Louis Guédet
Jeudi 21 juin 1917
1013ème et 1011ème jours de bataille et de bombardement
8h matin Hier soir pluie diluvienne. Nuit calme. Ce matin beau temps. Pas de canon. On doit venir me chercher tout à l’heure pour l’ouverture d’un coffre-fort au 104 rue des Capucins, et ce sera le 55ème ou le 56ème depuis la Guerre. Celui-là je crains bien qu’on n’y trouvera rien. Enfin nous verrons. Sans greffier je suis obligé d’agir seul. C’est plus ou moins régulier, mais comment faire autrement, et puis… C’est la Guerre !
6h soir Journée quelconque. Reçu lettre fort triste de ma chère femme qui se mine (la santé) en nous sentant exposés à 3. Je ne sais que lui répondre. Elle voudrait que je quitte Reims, je ne puis et ne le dois pas. Alors. Elle craint que Jean et Robert ne soient plus à Mailly et qu’ils se soient rapprochés du front. M. Thévenot, l’instituteur de St Martin lui ayant dit que le 61ème serait cantonné à Chepy (au sud-est de Châlons)! près de Châlons !…
Donné consultation à la Poste à la pauvre veuve de Henry, tué il y a quelques jours. Pas de testament en sa faveur, là voila aux prises avec son beau-père et des collatéraux mâtinés en pays envahis ou non. Je vais la faire nommer administratrice provisoire, seul moyen de la faire vivre en attendant la fin de la Guerre. De là été faire signer une notoriété après le décès d’un fils de Cochain, boulanger, 41, rue du Barbâtre (une boulangerie existait encore à cette adresse en 1975), capitaine au 50ème d’artillerie, très brillant officier sorti de Polytechnique 1er ou 2nd, (Albert Rémy Cochain, capitaine au 50ème RAC, décédé des suites de ses blessures au Mont-Haut à l’ambulance 232 de Mourmelon-le-Petit le 4 mai 1917) il a son plus jeune frère qui a été avec Jean à Fontainebleau.
Reçu lettre Jolivet me disant qu’on était très surpris à Paris que je n’ai pas figuré dans la liste de dimanche pour les rubans, et qu’Émile Charbonneaux aurait beaucoup insisté pour que j’y figure. De la part de ce dernier cela me surprend tout en me faisant plaisir si c’est exact, car nous n’avons que des relations correctes… et nullement les mêmes idées…
Ensuite été voir l’abbé Camu pour lui verser une somme de 150 F par l’oncle Césaire Goulet pour nos prisonniers de Guerre de la Marne. Causé longuement des décorations (on en radote dans notre pauvre ville ruinée) Dieu la bougre de liste aura-t-elle fait de mécontents… moins parmi les élus !!! à cause des… voisinages !! L’abbé, qui n’est pas bête loin de là, est comme moi, cela le dégoute que le Cardinal ait été décoré avec Dramas et Beauvais ! Tristes acolytes, qui ne peuvent que déflorer une décoration trop bien gagnée par le cardinal, Charbonneaux et de Bruignac.
Comme j’écrivais ces lignes est venu le bon Père Desbuquois, le fin, le pétillant et le grand cœur qu’il est. Causé alors à cœur ouvert, je devrais dire à cœur ulcéré (de ma part) ouvert de tout cela. Je l’avais rencontré tout à l’heure et j’avais voulu lui dire ce que je venais d’apprendre de Jolivet que Charbonneaux avait insisté pour ma promotion… Je ne sais, mais le brave Père me rappelle beaucoup le Père Jenner et comme aspect très le brave abbé Monot curé de Perthes qui m’affectionnait tant, et qui a été réellement la cause primordiale de ma carrière de notaire à Reims, quand en 1890 il était venu ici se faire opérer (couper le pied droit !) et que là, enfant abandonné il m’avait jeté dans les bras de Mère St Jean (vit-elle encore à Cras Avernas !) de Charles Decès, Pierre Minelle et de mon cher Maurice Mareschal mon hôte ici, moi le sans-logis. Est-ce que ce serait une dernière étape pour le… triomphe définitif, inéluctable et justicier !…
Ce serait bizarre !!
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Paul Hess
21 juin 1917 – L’Éclaireur de l’Est mentionne plus de 3 000 obus pour la journée du mardi 19. Depuis longtemps, le chiffre journalier des projectiles qui nous sont envoyés est très élevé.
Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos
Cardinal Luçon
Jeudi 21 – + 17°. Nuit tranquille. Aéroplanes. Visite de M. de Maricourt. Dans la journée, bombes par moments. Le soir vers 10 h. bombes sifflantes qui éclatent au-dessus de la ville ou des batteries ou sur les voies de ravitaillement. Éclairs de canons très lointains, dont je n’entends pas le bruit, à l’est de Reims : deux foyers qui pouvaient bien être Nogent ou Moronvillers.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
Jeudi 21 juin
A la suite d’un vif bombardement entre l’Ailette et le moulin de Laffaux, les Allemands ont attaqué nos positions sur un front de plus d’un kilomètre. L’attaque, très violente et menée avec de gros effectifs, a réussi à prendre pied dans une partie de la tranchée de première ligne, à l’est de Vauxaillon, au sud de Filain.
Une autre tentative allemande sur un saillant de nos lignes, à l’est de la ferme de la Royère, n’a obtenu aucun résultat.
La lutte d’artillerie a été vive entre Hurtebise et Chevreux et sur le front de Verdun, dans le secteur de Vacherauville et des Chambrettes.
Au nord de la Souchez, les Allemands ont tenté par quatre fois de reconquérir les positions occupées par les troupes britanniques. Ils ont été complètement repoussés.
Un avion allemand a été abattu en combat aérien et un autre descendu par les canons spéciaux.
Les Italiens ont conquis une cime du mont Ortigara, dans le Trentin et fait 1000 prisonniers.
L’ex-roi de Grèce Constantin, qui a été conspué à Lugano, où il était arrivé, a décidé de quitter cette ville.
Source : La Grande Guerre au jour le jour