Louis Guédet
Dimanche 25 février 1917
897ème et 895ème jours de bataille et de bombardement
8h soir Beau temps, gare la gelée de nouveau pour un mois, en tout cas pas de neige. Bataille et canonnade toute la nuit ! mal dormi. Messe paroissiale de 8h1/2 quoique levé à 6h1/2. Répondu à mes lettres et vu Charles Heidsieck qui est venu s’excuser d’avoir oublié de m’offrir l’autre jour du café dont la cafetière était près de lui, je suis parti laissant ma tasse vierge de tout café. Il en a d’autant plus ri que ni l’un ni l’autre ne nous sommes aperçu de cet oubli. Notre entretien était certainement intéressant pour en oublier et cafetière et café etc… etc…
Reçu nombre de lettres, ma chère femme est inquiète de Jean qui est fatigué et saigne du nez. Je lui confirme ce que demande Mme Becker, le nom de son capitaine et lui conseille d’écrire ses recommandations pour Jean à Madame Becker elle-même. Robert pense partir bientôt au front. Ma chère aimée me parait très désemparée… et moi… aussi. Sorti à 2h, porté mon courrier à la Poste, une 15aine (quinzaine) de lettres. Vu Porte de Paris aux trains pour Châlons, pas commodes du tout : il me faut coucher à Épernay si je veux voir mes Juges et Procureur. Poussé jusqu’à la Gare de la Haubette et redescendu, bavardé de droite et de gauche avec de braves gens qui aiment bien leur juge de Paix.
Recogné dans M. Heidsieck qui trotte comme un cerf maintenant et voulait m’entrainer à St Charles voir le Chef de gare. J’ai refusé énergiquement, ayant encore à finir mes lettres et à travailler. Il m’invite à déjeuner au Cercle mardi avec d’autres amis. J’ai accepté. Passé par les Tilleuls (rue Bazin depuis 1925) après l’avoir quitté au Pont de Vesle et rentré chez moi. En chemin rencontré Braudel (à vérifier), fondé de pouvoir de Charles Heidsieck. Causé un instant, il a perdu 2 fils tués : « Surtout ne conseillez pas à vos fils d’entrer dans l’artillerie de tranchées, où on est sacrifié !! » me dit-il, et surtout on expose les aspirants !… J’en ferai mon profit. Entretemps, canonnade sur des avions allemands, et en route on m’apprit qu’un de ceux-ci est tombé vers St Brice. C’est M. Floquet, mon voisin d’ici (au n°61) qui me dit cela au moment de rentrer, et il était accompagné de son dernier fils qui est actuellement devant Vailly (Vailly-sur-Aisne), pays natal de ma belle-mère. Il est au sud du canal et l’Aisne seule sépare français et allemands du village de Vailly. Comme je lui demandais si l’usine de caoutchouterie (usine de pneus de bicyclette Wolber depuis 1904) était encore là, il me répondit affirmativement, me disant qu’il était justement en face, et il me disait que les bâtiments de cette usine et ceux adjacents ne paraissaient pas avoir beaucoup souffert. C’est la demeure des grands-parents maternels de ma chère Madeleine, les Dopsent. (Rayé) environ (rayé), quelle brute que cet (rayé) là !! Rentré enfin travailler, fini mes lettres et étudié pour mon brave Dondaine une dévolution de succession entre neveux et petits-neveux germain et consanguins. Ces questions de dévolutions en matières collatérales sont toujours difficiles à bien saisir. Enfin j’ai mis l’affaire au point.
8h3/4 Il est temps de se coucher. Calme absolu, il fera encore froid cette nuit. Je suis fatigué, mais dormirai-je, ou bien mes insomnies persisteront-elles ??…
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Cardinal Luçon
Dimanche 25 – Violente canonnade jusqu’à minuit. Reste de la nuit tranquille. 0° ; beau soleil. Un officier qui commandait à la Pompelle, hier jusqu’à minuit, me dit qu’un Polonais(1) avait réussi à passer dans nos lignes. Il indique aux chefs qu’une relève de division devait avoir lieu et fait connaitre l’heure exacte et le lieu précis avec tous les détails : c’est pour contrarier la relève de cette division qu’a eu lieu la canonnade de samedi à dimanche.
Mgr Neveux va à ma place à la messe des soldats aux Caves Pommery.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
(1) Les malheureux Polonais, privés de patrie, servaient malgré eux dans l’Armée russe, l’Armée allemande et l’Armée austro-hongroise. Ils désertaient lorsqu’ils en avait l’occasion et les différents adversaires tentèrent de créer des unités avec les réfugiés politiques. Les travailleurs émigrés, les prisonniers de guerre et les déserteurs. Toutes ce fractions disparates qui, comme les Tchèques, changèrent parfois de camp sans préavis, finirent cependant, après 1918 par former les bases d’une Armée polonaise qui connût pas mal de soubresauts.
Dimanche 25 février
Dans les Vosges, un de nos détachements a pénétré dans les lignes ennemies, au nord de Senones. Après un bombardement violent, les Allemands ont tenté sans succès un coup de main sur nos tranchées de Wissembach. Ils ont fait deux autres tentatives infructueuses sur nos tranchées du Nolu (Alsace).
Activité d’artillerie soutenue sur tout le front belge. Violente lutte de bombes dans la région Steenstraete-Hetsas.
Un de nos dirigeables a bombardé les usines en activité dans la région de Briey et est rentré sans incident à son port d’attache. Quatre cents kilos de projectiles ont été lancés par nos avions sur les bivouacs allemands dans la forêt de Spincourt.
Engagement sur tout le front roumain.
Les Anglais ont réalisé une forte avance dans la région de l’Ancre et se sont rendus maîtres du Petit-Miraumont. Ils ont progressé également, et sur un front de 2400 mètres, dans la région de Serre.
Ils ont accentué leur cheminement dans les alentours de Kut-el-Amara, en Mésopotamie.
Deux navires brésiliens sont arrivés, malgré le blocus des sous-marins, au Havre.
Le gouvernement anglais publie une liste de marchandises dont l’importation sera provisoirement interdite. Il veut réserver sa marine de commerce aux besoins immédiats de la guerre.
Source : La Grande Guerre au jour le jour