Louis Guédet
Mardi 23 novembre 1915
437ème et 435ème jours de bataille et de bombardement
8h soir Gelée et brouillard intense toute la journée, quelques coups de canon. Comme toute la journée pour la Vile.
Reçu lettre de Émile Français, un ami de Maurice, qui m’apprend que Pierre Minelle (Pierre Minelle, docteur en médecine, membre du CIO (1869-1953), père de Bernard Minelle (1903-1994), grand ami d’André Guédet), aide-major aux Dragons, vient de partir à la tête d’une ambulance en Serbie ! Que sa pauvre petite femme doit être navrée, désolée. Pauvre Pierre, lui si gai, un peu « Cadet de Gascogne », il doit la trouver cruelle. Comme je le connais, faire la guerre en France aux allemands passe encore… mais en Serbie !! Cela ne doit guère lui aller ! Quelle destinée que notre quatuor : les 4 Mousquetaires comme nous nous appelions, de nos premières années à Reims, clerc de notaire débutant chez Douce, Charles Decès, jésuite missionnaire, à Madagascar actuellement aide-major mobilisé à Tananarive. Je l’avais connu à la suite de la venue du curé de Perthes, pays natal de ma mère, l’abbé Monot, à la clinique de l’Hôtel-Dieu de Reims, dont le père de Charles Decès, le Docteur Arthur Decès (Docteur en médecine, 1831-1900), était le chirurgien en chef avec Pozzi (Docteur Adrien Pozzi, 1860-1939, Maire de Reims de 1904 à 1908) comme 2d (second) et la Mère St Jean comme religieuse directrice du service. (Qu’est-elle devenue en Belgique à Cras-Avernas avec toutes ses co-religieuses ???) (Ces religieuses Augustines restèrent à enseigner dans l’école libre de Cras-Avernas de 1903 à 1922 puis rentrèrent en France).
J’allais voir tous les jours de 12h1/2 à 1h1/4 le bon Curé. J’expédiais mon déjeuner au grand dam de Pausé (à vérifier) et Berton (à vérifier) mes compagnons de table au Grand Hôtel, c’était une course de la Cathédrale à St Remy et rentré à l’Étude, 24, rue de l’Université (ancienne rue de la Peirière) à 1h1/2. Là je rencontrais Charles Decès qui faisait sa 1ère année de médecine dans le service de son Père avec Pierre Minelle. Nous nous liâmes. Le bon curé fut opéré (le pied amputé) et puis parti pour aller mourir quelques mois après dans sa paroisse. Il me recommanda à Charles et à St Jean (comme on l’appelait) et je continuais ces relations, il me fit connaître Pierre Minelle et Maurice Mareschal. Quelle destinée ? Charles se fit jésuite après son doctorat en médecine et parti à Madagascar où il est encore. Voilà Pierre parti en Serbie. Le conserverai-je celui-là. Quant à Maurice mon meilleur ami, celui qui m’était le plus attaché, tué il y a 1 an.
M’en restera-t-il un des 3… pour mes vieux jours… si je survis à la tourmente ? Reçu une lettre fort affectueuse de René Mareschal, l’ainé des fils de mon cher ami, qui est à Saumur, chez M. Girard-Amiot, pour son éducation au métier de commercial de Champagne, il ne peut être en de meilleures mains. J’ai remarqué la ressemblance frappante de l’écriture de cet enfant avec celle de son Père. On jurerait la signature de Maurice. Pauvre cher Maurice !
Vu Charles Heidsieck qui va mieux mais reste encore étendu (alité). Henri Abelé qui hier a failli être tué à Épernay par l’auto dans laquelle se trouvait de Bruignac notre adjoint. La faute est au chauffeur municipal. Dégâts : 2 roues arrière cassées à la voiture de Charles Heidsieck.
Nous avons causé longuement de la nomination du Curé de la Cathédrale, l’abbé Landrieux, à l’évêché de Dijon. Tous nous étions unanimes pour dire que c’était une perte pour notre paroisse de la Cathédrale, pour Reims et notre diocèse. Ni Abelé ni Heidsieck, qui pourtant étaient des intimes-intimes, ne le savaient. La veille de son départ pour Rome l’abbé Landrieux avait déjeuné chez Henri Abelé dans ses caves. Celui-ci nous a lu une lettre de lui de Rome où il annonce sa nomination et son acceptation après 2 jours de luttes et de résistance. Il était presque parvenu à convaincre Benoît XV quant celui-ci, après avoir consulté à nouveaux les cardinaux français, lui intima l’ordre d’obéir. Le Brave curé parait être tout novice, lui qui ne voulait jamais quitter Reims et qui avait accepté d’être curé de la Cathédrale à cause de cela pour qu’on ne songe plus à lui offrir une Mitre. Il parait que le Cardinal Luçon est désolé de cette nomination qu’il n’a connue que par la lettre du Vatican appelant M. Landrieux à Rome. C’est une perte pour la Cathédrale qui avait besoin de lui pour se relever de ses ruines. Qui va-t-on nommer à sa place ?? Je ne vois personne capable de prendre cette charge… J’irai à l’Archevêché voir le Cardinal ces jours-ci et je verrai ce qu’il en retourne. Voilà ma journée. Je suis fatigué. Pourvu que je puisse dormir et que je n’ai pas d’insomnies !!
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Cardinal Luçon
Nuit tranquille en ville ; canonnade violente jusque assez avant dans la nuit, jusque vers 10 ou 11 h. Gros coups.
Visite de l’aumônier militaire de Lille, M. Régent, ………….de la Légion d’Honneur.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
Juliette Breyer
Mardi 23 Novembre 1915. J’ai appris une triste nouvelle dans les journaux. M. Fonder, le sous-officier qui était au 16e dragons a été tué tout près de Souain. Un camarade l’a écrit à sa femme. C’est en revenant de se faire panser une blessure au bras qu’il a reçu des éclats d’obus aux reins et dans le ventre. Un camarade a assisté à ses derniers moments et a pu après l’attaque le faire enterrer dans le cimetière de Suippes. Il était sous-lieutenant. Elle doit être triste aussi. Pauvre Mme Fonder. Mais elle aura toujours la consolation de venir pleurer sur sa tombe. Ce sera un pèlerinage pour elle. Il lui restera un peu de lui. Mais moi, rien ; c’est torturant.
Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) - Lettres prêtées par sa petite fille Sylviane JONVAL
De sa plus belle écriture, Sylviane Jonval, de Warmeriville a recopié sur un grand cahier les lettres écrites durant la guerre 14-18 par sa grand-mère Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) à son mari parti au front en août 1914 et tué le 23 septembre de la même année à Autrèches (Oise). Une mort qu’elle a mis plusieurs mois à accepter. Elle lui écrira en effet des lettres jusqu’au 6 mai 1917 (avec une interruption d’un an). Poignant.(Alain Moyat)
Il est possible de commander le livre en ligne
Mardi 23 novembre
Activité marquée d’artillerie en Artois et en Champagne.
La lutte de mines, en Argonne, s’est poursuivie à notre avantage.
Canonnade en Alsace, à l’Hartmannswillerkopf et au plateau d’Uffholz.
Sur le front belge, accalmie.
Sur le front de Macédoine, nous avons repoussé une attaque bulgare près de la Cerna. L’action s’est a nouveau engagée sur le Rajek, affluent de cette rivière.
Aux Dardanelles, une division anglaise a enlevé une tranchée et un dépôt de bombes. Elle a été appuyée par l’artillerie d’un croiseur cuirassé français. Toutes les contre-attaques ennemies, si violentes fussent-elles, ont été repoussées.
Les Serbes, après plusieurs journées de combat, ont vaincu les Bulgares en leur infligeant des pertes énormes, entre Nisch et Vrania. Ils ont imprimé un recul à l’ensemble de la ligne ennemie.
Plus au sud, les Bulgares ont évacué Prilep et même la passe de Babouna.
Les Italiens ont remporté de nouveaux succès sur les massifs de collines qui dominent Goritz et où leur avance est devenue très caractéristique.
La Grèce a donné de nouvelles assurances satisfaisantes aux puissances alliées et le ton de la presse anglaise à son égard s’est quelque peu radouci.
Source : La Grande Guerre au jour le jour