Louise Dény Pierson
17 avril 1917 ·
Le lendemain 17, c’est la bataille pour les Monts de Champagne, Mont Cornillet, Mont Blond, Mont Haut… Reims se trouvait au milieu de ces combats qui s’étendaient au moins sur 50 km de front.
Le travail dans les vignes n’en étant point arrêté pour cela, tous les matins dès 6 heures. il fallait s’y mettre.
Ce texte a été publié par L'Union L'Ardennais, en accord avec la petite fille de Louise Dény Pierson ainsi que sur une page Facebook dédiée :https://www.facebook.com/louisedenypierson/
Louis Guédet
Mardi 17 avril 1917
948ème et 946ème jours de bataille et de bombardement
11h1/2 matin Pluie hier soir et aujourd’hui, nous n’avons pas dû être bombardés la nuit. Le combat continue toujours sur notre front vers Brimont. Toute la nuit nos canons ont grondé, vers 3h du matin j’en étais réveillé et assourdi. Quel martelage !! Poussé jusqu’à l’Hôtel de Ville voir aux nouvelles. Rue de Vesle, face chez Bienvenot, le sellier, un des gros obus d’hier a crevé la chaussée et l’égout, excavation de 8 mètres de profondeur. Chez Brémont, rue des 2 Anges, maison éventrée. La Cathédrale est fort endommagée, surtout ses contreforts. Elle a reçu au moins 12 ou 14 obus énormes. Du reste il ne fait pas de doute qu’ils ont tirés carrément dessus.
A la Ville, vu Lenoir, Raïssac, Guichard. Le communiqué est bon : nous avons fait ici 10 000 prisonniers. Nous encerclons Brimont, nous avons Bermericourt. D’aucuns disent que nous serons en ce moment à Juniville. Enfin attendons, mais que cela finisse bientôt… Raïssac me donne une lettre pour la Commission d’appel des Allocations Militaires que j’ai à remettre à Martin à la sous-préfecture établie au Palais. Il me demande aussi de la part du Maire l’adresse d’Hanrot, notaire, (rayé) fichu le camp à Paris 70, rue d’Assas, et prétend être resté toujours à Reims, quand il y fait des apparitions de 4/5 jours (rayé). Vu Charlier et les employés de la Ville. 2 employés de l’État-civil et une dactylographe du même bureau sont seuls restés ici, le fameux Cachot est filé. Bref toujours les fiers à bras qui ont donné le signal de la peur et de la lâcheté.
11h3/4 La bataille devient formidable direction faubourgs Cérès, Bétheny, Cernay. Allons-nous enfin être délivrés… ??
1h1/2 Je sors pour avoir mon courrier. En arrivant devant la Cathédrale je vois de la fumée, d’où vient-elle ? On me dit que c’est du pâté de maisons qui sont entre le pont de l’avenue de Laon, la place de la République et la rue Chaix d’Est Ange. Les pompiers de Paris, sur l’ordre de leur capitaine, se refusent à porter secours. Il parait que ce capitaine est au-dessous de tout comme… lâcheté.
Le vent souffle du nord ouest en rafale et tempête, la fumée vient jusqu’à la rue des Capucins, de cet incendie avenue de Laon.
En longeant certaines maisons je souris en voyant les moyens enfantins employés pour garantir des bombes les soupiraux des caves : 3 ou 4 briques et c’est tout. Après ce que j’ai vu des effets des bombes d’hier des 190 doubles, on sourit malgré soit. Comme quoi il n’y a que la foi qui sauve.
Je prends mon courrier, juste une lettre de ma chère femme. Toujours désolée, effrayée. Je passe chez le R.P. Griesbach, rue des Chapelains, pour le prier de m’écrire une lettre me disant qu’il se désiste de sa plainte d’hier contre Dupont. Je serais en règle et nous serons parés contre toutes entreprises de cet embusqué, de ses acolytes et des galonnards de la Place. S’ils bronchent, je les cinglerai.
A l’Hôtel de Ville, Raïssac, Houlon, Charbonneaux et… Goulden ! Que vient-il faire là !! Non, ce garçon-là manque absolument de sens moral ?! Il est dans le cabinet du Maire absolument comme chez lui. Il est désarmant d’inconscience !!
J’écris un mot à ma chère Madeleine dans la salle d’attente de la Ville sur un coin de table. Nous n’avons aucune nouvelles. Houlon me dit que dans les ambulances ont met le français dans les lits et le Boche par terre sur la paille. On est encore bien bon !! Je les tuerais moi !
Vers 4h je rentre chez moi, fatigué, déprimé. J’en ai assez, je tomberais malade si c’était pour durer encore longtemps.
On causait à la Ville du bombardement d’hier de la Cathédrale. Les uns disaient que c’était peut-être le P.P.C. d’une de leurs grosses pièces. Les autres croyaient que ce n’était qu’un tir de réglage pour pouvoir démolir notre Merveille le jour où ils seraient obligés d’abandonner les hauteurs de Berru, Nogent l’Abbesse et Brimont. Ils en sont bien capables ! les Bandits !!
Vu l’abbé Dupuis, curé de St Benoit, très affecté de la mort de sa sœur et de la destruction de son église, qui venait d’être terminée vers 1913. Ils en veulent à toutes nos églises ! St André n’existe plus, St Remy fort abîmé comme St Jacques, et hier c’était le tour de la Cathédrale. La Bataille continue toujours. Je tremble pour mon pauvre Robert.
Je songeais en marchant dans les rues à ce que m’avait dit dans les cours de la Semaine Sainte le Pasteur Protestant (en blanc, non cité) (?) que je voyais dans le couloir de la Police à l’Hôtel de Ville où on délivrait les passeports, et qui venait justement chercher le sien pour quitter Reims : « J’ai dit à mes fidèles de partir, de quitter Reims », me disait-il d’un ton onctueux, « et alors le Pasteur suit son troupeau !! » L’excuse était toute trouvée, mais bien faible à mon avis. Nos Prêtres ne pensent pas de même ! Le troupeau est bien parti, mais eux restent au Devoir, au Danger.
C’est là toute la différence qui existe entre le clergé Protestant et le clergé Catholique !! et la supériorité de celui-ci sur celui-là.
Et moi, je reste bien, malgré que tous mes justiciables soient partis.
Vu Lenoir à l’Hôtel de Ville, où on lui a dit ce qu’on pensait de la Place et des Pompiers !! de Paris !! Il est renseigné. Le capitaine des Pompiers de Paris refusant ses hommes pour éteindre les incendies !… sous prétexte qu’on n’a pas d’eau. On pourrait tout au moins faire la part du feu, en faisant des coupures !!…
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Paul Hess
17 avril 1917 – Quelques obus seulement dans le quartier de l’hôtel de ville, à midi 1/4. Après les journées atroces et les nuits vécues depuis le 6 courant, cela donnerait une impression de calme, sans la canonnade épouvantable qui tonne de façon ininterrompue au loin, toujours dans la même direction, nord-nord-est. Voici une dizaine de jours que nous entendons des roulements effrayants de coups de canon, qui se confondent en un grondement continu et ce soir, vers 20-21 h, le tapage infernal redouble encore. Le nombre des pièces en action, par-là, doit être considérable.
Aujourd’hui, mon voisin occasionnel, le gardien de l’immeuble Polonceaux, mitoyen avec celui de mon beau-frère, m’a proposé, quand je sortais ce matin, de me mener voir dans l’hotel du Commerce, où il habite seul, à l’angle des rues du Cloître et Robert-de-Coucy, un 210, tombé là hier sans éclater, mais non sans avoir annoncé son arrivée par une secousse terrible, paraît-il, et j’ai vu l’engin, qui est survenu pendant le tir sur la cathédrale et ses environs ; ses dimensions sont vraiment imposantes. En le contemplant, allongé sur des gravats, nous exprimions l’un et l’autre le souhait qu’il demeure inerte car, autrement, il pourrait provoquer de sérieux dégâts dans les deux propriétés, si l’on songe qu’un pareil projectile pèse plus de 100 kilos.
Rien ne prouve, d’ailleurs qu’il n’aura pas d’amateur tel qu’il est. Il se pratique à Reims, depuis longtemps, un véritable commerce occulte des différents obus que nous envoient les Boches ; ceux qui n’ont pas explosé sont par conséquent considérés comme une aubaine et recherchés par quelques-uns de nos concitoyens. Ne se contentant pas, en effet, de courir déjà bien des risques d’une façon normale, si l’on peut dire, ils s’ingénient à arriver premiers pour se les procurer, les dévisser, les débarrasser de leur charge d’explosif et les vendre ensuite, principalement aux personnalités de passage. Tous ne réussissent pas, à coup sûr, leurs délicates manipulations ; il en est qui se sont fait déchiqueter. Plusieurs de ceux qui ont acquis une réputation d’habileté, dans ce genre d’opérations, infiniment dangereuses, nous sont bien connus.
L’un d’eux a eu, il y a peu de temps, une surprise dont on n’a pu que rire, parce que, heureusement, elle a été amenée sans accident.
Un obus de 150, qui traînait sur la place des Marchés, avait été bien repéré, certain matin, au passage, par le chauffeur d’une auto, que son service particulier empêchait de s’arrêter avant d’aller, ainsi que chaque jour, jusqu’à l’hôtel de ville. Naturellement, le dit chauffeur se proposait bien de retourner l’enlever sitôt libre. Cet obus, tombé la veille au soir, après avoir heurté de biais le haut de la maison Girardot, s’était borné à dégringoler sans éclater et à rouler jusque vers la maison Fossier ; il venait seulement d’être remarqué. Mais, quelques secondes plut tard, un pompier sorti de la permanence toute proche de la rue des Élus, pour humer l’air frais, avait eu, lui aussi, son attention attirée par ce projectile qui s’offrait ainsi ; aussitôt, sans plus de façons, il s’empressait de le soulever et de le placer sur son épaule pour l’emporter — cependant, mal maintenu en raison de son poids sans doute, l’obus glissait et retombait sur le pavé… sans exploser encore. Le pompier s’en chargeait donc de nouveau, avec plus de succès — peut-être en pensant tout de même qu’il avait eu de la veine dans sa maladresse — et, lorsque le chauffeur vint à repasser, avec sa « Ford », il s’aperçut qu’il était trop tard.
J’ai eu l’occasion de voir dernièrement, rue de la Justice 18, une collection probablement unique à Reims, montée par les soins de M.H. Abelé et présentée d’une manière originale, au milieu d’un cadre magnifique, spécialement aménagé dans ses caves. Les spécimen de tous les genres ou à peu près, des projectiles employés sur le secteur s’y trouvent réunis en une copieuse variété, depuis les différents modèles de grenades, torpilles, etc. jusqu’aux obus de tous calibres et de toutes les longueurs — du plus minuscule aux projectiles de rupture.
Ch. Legendre, avant la guerre agent général de la compagnie d’assurances L’Aigle, qui s’est mis à la disposition du maire et, comme chauffeur, le conduit chaque jour de sa maison à l’hôtel de ville, et vice-versa, a rassemblé, lui aussi, à son domicile, 8, rue de la Belle-Image, une série assez importante de projectiles divers.
Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos
Cardinal Luçon
Mardi 17 – Nuit active autour et près de Reims ; tranquille à peu près dans notre voisinage immédiat. Journée très active d’artillerie sur le front. 18 contre-attaques, dit-on ; à l’est de Reims, à Moronvillers, a dit le Général Lanquetot(1). Vers 6 à 10 h., très violent combat d’artillerie. Toute la nuit, roulements de canons au loin. Bombes assez près de nous vers 2 h. 1/2. Les Sœurs se sont levées. Je n’ai pas entendu. Obus tombé à l’angle que notre maison fait sur la rue du Cardinal de Lorraine et la rue de l’Ecole de Médecine et de l’Université.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
(1) L’attaque sur les monts de Champagne, par contre, fut une opération particulièrement bien réussie à partir du 17 avril 1917.
Mardi 17 avril
Entre Saint-Quentin et l’Oise, tirs de destruction sur les organisations allemandes. La riposte ennemie à été vive dans la région au sud de Saint-Quentin.
Au sud de l’Oise, nous avons continué à progresser vers l’est, sur le plateau, entre Barisis et Quincy-Basse et occupé de nouveaux points d’appui ennemis. Nos patrouilles sont au contact des tranchées allemandes sur la lisière ouest de la haute forêt de Coucy.
Entre Soissons et Reims, après une préparation d’artillerie qui a duré plusieurs jours, nous avons attaqué les lignes allemandes sur une étendue de 40 kilomètres. La bataille a été acharnée.
Entre Soissons et Craonne, toute la première position allemande est tombée en notre pouvoir. A l’est de Craonne, nous avons enlevé la deuxième position ennemie au sud de Juvincourt. Plus au sud, nous avons porté notre ligne jusqu’aux lisières ouest de Berméricourt et jusqu’au canal de l’Aisne, de Loivre à Courcy. De violentes attaques déclenchées par l’ennemi au nord de la Ville-au-Bois ont été brisées. Le chiffre de nos prisonniers actuellement dénombrés dépasse 10.000. Nous avons également capturé un matériel important non encore recensé. Lutte d’artillerie sur le reste du front de Champagne.
Les Anglais ont fait au total 14000 prisonniers et ont capturé 194 canons.
Echec des Germano-Bulgares en Macédoine, dans la boucle de la Cerna. Fusillade dans le secteur italien.
Source : La Guerre 14-18 au jour le jour