Louis Guédet
Jeudi 13 février 1919
1616ème et 1613ème jours
9h matin Toujours forte gelée. Soleil toujours aussi resplendissant. Il fait très froid. Maurice à l’air d’aller mieux, sa nuit a été calme. Je préparer petit à petit ma valise et mes malles. J’emporterai le tout lundi matin pour faire expédier en grande vitesse et en même temps suivre quelques colis.
Mon sacrifice est fait ! Je vais reprendre ma triste vie dans les ruines, à part les bombes, elle sera toujours aussi mortelle et lugubre que celle de la dévastation de Reims.
Que vais-je faire là-bas ? Je ne sais ? Réussirais-je à relever un peu mes ruines, à réunir les débris du peu que j’ai ! Pourrais-je réorganiser mon Étude et faire que tout au moins elle puisse me faire vivre, moi, et arriver à joindre les 2 bouts ! sans grand frais et sans grandes…
La moitié de la page a été découpée.
Aurons-nous cette transformation ou disparaitrons-nous dans le cataclysme qui bouleverse le monde depuis 5 ans, pour faire place à une nouvelle civilisation telle qu’elle s’est réalisée et faite après l’effondrement de l’Empire Romain, ou reviendrons-nous à un état primitif voisin de la sauvagerie et resterons-nous ensommeillés, engourdis durant des siècles comme l’Asie, la Chine après Confucius… Reverrons-nous les temps mérovingiens, carolingiens, le moyen-âge sous une autre forme, ou plutôt est-ce le commencement de la fin du monde ?
Le Socialisme, l’Internationalisme, le Bolchevisme sont-ils les prodromes de cette catastrophe finale ? Cela m’en a tout l’air. Je me demande si nous n’allons pas assister à un raz-de-marée qui comme l’invasion des Vandales fit de l’Europe un désert sur lequel se reconstruisit un nouveau monde, se formèrent de nouveaux peuples, de nouveaux États, de nouvelles puissances. Troisième stade depuis le déluge et la transformation d’une nouvelle génération, d’une nouvelle civilisation plus arriérée forcément comme toutes les fois que la désolation s’étend sur un pays, sur une race. Retour au primitif, à la brute qui peu à peu après de longs siècles redeviendra civilisée, raffinée comme l’étaient la Grèce, l’Egypte, l’Empire Romain, Babylone, etc…
5h soir Relativement peu de courrier. Je finis peu à peu mes malles, la mort dans l’âme. Je vais ainsi rentrer à Reims, dans une maison étrangère, sans foyer, sans abri, sans rien, ne sachant même pas comment je pourrais me nourrir. Je suis au dernier degré de la misère, du dénuement. Trouverais-je une maison à louer même ? La misère noire pour moi peu m’importe, mais pour ma femme et mes enfants ? C’est épouvantable !! Je suis comme un naufragé au milieu d’une mer sans horizon, et je me noie dans le vide !! Pauvre existence que la mienne, sans une aide, sans un secours de qui et de quoi que ce soit !! Je souffre le pire des martyres ! quand toutes ces pensées m’assaillent !! Et je ne vois aucune planche de salut, au contraire tout parait conspirer à l’anéantissement de toutes mes espérances, à la moindre lueur d’espoir. Je me prends à fermer les yeux comme si j’allais être précipité dans un abîme, un gouffre. Oh ! que la mort serait un soulagement, une délivrance pour moi !! Et cependant ce n’est pas faute d’avoir fait cent et cent fois le sacrifice de ma vie…
Non ! C’est trop souffrir !! Je crois que pour peu que cela continue ou s’aggrave, je deviendrai fou !
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Cardinal Luçon
Jeudi 13 – Visite de M. le Curé de Prosnes, Voncq, Bannogne ; Maurice Godin ; Berger Conseiller Général.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
Jeudi 13 février
La Conférence interalliée a entendu les délégués belges : MM. Hymans, Van den Heuvel et Vandervelde. Ils ont exposé leurs vues au sujet de la neutralité de la navigation de l’Escaut, du Luxembourg, des cantons wallons, de la Prusse rhénane et du Limbourg.
Les maréchaux Foch, Diaz, Pétain, Haig, Pershing on délibéré au sujet de l’armistice.
Ebert a été élu président de la République par 277 voix sur 379. Il avait comme adversaire le comte Posadowsky, qui a obtenu 49 voix.
Le roi a prononcé le discours du trône à Westminster. M. Lloyd George s’est longuement expliqué devant la Chambre sur la Conférence de la paix, la Société des Nations et les revendications ouvrières, mettant les travailleurs en garde contre les demandes excessives.
M. Péret, président de la commission du budget, a fait un exposé d’où il résulte que la question de l’indemnité à verser par l’Allemagne doit être réglée dans le plus bref délai.
Un grand débat a eu lieu à la Chambre sur la question du ravitaillement et l’emploi des prisonniers de guerre.
Source : La Grande Guerre au jour le jour