Louis Guédet
Jeudi 6 septembre 1917
1091ème et 1089ème jours de bataille et de bombardement
9h soir Temps magnifique le matin, trop chaud, qui finit par un orage vers 3h après-midi. Pluie tout le reste de cet après-midi. Le calme la nuit, pas de bombardement, mais de la bataille comme toutes les nuits du reste. Rien dans la journée.
Journée fastidieuse. Poste, pas de lettre de ma chère femme. Après-midi réquisitions militaires au Palais. 2 prestataires répondent aux 20 convocations, les froussards !! Travaillé d’arrache-pied jusqu’à maintenant. Je suis brisé et puis je suis si triste !… si douloureusement découragé, en me demandant si je pourrais résister à cet hiver ! Les nouvelles de Russie ne sont pas pour nous faire voir l’avenir en rose. Riga prise, où allons-nous ?
Rencontré (rayé) causé de la note (rayé). Il me dit avec son fin sourire : Il vaut mieux n’en pas parler !!! C’est mon avis ! mais il m’apprend que tout l’entourage (rayé). La conclusion est donc toute simple. Le Bon Père va plus loin, il ne craint pas de dire que toutes les gaffes que Benoit XV a pu faire, il les a largement faites !! Je crois que je suis en bonne compagnie pour juger la fameuse note. Comme moi il estime que Wilson a vertement répondu au (rayé) et lui a donné une dure et juste leçon ! Lui le Protestant, lui a montré où était le Droit, la Justice et l’Honneur. (Rayé). Mais je suis enchanté de voir que mon opinion répond à celle de tout ce qui juge juste et droit. C’est le principal.
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Cardinal Luçon
Jeudi 6 – + 15°. Nuit tranquille. Avion à 7 h. : tir contre eux. Visite du Colonel du 54(1), parent de M. Zamanski. Orage vers 4 h. Visite de M. Henri Abelé ; de M. le Colonel de Combarieu, et du Capitaine Viel-Cas- tel. Pluie.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
(1) 54′ R.I., régiment de Compiègne.
Semaine du 6 au 12 septembre
POLITIQUE ET DIPLOMATIE
La révolution russe – L’accord qui paraissait s’être finalement établi, à la conférence de Moscou, entre le général Kornilof et Kerensky, n’a malheureusement pas persisté. Le dissentiment s’est même aggravé entre le chef militaire et le chef politique au point de dégénérer en rupture et peut-être en guerre civile. Kornilof a, en effet, adressé à Kerensky, un ultimatum le sommant de lui laisser constituer le gouvernement de salut public indispensable à la Russie. Kerensky a répondu en destituant Kornilof. Mais celui-ci n’a pas accepté sa déchéance et il a pris à la tête d’une armée, le chemin de Petrograd. Les membres du gouvernement provisoire ont donné leur démission collective afin de laisser toute liberté d’action à Kerensky pour lequel s’est d’autre part prononcée la flotte de la Baltique. Cependant d’autres généraux ont d’ores et déjà fait cause commune avec Kornilof, notamment le général Kaledine, chef des Cosaques du Don, et le général Klembowski, commandant les armées du Nord, que Kerensky avait pourtant lui-même, investi des fonctions de généralissime, en remplacement de Kornilof.
Le Ministère Painlevé – A la suite de la démission de M. Malvy, ministre de l’Intérieur, le président du Conseil français avait songé à remanier l’ensemble de son cabinet avant la rentrée des Chambres. A cet effet, il avait demandé à tous ses collaborateurs de se désister de leurs fonctions et il avait reçu du président de la République mandat de former un nouveau ministère. Mais l’opposition qu’il rencontra chez les socialistes empêcha M. Ribot d’aboutir dans ses négociations. M. Painlevé, ministre de la Guerre sortant, fut alors chargé de constituer le cabinet. Après quarante-huit heures de démarches, il soumettait, dans la soirée du 11 septembre, la liste de ses collaborateurs désignés au président de la République lorsqu’un nouvel incident, provoqué encore par les socialistes, fit échouer la combinaison élaborée. Malgré cet échec, M. Poincaré a, dans la nuit du 11 au 12, prié M. Painlevé de reprendre sa tentative sur d’autres bases. Les pourparlers ont enfin abouti à la constitution d’un ministère où M. Ribot conserve le portefeuille des Affaires étrangères mais dans lequel ne figure aucun socialiste. M. Albert Thomas est remplacé à l’Armement par M. Loucheur.
Un scandale diplomatique – Le secrétaire d’État américain Lansing a livré à la publicité le texte de télégrammes chiffrés, interceptés et traduits par la sûreté des États-Unis, au moyen desquels le comte Luxbourg, chargé d’affaires d’Allemagne à Buenos-Aires, correspondait librement avec Berlin. Cette correspondance était possible grâce à la complicité de la légation suédoise de Buenos-Aires qui transmettait les dépêches en question au ministère des Affaires étrangères de Stockholm, comme étant des messages officiels suédois. La neutralité diplomatique a été de la sorte rompue d’une façon d’autant plus grave que le comte Luxbourg donnait des indications sur les navires argentins qu’il convenait de couler « sans laisser de traces ».
Les Opérations Militaires
Front Français
Le 8 septembre au matin, sur la rive droite de la Meuse, la division Monroe, du 32e corps, commandée par le général Passaga a engagé une opération locale destinée à amèliorer notre situation à l’est de Beaumont par l’occupation de la tête des ravins ainsi que du plateau marqué par la cote 351, un des observatoires des côtes.
Nos soldats ont brillamment attaqué les lignes ennemies sur une largeur de 2 kilomètres entre le village de Beaumont et la lisière de la Woëvre. Ils ont gagné du terrain au Nord du bois des Fosses, conquis le bois de Chaume en entier, puis enlevé la crête au nord du bois des Caurières, reliant ainsi notre nouvelle position avec l’ancienne. Dès lors ils dominent à 1200 mètres les maisons du gros village d’Ornes, et ils approchent de la forteresse érigée par les Allemands au double mamelon détaché de la falaise des Côtes et qui s’appelle les « Jumelles » d’Ornes. 800 prisonniers sont restés entre leurs mains. Au cours de la nuit suivante et de la journée du 9, l’ennemi a répété de violentes contre-attaques, soit pour nous arracher directement le terrain conquis, soit pour tenter la reprise de la cote 344, par laquelle l’ensemble du secteur est commandé. Les colonnes d’assaut furent pour la plupart dispersées par nos feux; quelques détachements ayant pris pied dans nos tranchées en furent aussitôt expulsés. Toute la journée du 10 septembre, la canonnade resta violente dans la même région, sans nouvelle action d’infanterie. Le 11, elle s’affaiblit par intermittences.
Front Britannique
Aucun événement n’est venu modifier la situation sur le front britannique, tant en Belgique qu’en France. Les luttes d’artillerie ont continué presque partout, souvent gênées par des brumes ou des pluies. Nos alliés ont gagné quelque terrain au sud de Lens et auprès d’Avion; par contre, une vigoureuse attaque allemande les contraignit à consentir quelque recul au nord de Frezenberg, hameau situé sur la route d’Ypres à Roulers.
Front Russe
La retraite russe en Livonie s’est arrêtée le 7 septembre sur une ligne oblique par rapport au rivage du golfe de Riga et au cours de la Dwina, sur lesquels s’appuient les ailes du nouveau front. Celui-ci ne saurait être fixé de manière exacte, en raison de l’imprécision des communiqués; mais il semble qu’il puisse être approximativement, tracé par le nord-est de Sevegold, station de la ligne de Riga à Venden, par les environs de Nitau et de Neu-Kaipen, jusqu’à un point de soudure avec le front de la Dwina, situé à l’est de Kokenhusen.
Par suite, la nouvelle façade russe prolonge la ligne défensive toujours maintenue de Jacobstadt à Dwinsk, dans la forme rectiligne que réclame de nos jours toute résistance efficace.
Celle-ci, d’ailleurs, est favorisée, entre le golfe de Riga et l’Aa livonienne, par la présence de nombreux étangs, égrenés dans une région marécageuse. Au sud de l’Aa, elle s’appuie sur des collines boisées, représentant l’un des maigres reliefs de l’immense plaine septentrionale de l’Europe.
De leur côté, les Allemands, peut-être un peu surpris de leur rapide succès, obtenu avec des moyens insuffisants pour de plus vastes desseins, se hâtent d’amener en Livonie et en Courlande toutes les forces dont ils peuvent disposer sans affaiblir outre mesure les autres secteurs du front oriental. Les meilleurs parmi les régiments engagés en Galicie et en Moldavie sont transportés vers les gares terminus des rives de la Dwina, où, d’après les reconnaissances aériennes russes, règne une activité extraordinaire.
Au nord de Riga, de nombreux pont sont jetés sur l’Aa livonienne, et l’aile gauche de la 8ème armée allemande se masse au delà de cette rivière. Jusqu’à présent, de seules escarmouches ont été livrées entre les éléments de couverture des concentrations ennemies et les arrière-gardes russes. D’autre part, il est bien évident que les décisions stratégiques du grand commandement allemand seront directement influencées par les événements intérieurs d’une gravité exceptionnelle qui sont en cours, tant à Petrograd que sur les routes conduisant à la capitale.
Front Roumain
La défaite russe sur la Dwina et la victoire italienne sur l’Isonzo ont eu sur le théâtre compris entre le Dniester et le Danube une double répercussion, favorable à la vaillante résistance de l’armée roumaine. D’autre part, les Allemands ont renoncé à leur offensive, imminente d’apparence, pour porter vers le Nord la puissance de leur effort; d’autre part, les Autrichiens ont dirigé en hâte vers le front italien plusieurs divisions appartenant aux armées de l’Archiduc Joseph. Celui-ci a donc suspendu son mouvement sur le Trotus, jusqu’alors coordonné avec l’offensive de Mackensen, parallèle au Sereth.
Aussi, tandis qu’un calme complet a régné aux frontières de Bessarabie, quelques combats sans valeur appréciable se sont seuls succédé autour d’Oena, sur l’Oitoz et au nord de Focsani.
Front Italien
La prise de San Gabriele, un instant obtenue par le magnifique élan de la 2eme armée, n’a pas été maintenue. La bataille livrée autour des pentes de cette montagne, désormais célèbre, a été sans doute l’une des plus acharnées de la guerre italienne. La cime est, à plusieurs reprises, passée de main en main, nos alliés demeurant accrochés au revers septentrionaux et occidentaux du massif.
Depuis le 6 septembre, les actions d’infanterie ont perdu de leur ampleur et de leur intensité; l’artillerie, cependant, poursuit une lutte violente, qui reste étendue aux autres secteurs de l’Isonzo.
Sur le plateau de Bainsizza, aucune modification n’est survenue dans les situations respectives. Les troupes italiennes travaillent à l’établissement des voies nécessaires à leurs communications dans une région dépourvue de routes, au travers de laquelle les ravitaillements ne peuvent encore être assurés qu’à dos de mulet.
Dans la zone maritime, les Autrichiens ont tenté, les 4 et 5 septembre, une contre-offensive, développée depuis Castagnivizza jusqu’à la mer. Nos alliés ont partout maintenu leurs positions, après quelques alternatives, notamment dans le vallon de Brestovizza.
A la date du 10 septembre, le chiffre total des prisonniers capturés depuis le 19 août s’élevait à 30671, dont 858 officiers. Le butin dénombré comprenait 145 canons, dont environ 89 de moyen et gros calibres, 94 bombardes et lance-bombes, 322 mitrailleuses, plus de 11000 fusils.
Front Macédonien
En Macédoine, et depuis les derniers jours d’août, l’activité à repris sur tout le front de l’Armée d’Orient. Les Anglais ont fait quelques progrès sur la rive gauche du Vardar; de même nos troupes, entre le fleuve et le Skra di Legen. Les Serbes ont refoulé des attaques bulgares devant le Dobrapolje.
Les 9 et 10 septembre, aux confins de l’Albanie, des détachements français et russes, après plusieurs affaires de détail, ont vivement progressé au nord-ouest du lac Malik, dans la région qui sépare cette nappe marécageuse du lac d’Okhrida.
GUERRE NAVALE
Baltique : Dans le communiqué russe du 7 septembre, nos alliés assurés que leurs canonnières et torpilleurs, en quittant Riga, avaient emmené tous les navires et le matériel flottant de la forteresse et du port. Quels sont donc les navires dont ils annoncent de nouveau la présence dans le golfe de Riga ? Quelques retardataires, des mouilleurs de mines, probablement. D’ailleurs, les Allemands, installés maintenant à Dunamunde où ils ont trouvé les quais et l’outillage du port intacts, draguent méthodiquement les mines dans le golfe et les chenaux d’accès, en prévision, sans doute, de l’arrivée prochaine d’une force navale importante. Leurs sous-marins et dragueurs opèrent jusque dans le golfe de Finlande. Il n’y a guère que 200 miles de l’entrée du golfe de Riga à Cronstadt, distance que le plus lent cargo-boa peut franchir en moins d’un jour. C’est le chemin de Petrograd le plus court que l’ennemi peut suivre jusqu’à la fin de novembre, sans être gêné par les glaces.
Atlantique : Le rapport de l’amiral Cleaves, qui commandait la flottille de torpilleurs d’escorte du premier convoi de troupes américaines, établit que les Allemands étaient renseignés, au moins approximativement, sur les itinéraires que devaient suivre les quatre divisions du convoi. En effet, à l’exception de la troisième division, les autres furent attaquées par un ou deux sous-marins, sans succès heureusement.
Le sous-marin allemand U-293, de 600 tonnes de déplacement, remorqué par le torpilleur espagnol n°11, est entré le 9 septembre, à 9h1/2 du matin, dans le port de Cadix, ne pouvant plus continuer sa croisière parce que sa provision de matières lubrifiantes était épuisée, ce qui prouve que les sous-marins ennemis n’ont plus les mêmes facilités de ravitaillement à la mer qu’auparavant. Les autorités espagnoles l’ont interné à l’arsenal de Carraca. Il est commandé par le lieutenant de vaisseau von Mellenthin, son équipage est de 30 hommes. C’est le troisième sous-marin allemand entré dans un port espagnol; le premier, U-C-52, a été relâché après réparation; le second, U-B-23, a été interné.
Méditerranée : Le patrouilleur français Golo II, ayant à bord 257 passagers et hommes d’équipage, a été coulé par un sous-marin, le 22 août; 37 hommes appartenant à la marine militaire et un officier serbe ont disparu. Quatre officiers serbes ont été faits prisonniers par le sous-marin.
Blocus sous-marin : D’après les communiqués de l’Amirauté britannique, 615 navires anglais ont été coulés pendant la période du 17 février au 29 juillet, dont 452 de plus de 1600 tonneaux et 163 au-dessous.
L’aéronautique navale française montre une grande activité; d’après la dernière statistique officielle nos avions ont effectué 3589 sorties et nos dirigeables 131, pendant le mois de juillet.
Source : La Grande Guerre au jour le jour