Louis Guédet
Vendredi 28 décembre 1917
1204ème et 1202ème jours de bataille et de bombardement
6h1/2 soir Temps glacial. Le matin couvert et l’après-midi tempête de neige. Courrier en retard. J’attends toujours mon contrat de mariage !! Lettre de ma chère femme, de Mme Gambart toujours affectueuse, et surtout fort bien tournée. J’ai Dondaine à déjeuner. Causons très cordialement, de petit clerc il est arrivé à ce qu’il est. C’est un beau cerveau. Nous nous quittons à 1h1/2. Je cours rue des Murs pour mes coffres-forts. Personne, tout le monde est parti. Je cours à la Ville, ni Minet, ni Monbrun ne sont là. Tant pis, je laisse à ceux-ci un mot pour leur dire de venir me faire leur rapport. Je reste avec Houlon à qui je raconte mon travail de simple police, j’ai justement terminé ce matin mon examen des 237 procès faits par 132 gendarmes !! que je dois juger le 15 janvier 1918… Quelques uns à sabrer. Je cite 4 gendarmes à laver la tête, Viot, Pargny, Fournier et Blanc. Quelles brutes. Le filon pour eux en ce moment ce sont les voitures au trot. Les culottes de peaux militaires ont décrété qu’on ne devait pas courir dans les rues de Reims, ci 90 procès !!… Défense de circuler, bicyclette sans autorisation : coût 90 procès pour les Rémois. Et nos brutes galonnées sont satisfaits. Témoins ces gendarmes faisant un procès de bicyclette à D’Hesse le boulanger qui courait au ravitaillement pour sa farine afin de ne pas laisser crever de faim ses clients. « M’en fout : çà les dressera !… Et allez-y…
De son côté Houlon me conte l’aventure qui arriva à Guichard, Vice-président des Hospices et au Maire. Guichard n’a pas eu son mandat renouvelé depuis 1914, en sorte que tout ce qu’il a fait… est nul !! Houlon m’invite sur le pas de ma porte à déjeuner le jour de l’An. J’accepte quand Melle Dor m’arrive éplorée pour me dire que son fiancé a une bronchite et que le mariage (et par suite le contrat) est remis sine die. Je saute place d’Erlon retenir ma place à l’autobus pour demain. Pas de place. Par une tempête de neige, dans 10 centimètres de neige, ne voyant pas à 10 mètres devant moi, je cours à l’octroi Porte de Paris où j’attends l’auto venant d’Épernay voir si j’aurais une place demain à 9h ou à midi. Sauvé, j’aurai une place à 9h demain matin. Je rentre chez moi dans un vrai tourbillon de neige, couvert de neige, trempé, suant… Je m’attelle à mes préparatifs de départ et à la mise au point de tous mes services.
C’est fait.
Je vais quitter Reims demain pour n’y revenir qu’en 1918, vers le 10 janvier. Triste année !! Souffrances inouïes vécues. Que sera 1918. Je n’ose y songer… Tristesse, deuil, angoisses, tout m’a été donné en 1917… Rien, le néant, l’Injustice et l’Écœurement… Se dévouer, à quoi bon !… On ne récolte qu’injustice et haines… Je n’ose même pas formuler le moindre vœu pour 1918, à quoi bon !!
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Cardinal Luçon
Vendredi 28 – – 4°. Nuit tranquille en ville. Via Crucis in Cathedrali. 3 h. 15, neige, qui couvre tout le dallage de l’église, c’est navrant. Réponse au P. Philippe. Visite à M. de Bruignac qui m’apprend qu’une femme a été tuée à 10 h. par un obus.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
Vendredi 28 décembre
Sur la rive droite de la Meuse, la lutte d’artillerie s’est poursuivie au nord du bois des Caurières.
Il se confirme que l’attaque exécutée la veille par les Allemands dans cette région a été très violente. Après une très forte préparation d’artillerie, l’ennemi a lancé deux bataillons à l’assaut : nos feux les ont obligés à se disperser.
Au cours d’une deuxième tentative des éléments ennemis sont parvenus à aborder nos positions, mais ils en ont été aussitôt rejetés après un vif combat. Le nombre des cadavres ennemis restés sur le terrain, entre les deux lignes et dans nos fils de fer, témoigne de l’importance des pertes subies par les Allemands, qui ont laissé des prisonniers entre nos mains.
Dans la soirée, nos batteries ont pris sous leurs feux des troupes ennemies qui se rassemblaient au nord-ouest de Bezonvaux et les ont dispersées en leur infligeant des pertes.
Faible activité sur le front belge. Tirs d’artillerie dans la région de Dixmude.
Mauvais temps sur le front de Macédoine.
En Italie, combat aérien au-dessus de Trévise. Nos alliés ont abattu onze avions ennemis.
Czernin et Kuhlman, à Brest-Litowsk, ont remis leur réponse aux propositions russes. Ils préconisent la paix générale, refusent toutes réparations pécuniaires, et considèrent que toutes les questions de nationalités regardent exclusivement la politique intérieure des Etats.
M.Pichon a prononcé à la Chambre un important discours sur la situation extérieure.
Source : La Grande Guerre au jour le jour