Louis Guédet
Vendredi 7 septembre 1917
1092ème et 1090ème jours de bataille et de bombardement
6h1/2 soir Nuit assez calme, mais j’ai été souffrant presque toute la nuit. Je m’use, et puis quels cauchemars !! Ce matin brouillard et temps lourd, fatiguant. Rien de saillant. Lettre des de Vroïl, toujours aussi affectueuse la charmante baronne, et avec du cœur, un grand cœur. Lettre de ma pauvre chère femme toujours courageuse, mais bien inquiète de nos 2 grands. Lettre de Jean avec la sienne, lui expliquant son installation à 4m1/2 sous terre !! Pauvre petit, il annonce sa citation avec Croix de Guerre. Quant à Robert, le pauvre petit parait bien effrayé et bien angoissé, il est effrayé des vides qui se produisent journellement autour de lui et il demande à sa Mère de prier pour lui !!!! Que Dieu le protège, les protègent et que tout de suite ils quittent cet enfer pour le repos, moi qui sait ce que c’est. C’est une torture terrible de les sentir ainsi exposés. C’est à devenir fou !! Rien d’autre. Lesage de chez Ravaud est, sur sa demande, affecté au régiment de son frère qui est à la Cote 304. Beau début… (Gazé à Verdun, André Lesage, pharmacien à Senlis, décèdera le 22 août 1927 à l’âge de 37 ans. Très engagé dans les différentes associations catholiques de l’Oise, il avait épousé Marguerite Ravaux (1903-1987), seconde fille du pharmacien de Reims Alfred Ravaud (1872-1964))
8h1/2 soir Ce soir, veillée d’automne, crépuscule d’automne ! Toutes les effluves de notre vieille, languissante et amoureuse Champagne s’unissent sous la mitraille pour m’en faire jouir les charmes… l’Amour !! Oui !! je suis champenois pur sang !! Notre Champagne est si douce !! si voluptueuse, si pénétrante, si prenante, si belle… charmante sous les grisailles de l’automne naissante qui me font revivre les charmes du 17ème et du 18ème siècle !!
Quand je revois dans mes pérégrinations dans les rues ruinées les vestiges de ces appartements uniformément peints en gris-bleuâtre, toutes ces boiseries, tous ces petits coins, où à chaque instant je crains de surprendre une Baignade ou une Pastorale de cette gracieuse et galante époque, et puis quand je quitte cette terre de ruines, cette Kandar ou Babylone du XXème siècle, et que je me transporte dans cette Vallée de la Marne que nos aïeux comprenaient si bien et que nous, nous oublions, c’est tout un poème, une épopée qui se présente à vous par la simple vision, la rencontre devrais-je dire, d’un vieux trumeau Louis XIV – Louis XV – Louis XVI, rarement Directoire, qui se dresse devant vous !! Oh ! revivre la vie de cette époque, quel charme… Quel paradis terrestre !! Oui nous ne connaissons pas notre Champagne, notre petite Patrie… si du moins moi je la connaissais, je communiais avec elle, je l’aimais, je l’adorais, je la revivais, je la comprenais depuis Attila jusqu’aux Huns du XXème siècle, quand je rêvais enfant, adolescent, juvénile, homme rêvant et que je contemplais nos couchers de soleil de notre Champagne Pouilleuse (Châlons, Vitry et la Coole) (Bataille de la Marne, renaissance du Genre Humain). Non, la Champagne de France ne peut jamais tenir dans un verre, un bock teuton !!… Je revivais avec Elle, je me revivifie dans sa poussière crayeuse, poussière dont je suis pétri… Champagne !! ma douce et langoureuse Champagne, je suis tien, je suis toi, toujours, toujours et mes chers petits qui versent leur sang pour toi, pour la France, Pour l’Éternité…
Il est 9h. État d’esprit d’un rémois champenois de 3 siècles sous la canonnade et la mitraille, Dieu sait ce qu’il gronde et siffle !!…
Champagne ! Champagne ! et France après, car si la France est sauvée, c’est par la « Champagne ». La Champagne, la Catalaunique de Clovis.
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Paul Hess
7 septembre 1917 – Visite d’une mission chinoise, à M. le Dr. Langlet, maire.
Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos
Cardinal Luçon
Vendredi 7 – + 15°. Brouillard ; nuit tranquille. Visite de M. le Curé de Merfy. Promis pour le mercredi 12 d’aller à Merfy. Visite du Commandant de Merfy, M. Liègre qui m’invite à déjeuner à sa table. Messe et allocution aux Frères à 9 h. ; aux soldats à 4 h. On m’enverra une automobile. Visite au Général pour farine pour pain d’autel. Via Crucis in Cathedrali à 6 h. Visite de M. Andrieux.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173