Louis Guédet
Vendredi 13 avril 1917
944ème et 942ème jours de bataille et de bombardement
10h1/2 Assez beau temps nuageux. La nuit assez calme. On a tout de même bombardé un peu partout. Près du Palais de Justice, une bombe a fait un trou énorme au coin des rues Tronsson-Ducoudray et Robert de Coucy, au coin de l’ancienne prison. Incendies, place de Bétheny et boulevard de la république, près du Cirque. Les soldats cyclistes près du Cirque se sont refusé à prévenir les pompiers quand l’incendie s’est déclaré. Je suis à bout de nerfs avec tout ce qu’on me raconte des pillages épouvantables faits par la troupe. Ajoutez à la liste des régiments qui se sont livrés à ces pillages les 293ème et 403ème d’Infanterie. Un G.V.C. (Garde des Voies de Communication) qui travaille à la sous-préfecture me contait un fait qui s’était passé rue de Courcy : une femme entend du bruit dans une maison voisine une nuit. Elle y va et trouve 8 soldats qui pillaient, elle crie, ils se sauvent par la porte de la maison, elle les suit et elle les trouve en train de boire debout autour d’une table. Elle les interpelle et à l’un : « Je vous reconnais, vous pilliez tout à l’heure chez Mme X… » L’autre de dire : « Je n’ai rien pris moi !! » Elle discute, alors un lieutenant qui se trouvait avec eux de crier à ses hommes : « Allons, allez tout de suite rapporter ce que vous avez pris !! » Et on nous dira que les officiers empêchent les pillages.
Hier on a trouvé un merle sur la pelouse du jardin du fond qui avait été tué par l’éclat de l’obus tombé dans la fosse à fumier et qui a démoli le mur mitoyen avec la Cie de Vichy, il avait une aile cassé. On l’a plumé et je l’ai mangé, il était délicieux. J’aurais vu des choses plus drôles. Les obus allemands me fournissant du gibier !!
Remis une lettre à Camboulive pour ma chère femme, il la remettra à un automobiliste comme d’ordinaire. Je suis exténué, et à bout. Vais-je tomber. Est-ce que la Justice que je représente va céder, fléchir ou tomber devant les Vandales ??? Sans les voir partir ??!
12h10 Nous commençons à déjeuner à 11h3/4 car le bombardement s’accélère depuis 10h du matin. A midi tapant un obus tout proche, on descend son assiette à la main à la cave, 2 – 3 obus tout près, est-ce que nous allons avoir la même séance que vendredi dernier ??!
J’oubliais de dire qu’un autre obus était tombé sur le pignon de la salle des Rois de l’archevêché. En sorte qu’avec celui du coin de la rue Robert de Coucy la Cathédrale était encadrée. Donc visée.
12h25 Lise remonte, j’ai fini de déjeuner un peu malgré moi, mes 2 autres Parques ne se risquent pas. Encore 2 bombes qui tombent dans la terre sans éclater. Où ? Je ne sais ! Nous verrons cela si nous pouvons.
12h35 Je fais dire à Lise de descendre et je la rabroue en lui disant que j’ai assez de morts comme cela autour de moi !! Elle ne pipe pas. La 3ème Parque est muselée !! et m’obéit. En tout cas je crois que tous ces obus ne sont que de vulgaires 77. Ce n’est pas le sifflement des 150 ou 210 ou 380. De plus en plus ces gens. J’ai de plus en plus la conviction que ces gens-là f… chent le camp.
1h Je crois que c’est fini. Allons voir si nous pouvons terminer notre déjeuner.
1h10 Non. J’ai attendu jusque là, et ai bien fait, car en voilà un gros pas très loin.
1h1/2 Plus grand-chose. Remontons. Finir de déjeuner. J’ai faim.
4h1/2 soir Vers deux heures parti chercher mon courrier au Tribunal, en route je ramasse quantité de morceaux d’obus reçus tout à l’heure. 3 lettres seulement, dont une de ma chère femme qui se tourmente atrocement. Je lui réponds de mon cabinet de justice de Paix et vais porter ma lettre à Mazoyer, place d’Erlon 76. Vu sous le péristyle du Palais l’abbé Camu, Risbourg… on se rencontre là maintenant, mais, mais gare les bombes. Il y a trop de monde qui circule autour de ce vieux Palais de Justice.
En repassant sous les loges et sous les bombes qui sifflent au-dessus de ma tête « en veux-tu ? en voilà ! » je vois 2 voitures militaires qui attendent les évacués, ils ont tout juste 2 clients !! Je cause avec les automobilistes qui se chargent de mettre à Épernay une carte pour ma chère femme, elle sera mise à la Poste ce soir. Je reviens chez moi, je m’arrête à St Jacques quelques minutes, je suis fatigué… Rentré vers 4h. Les obus sifflent continuellement, sans discontinuer, quand donc n’entendrai-je plus ces oiseaux de malheur. Les avions sillonnent les cieux, 2 saucisses survolent la Ville tout proche. On a la tête cassée de ces bombardements et sifflements qui ne cessent pas de la journée. En causant rue de Vesle avec M. Beauvais, Directeur de l’École Professionnelle, nous apercevons un incendie vers l’esplanade Cérès. Il me dit être monté aux combles de l’École où il a vu toute la côte de Brimont fort bouleversée par notre artillerie.
5h1/2 Je ne tiens pas en place, vais-je sortir ? on est comme un prisonnier fou de liberté, c’est une vraie rage.
6h soir Je suis sorti 1/2 heure, mais vu personne, les rues désertes vous coupent les jambes, et de plus le bombardement qui ne cesse pas, et cela a duré depuis ce matin 10h et toute la nuit dernière. Heureusement que ce n’est pas trop dans notre quartier, si cela continuait encore plusieurs jours je crois que je tomberais malade, mes 3 Parques en ont aussi plus qu’assez.
6h1/4 Je ne sais si j’ai consigné (on ne sait comment on vit, c’est à perdre la tête) que les voitures d’évacuation étaient aussi reparties. Pour le premier canton, rue des Capucins, en face du commissariat, pour les 2ème et 4ème cantons, place d’Erlon, au coin de la pharmacie Charlier, et pour le 3ème canton, place St Maurice (place Museux), près de l’Hôpital Général.
Helluy, directeur du Courrier de la Champagne, est parti sans prévenir qui que ce soit le soir du 7. C’est regrettable et Grandremy me disait qu’il était outré de cela, et surtout sans prévenir ses lecteurs. Il lui aurait été si simple de faire paraitre le jour de son départ un petit Courrier, comme l’Éclaireur actuel, pour dire qu’il suspendait la publication du journal pour ne pas exposer ses ouvriers, etc… etc… Le prétexte était beau à développer… mais non, rien : du soir au matin il avait disparu sans prévenir Grandremy, ni personne. 24h après son magasin était cambriolé par la troupe du 410ème d’Infanterie.
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Paul Hess
13 avril 1917 – Le bombardement n’a pas cessé au cours de la nuit que j’ai passée, après celle d’hier déjà, rue du Cloître 10, dans la vaste cave de la maison de l’un de mes beaux-frères, Simon-Concé.
Cette belle cave voûtée a sa principale entrée sous le chartil en angle, place du Chapitre, par où viennent se réfugier chaque soir : M. le vicaire général Compant, M. l’abbé Divoir, prêtre- sacristain et vicaire à la cathédrale, avec leurs gouvernantes, Me Pailloux et son fils, ainsi que Mme Martin, gardienne de la maison, tous habitants de la cour du Chapitre. Des lits s’y trouvent installés à demeure depuis septembre 1914 ; ils sont plus nombreux que les occupants actuels et je savais, qu’au besoin, une place pouvait facilement être mise à ma disposition. La proximité relative de l’hôtel de ville, où je prends maintenant mes repas, que je ne quitterai même que lorsque cela me sera possible, m’a fait choisir, sans attendre, ce lieu de refuge — et j’ai été fort bien accueilli par le petit cénacle qui s’y réunit régulièrement toutes les nuits.
Aujourd’hui, la journée nous a été très pénible. Depuis hier, le bombardement, souvent par rafales de quatre, ne s’est pas interrompu et reste très serré. Nous l’avons jugé trop dangereux pour continuer à prendre nos repas dans le bureau. La popote de la « comptabilité » est donc descendue dans le sous-sol de l’hôtel de ville et le cuistot Guérin y a installé son fourneau à pétrole, à côté de ceux de M. Lion, inspecteur des sergents de ville, Turquin et Champenois, également de la police, sous le bâtiment principal dans lequel nous travaillons. Il nous a fallu y passer tout le long après-midi dans l’inaction, à causer de la triste situation de Reims.
— L’église Saint-André et le quartier environnant ont été massacrés ce jour.
Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos
Cardinal Luçon
Vendredi 13 – + 2°. Nuit très mauvaise. Via Crucis in cathedrali de 7 h. 45 à 8 h. 45. A 11 h., bombes sifflent sans interruption jusqu’à 2 h. 1/2. Quelques-unes tombent tout près de nous ; nous voyons la fumée de l’éclatement.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
Vendredi 13 avril
Entre Somme et Oise, la lutte d’artillerie a continué pendant la nuit avec une certaine violence, notamment dans la région d’Urvillers.
Au sud de l’Oise, nos troupes, après une préparation d’artillerie, ont attaqué les positions allemandes a l’est de la ligne Coucy-la-Ville-Quincy-Basse. Après un vif combat, nous avons repoussé l’ennemi jusqu’aux lisières sud-ouest de la haute forêt de Coucy. Plusieurs points d’appui importants sont tombés entre nos mains malgré la résistance de l’ennemi qui a laissé de nombreux cadavres sur le terrain et des prisonniers. Au nord-est de Soissons (secteur de Laffaux), canonnade. Au nord de l’Aisne, nos patrouilles ont fait une quarantaine de prisonniers.
A l’est de Sapigneul, nous avons chassé l’ennemi de quelques éléments de tranchées qu’il occupait encore. En Champagne, nous avons arrêté deux coups de main.
Sur le front anglais, le temps continue à être humide et nuageux. Nos alliés ont enlevé deux importantes positions au nord de Vimy, des deux côtés de la rivière Souchez. Ils ont fait des prisonniers. Ils ont brisé deux attaques des Allemands à la pointe nord de la côte de Vimy.
On signale des émeutes sanglantes à Sofia.
Sur le front d’Orient, canonnade autour de Monastir.
Source : La Guerre 14-18 au jour le jour