Paul Hess
24 février 1916 – Dans un article, aujourd’hui, Le Courrier de la Champagne s’élève contre un appel à l’opinion en faveur de la « reconstruction de la cathédrale de Reims », lancé par M. Camille Le Senne, tout en remémorant en tenues comiques et plutôt irrévérencieux une autre initiative passée pour ainsi dire inaperçue, le mois dernier.
Voici la reproduction de cet article :
Faut-il reconstruire la cathédrale ?
M. Camille Le Senne, un des imprésarios de la petite drôlerie de la place du Parvis, lance un « appel à l’opinion » en faveur de la « reconstruction de la cathédrale de Reims « .
Faut-il rappeler à cet ardélion que la cathédrale de Reims n’a pas besoin d’être reconstruite? N’a-t-il pas constaté lui-même de visu que les murs, les tours et les voûtes étaient encore debout.
Il ne peut être question que de la réfection des toitures et des charpentes, de la restauration des parties mutilées, et d’une reconstitution de beaucoup de statues et de détails ornementaux. Sur les conditions dans lesquelles ces travaux devront être faits, il y a évidemment matière à discussion, mais le moment n’est pas encore venu de se livrer à cette discussion.
Dans La Libre Parole, M. Remondet s’oppose en termes lyriques à la « reconstruction de la cathédrale ». Encore !
La cathédrale, dit-il, a désormais sa mission de propagande dans le monde. Ses blessures qui ne doivent pas se refermer, elle les étalera pour vouer à l’opprobre la race allemande.
Tout cela, comme disait l’autre, c’est de la littérature. Certes — et S.E. le cardinal-archevêque de Reims a traduit le premier ce désir de tous les Français — il n’est pas mauvais que la cathédrale reste quelque temps dans son état actuel, pour attester au monde le savoir-faire des descendants d’Attila. Mais les Rémois veulent que leur cathédrale revive avec leur ville. Ce ne serait pas la première fois qu’ils lui rendraient sa splendeur première, puisque l’incendie de 1341 lui avait fait subir autant, sinon plus, de ravages que les bombardements de 1914-1915.
Quant à la petite cérémonie à laquelle le rédacteur fait allusion, elle s’est passée le samedi 22 janvier dernier, à 14 h 1/2.
Ce jour-là, M. Camille Le Senne, président du Souvenir littéraire et un petit groupe de personnes s’étaient rendus sur la place du Parvis, où Mme et M. le Dr Langlet ainsi que quelques conseillers municipaux, vraisemblablement invités, étaient venus les rejoindre.
Après les présentations, le président du Souvenir littéraire avait ainsi fait connaitre, dans une allocution au maire, les visiteurs qui l’accompagnaient : « Mme la comtesse de Chabannes-Lapalice,
qui a gagné par son infatigable dévouement a nos services hospitaliers le glorieux insigne de la croix de guerre » ; « notre infatigable et vaillant ami, le comte de Chaffaut, qui fut en 1870 le plus jeune
volontaire de nos armées et est aujourd’hui le délégué de la bienfaisante société France-Belgique » ; « Mme Caristie Martel, de la Comédie-Française, muse du peuple, devenue la muse des armées de
la République. »
A l’étonnement des rares passants, cette dernière avait récité des strophes sur la cathédrale mutilée, dues a M. Le Senne.
Voici d’ailleurs comment le journal du 24 janvier parlait de cette réunion :
…Après les remerciements de M. Langlet, la cérémonie prit fin.
Cette récitation, devant le fond incomparable du grand portail, ne manquait pas de caractère. Il n’est que juste de rendre hommage au talent de l’auteur du poème et a son interprète. Pourtant la cérémonie nous sembla un peu falote, tant a cause du petit nombre des assistants, que de la hâte
avec laquelle elle se déroula. En même temps qu’elle, se déroula un film que l’on verra sans doute quelque jour dans les music-halls parisiens.Tout finit maintenant par le cinéma, au cinéma. .. et au profit du cinéma. ..
Bien des Rémois, je crois, avaient été seulement un peu surpris d’avoir en a lire, dans deux colonnes du journal, le récit très complet de cette courte manifestation.
L’incompréhension, sans doute, de la beauté du geste les avait laissés indifférents ; ils n’avaient éprouvé d’admiration ni pour I’allocution au maire ni même pour la poésie.
Ils avaient pensé tout bonnement, que les organisateurs et acteurs de ce que beaucoup d’entre eux osaient qualifier de « battage », pouvaient se féliciter de n’avoir pas eu, en même temps, à apprécier comme spectateurs, un impromptu de l’artillerie allemande. Justement, ses pièces faisaient relâche, à cette date.
— Calme assez étonnant depuis hier, qui nous laisserait supposer que les Allemands sont préoccupés avec leurs vives actions d’infanterie signalées au nord de Verdun — qu’ils ont probablement déplacé des troupes et peut-être du matériel.
Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos
Cardinal Luçon
Jeudi 24 – Nuit tranquille, sauf quelques bordées de canon de temps en temps. Température, – 4. Aéroplane français. Canonnade de temps en temps.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
Jeudi 24 février
En Belgique, un tir de notre artillerie a ouvert plusieurs brèches dans les tranchées allemandes en face de Steenstraete.
En Artois, nous avons repris plusieurs points près de Givenchy.
L’action au nord de Verdun s’est marquée comme une attaque très importante entreprise avec des moyens puissants. La bataille a continué avec une grande intensité et nos troupes, qui l’ont soutenue énergiquement, ont infligé d’énormes pertes à l’ennemi. Le bombardement d’obus de gros calibre, de part et d’autre, s’est étendu sur 40 kilomètres. On a constaté la présence de troupes allemandes de sept corps d’armée différents.
L’ennemi a vainement essayé de nous déloger de nos positions au débouché du village de Haumont; nous avons repris la plus grande partie du bois des Caures; a l’est de ce bois, l’ennemi a pénétré dans celui de la Ville. Au nord d’Ornes, ses assauts ont été enrayés.
En Alsace, nous avons repoussé une attaque au sud-est du bois de Carspach, près d’Altkirch.
Les Russes accusent une série de succès de la Courlande à la Strypa.
Un article officieux de la Gazette de Cologne menace l’Amérique de la rupture.
Le président du Conseil russe, M. Sturmer, parlant à la Douma après M. Sasonof, a dit, comme lui, que la Russie irait jusqu’au bout avec ses alliés. Le tsar, pour la première fois, venait au Parlement.