l’évacuation d’Odessa.
Les troupes finnoises qui servaient dans les effectifs alliés, sur la côte mourmane, se sont mutinées.
Le maréchal Douglas Haig regagne définitivement l’Angleterre.
Les bolchevistes menacent les frontières galiciennes.
MM. Noullens et Paderewski sont arrivés à Paris.
Source : La Grande Guerre au jour le jour