Louis Guédet
Mercredi 9 janvier 1918
1216ème et 1214ème jours de bataille et de bombardement
8h soir Neige, froid rigoureux. Levé à 4h du matin. Je pars de St Martin à 5h par une neige terrible. Ma femme est toujours bien triste. Alips, le fermier me conduit (1861- ), nous faisons au pas le trajet de St Martin à Vitry-la-Ville, il fait tellement froid que nous poussons à tour de rôle de minute en minute. Nous arrivons gelés. A la gare on se réchauffe un peu. Cohue de soldats permissionnaires du 115ème et du 117ème du Midi ! qui montent avec nous. Quel triste moral !! J’étais écœuré de ce qu’ils disaient ! Certes ce ne sont pas ces hommes-là qui nous sauveront !! Tout à fait la Révolution, et la Haine de tout ce qui est autorité. Arrivé à Épernay je passe à la Banque de France, au Crédit Lyonnais et file au Palais de justice où je trouve Texier, juge, le Président Hù, Bouvier vice-Président et Osmont de Courtisigny, Procureur de la République qui me félicitent à qui mieux mieux, ainsi que Payen mon ancien intendant militaire libéré pour faire le service de substitut. Tous charmants, aimables, et le Bon Président m’en…guirlandant parce que je n’avais pas déjà mon ruban à la boutonnière ! il voulait à toute force découdre le sien pour me le faire coudre à ma boutonnière par la femme de Touyard. Je lui ai fait comprendre de mon mieux que je ne voulais pas paraître si… pressé d’arborer mes… couleurs !! Bref il s’est rendu à mes raisonnements… mais il m’a fait promettre de ne pas tarder à le faire, et surtout de mettre ma Croix les jours d’audiences ! Sinon je démériterais de la République ! Causé affaires, etc… et Protocole pour mes visites à Leroux, Directeur du Personnel (Eugène Leroux (1875-1926 décédé à Esternay, au cours d’un banquet donné en son honneur), Lescouvé, Procureur général (Théodore Lescouvé (1864-1940)), etc… Il n’y aura pas de remise officielle, on m’enverra mon brevet avec ma Croix… en échange je paierai les droits de Chancellerie qui sont minimes, le prix de la Croix je crois.
A midi je monte en voiture. Charles Heidsieck, sa femme et Marcel Heidsieck m’aperçoivent et me félicitent d’une façon charmante !! Rencontré qui me congratule !! C’était (rayé) mais les (rayé) ne pouvaient pas (rayé)!! Si cela continuait mon ruban me ferait plus…
Le bas de la page a été découpé.
Je prends note de ma citation à l’Officiel du 7 au Tribunal !
« M. Guédet (Charles Louis) notaire, juge de Paix intérimaire des 4 cantons de Reims, 23 ans d’exercice de la profession de notaire, 2 ans 10 mois de services judiciaires, a eu depuis le début des hostilités la conduite la plus courageuse, a servi d’otage pendant l’occupation allemande ; depuis lors n’a pas quitté Reims où il est resté, pendant 6 mois, le seul notaire exerçant dans la Ville ; (et) comme juge de Paix intérimaire, malgré les bombardements continuels. »
La voiture démarre à midi. Ma voisine, une jeune fille qui revient à Reims qu’elle a quitté depuis avril 1917, fait un grand signe de Croix !! Il est vrai que nous allons peut-être à la mort !! Nous traversons Dizy, Magenta, beaucoup de troupes redescendent de Reims, notamment le 29ème Chasseur à pied, fourragère, guidon violet barré avec lambel croisé (x)… Nous nous arrêtons au pont du Cubry pour le visa des passeports. 2 gendarmes timbrent ces passeports. Quant à moi on me fait signe : Connu ! J’te crois !! Pandore… me craint !… Nous montons la côte, traversons Champillon, et la côte jusqu’à la forêt. Il fait un soleil splendide et la vue sur la vallée d’Hautvillers est splendide !! Nous traversons la forêt. Et nous débouchons sur Montchenot, bondé de troupes. De là-haut nous voyons toute la plaine rémoise sous la neige et Reims blanche sous son suaire. Reims la Morte !! Visa à la Maison Blanche… et arrivée à Reims. A la maison je trouve 60 lettres et cartes à répondre !! Au diable soit les Décorations !! Je m’y attelle sans retard. J’espère avoir fini demain, en attendant les autres !!… Les uns indifférents, les autres, la plupart, charmants de cœur et de sincérité.
Le bas de la page a été découpé.
Je saurai ce qu’en pensent le R.P. Desbuquois et le R.P. Lacroix de Cormontreuil !…
Visite de Robiolle, très gentil. Le type du populaire le cœur sur la main. Il se ferait tuer pour son juge de Paix. Carte sèche du Commissaire central ! J’te crois… ! Lui qui désire tant ce ruban !! Dépêche de félicitations du Procureur Général Lescouvé ! Charmante !… Lettre de Leroux, Directeur du Personnel. J’ai répondu. Enfin j’espère que demain je serai à jour.
Voilà ma journée ! Je suis fatigué. Le calme. Tempête au dehors. Neige !! Gare au froid. Notre sous-sol est chaud heureusement, et je n’ai qu’à travailler dans ma chambre au rez-de-chaussée dans la journée. Me voilà encore séparé des miens, pour combien de temps, et Jean et Robert, pauvres enfants !! Que Dieu les protège !… Je serai obligé d’aller à Paris le 19 pour la réunion du Comité des Amis de la Cathédrale de Reims. J’en profiterai pour mes affaires et mes visites à Leroux et au Procureur Général. Mon audience de réquisitions militaires est remise à cause de la neige, le 15, simple police. J’arborerai pour la première fois ma Croix !… Quant à mon ruban aux boutonnières, j’y verrai quand j’aurai le temps… si j’ai le temps. Enfin il me faudra bien la mettre…
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Cardinal Luçon
Mercredi 9 – – 4°. Épaisse couche de neige. Visite à l’usine Duchataux commandée par le Capitaine Pierre de la Giraudière. Thé avec lui et ses officiers. Visite aux batteries voisines. Visite de M. Desramous et 4 h. 1/2 chute de neige.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
En Champagne, nous avons repoussé une tentative ennemie sur nos petits postes à l’est du Téton.
Lutte d’artillerie assez vive dans le secteur d’Avocourt et de Bezonvaux. En Woëvre, dans la région du nord de Seicheprey, nous avons exécuté un large coup de main qui a parfaitement réussi. Nos détachements ont pénétré, sur un front de 1500 mètres environ dans la position allemande dont les défenses ont été bouleversées et les abris détruits.
Conformément aux ordres reçus, nos troupes sont ensuite revenues dans leurs lignes ramenant l50 prisonniers environ et un certain nombre de mitrailleuses et de lance-bombes.
En Haute-Alsace, activité des deux artilleries au nord du canal du Rhône au Rhin.
Canonnade sur le front belge, vers Ramscapelle, Pervyse, Saint-Jacques-Capelle, Oudecapelle et Nieucapelle. Les tranchées des secteurs de Dixmude, ont subi des bombardements assez violents.
En Macédoine, des patrouilles ennemies ont été repoussées près de Staravina. Canonnade dans la boucle de la Cerna. Les aviateurs alliés ont exécuté plusieurs bombardements dans la vallée du Vardar et au nord de Monastir.
L’artillerie britannique a exécuté des tirs sur le front italien et détruit huit avions ennemis.
Le cabinet Hughes a démissionné en Australie, à la suite du rejet de la conscription par le referendum populaire.
Le président Wilson a prononcé devant le Congrès américain un discours capital, et qui fixe les conditions de paix de l’Entente à peu près dans les mêmes termes que le discours de M. Lloyd George quelques jours plus tôt.
Le Président demande que réparation soit faite à la France du tort qui lui a été causé en 1871, que la Belgique, la Serbie, la Roumanie soient libérées, que les frontières italiennes soient réajustées et que soit constitué un Etat indépendant de Pologne. Il revendique aussi la création d’une Société des Nations.
Source : La Grande Guerre au jour le jour