Louis Guédet

Mercredi 21 février 1917

893ème et 891ème jours de bataille et de bombardement

8h10 soir  Ce matin brouillard intense, le silence. Je m’éveille à 6h, il faut se hâter la voiture vient à 7h. On charge la couronne de la Chambre des notaires pour ce pauvre Lefebvre et je prends Mt Dondaine notaire à Beine en passant, et nous courons sur Aÿ par Montchenot, Champillon, Dizy. 3h de voiture avec ces routes défoncées par les camions et voitures militaires. Cela me ramène à l’époque napoléonienne avec notre coupé à 2 chevaux. Arrivés chez Lefebvre je vois la famille, son maitre clerc, et on me renseigne sur le suppléant désigné par le Président, en vertu du Décret du 17 août 1912, qui permet de nommer suppléants le clerc même pour un notaire décédé. Je tiens un coin du drap (honneur de marcher à côté du cercueil), et je dois débiter mon laïus au cimetière. On porte ma couronne sur la tombe, car on ne veut pas de fleurs sur le char funèbre. Comme notaires nous étions peu !! Dondaine, Lepetit notaire à Avenay, Dufour à Châtillon et moi.

C’était plutôt maigre pour un Président. Les confrères de Paris et ceux des cantons limitrophes ou leurs suppléants auraient pu faire un…  léger effort. Ce sont des mufles. Je ne parle pas de Thiénot, lui qui vient tous les  jours à Épernay, il n’est pas venu celui-là, j’en arrive à l’ignorer !!

Obsèques très solennelles, beaucoup de monde. Je vois là de Ayala qui donne son caveau de famille à mon confrère en attendant qu’on puisse le transporter à St Léger des Aubées (Eure et Loir) son pays natal, Bollinger, et ce brave Blondeau, beau-frère d’Émile Charbonneaux, qui n’était pas encore remis de ses émotions de la mort de notre pauvre ami qui causait avec lui dans l’étude de la succession de son Père quand il est tombé dans ses bras. Embolie ou angine de Poitrine. Lefebvre avait eu déjà une légère syncope 15 jours avant.

Après l’enterrement, au sortir du cimetière je cause avec mon brave et charmant Président Hù (toujours le même) et Vice-Président Bouvier qui m’a dit que Lépinois lui avait communiqué la lettre du Procureur de la République M. Bossu au Procureur Général à mon sujet (il n’a pas prononcé le mot de ruban) ou il faisait mon éloge et disait qu’il tenait à dire ce que j’étais et ce que j’avais fait depuis 30 mois avant de partir à Bastia et de se résigner à ses fonctions. Bouvier, qui est droit, à mon sens, me dit comme préambule : « Mon cher M. Guédet, je tiens à vous dire, et ceci à l’éloge de Bossu que Lépinois m’a communiqué, à l’insu de celui-ci, sa lettre à votre sujet, etc… » Pour qui connait la rancœur de M. Bouvier envers M. Bossu, cela prouve une réelle droiture de sentiments, qui malgré tout rend justice à quelqu’un qu’il considère comme son ennemi mortel… Quant au Président, l’un le traite de timoré comme toujours, et que je n’avais rien à foutre de tous les galonnés de France et de Navarre, toujours aussi bon, et il m’a ordonné d’attendre qu’il m’écrivit pour me présenter au nouveau procureur qui n’arrivera que vers le 2 ou 3 mars. J’en profiterai pour aller à St Martin.

Je m’étais mis en habit chez le clerc d’Harel, qui est là avec les minutes du confrère dans une maison en communauté avec le juge de Paix de Bourgogne.

Après la cérémonie, déjeuner chez Lefebvre avec la famille, les 2 charmantes et vraiment gracieuses filles de Lefebvre, son fils ainé en Tunisie, lieutenant d’artillerie n’a pas pu venir, son 2ème fils était là, ayant déjà eu dans les tranchées une congestion pulmonaire, fort délicat. Le Général Gallet son beau-frère, Mt Lefebvre notaire à Chartres son frère, avec son gendre et successeur et Mt Bigard commissaire-priseur à Paris son beau-frère. Déjeuner d’enterrement, tout intime malgré tout. Vu après Mme Lefebvre, très courageuse et très résignée, nous causons, je fais mes condoléances au nom de la Compagnie, et je lui dis que je suis à son entière disposition pour quoi que ce soit. Elle a paru très touchée de mes paroles et m’a réclamé les quelques mots que j’avais dit sur la tombe de son mari.

A 4h nous partons et rentrons à Reims à 7h du soir. Je suis éreinté et fort émotionné de cette journée qui me montre de plus en plus les vides qui se font autour de moi des amis sur lesquels je pouvais espérer compter après la Guerre. Je resterais donc toujours seul ?!!!

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

21 février 1917 – L’inscription qui avait été ordonnée, pour la préparation des cartes de sucre, indique une population actuelle de 17 100 habitants à Reims.

De nouvelles mesures sont prises au sujet du ravitaillement.

Il y a seulement quinze jours, on pouvait obtenir facilement 500 k de charbon au dépôt, sur le canal, en payant comptant. Depuis que l' »office départemental » est chargé de la répartition des stocks, les demandes autorisées ont d’abord été limitées à 100 kilos ; actuellement, elles ne peuvent excéder 50 kilos, qui sont accordés sur production de pièces d’identité.

L’essence fait défaut, pour la population civile, depuis un mois environ et le pétrole est délivré avec un commencement de restriction, à la mairie.

A partir du 25 février, les boulangers ne pourront plus vendre que du pain rassis.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

 Cardinal Luçon

Mercredi 21 – Nuit tranquille ; brouillard ; + 4° ; malade.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

Mercredi 21 février

Actions d’artillerie assez vives entre l’Oise et l’Aisne et dans le secteur d’Avocourt.

Sous la protection d’un violent bombardement qui détruisit entièrement une tranchée, de forts détachements ennemis, soutenus par des lance-flammes, se sont précipités à l’assaut d’un petit poste anglais au sud du Transloy.

Nos alliés ont pénétré dans les lignes allemandes à l’est d’Armentières et à l’est d’Ypres, occasionnant de graves dégâts.

Échec allemand sur le front russe près de Porgaitze.

Échec autrichien sur le plateau d’Asiago. Les Italiens bombardent la gare de Tarvis.

L’Amérique somme l’Autriche de préciser ses vues sur la conduite de la guerre sous-marine.

Nouvelles démarches des alliés à Athènes : l’exécution du dernier ultimatum étant incomplète.

Source : La Grande Guerre au jour le jour

avocourt