Louis Guédet
Dimanche 10 octobre 1915
393ème et 391ème jours de bataille et de bombardement
7h soir Toujours le calme. Temps magnifique qui m’a incité à partir à Taissy. Pris le chemin le long du canal jusqu’au Pont Huon. Tout le long des tranchées avec créneaux plateformes pour mitrailleuses, mats de perroquet aux arbres pour observer. Je traverse Cormontreuil et suis mis sur la route de Taissy. Quantités de champs sont incendiés, que c’est triste. J’arrive à Taissy, bondé de troupes, de tranchées, redoutes, casemates, etc … partout. Le village parait abandonné. Je vois le maire (M. Albert Tritant) et l’institutrice M. (en blanc, non citée, il s’agit de l’épouse de l’instituteur Charles Fiquemont, sergent au 330ème RI, décédé à l’Hôpital militaire de Verdun le 23 avril 1915) qui fait l’office de secrétaire (elle restera au village jusqu’en 1917, sauvera les archives communales et exercera jusqu’en 1920). Nous causons de choses et d’autres, je leur donne quelques indications pour les allocations et les réquisitions militaires. M. (en blanc, non cité) me signale la demande abusive de trois femmes de Taissy, Mmes Bouché-Laplance, Leclère-Bouché, Lalique-Laplance qui ne sont nullement dans le besoin, l’une d’elles même Mme Leclère-Bouché a souscrit il y a quelques jours pour 3000 Fr de Bons de la Défense Nationale chez le percepteur de Taissy, M. Petit, 84, rue des Capucins à Reims. Je vais mettre ordre à cela. C’est honteux ! Quand tant d’autres pauvres femmes n’osent pas réclamer.
Là, un loustic me voyant écrire : « Tiens ! un civil ! c’est tellement rare ! Que çà vaut la peine qu’on le reluque !! Je ris avec ce brave militaire qui m’affirme que c’est fort rare de voir un civil bien habillé. Blagueur ! Va ! Je le quitte et repends le chemin de Reims, par un soleil magnifique. Tout le long de la route j’entends la fusillade crépiter sur ma droite, les balles et shrapnels siffler et éclater tandis qu’au loin le canon gronde vers Aubérive et Moronvilliers et qu’au ciel volent nos aéroplanes.
Je rentre triste ! Peut-on être autrement quand on visite toutes ces friches, ces ruines, ces décombres et les plaines incultes !!…
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Paul Hess
Vu passer vers 14 h 1/2, étant en promenade le long du canal, une escadrille d’une dizaine d’avions, retour d’un raid.
Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos
Cardinal Luçon
Dimanche 10 – Nuit tranquille en ville, sauf coups de canon plus fréquents. Vers 11 h. j’ai vu les éclairs des canons lointains, direction de Vitry à peu près. J’ai cru voir des projections. Je me suis levé pour me rendre compte, sur le perron de mon bureau ; je n’ai vu que quelques éclairs de déflagrations. Retraite du mois.
Visite aux Sœurs de l’Espérance. Beau temps.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
Dimanche 10 octobre
Les Allemands, bien qu’ils aient déjà subi sur ce point de lourdes pertes, ont renouvelé leurs attaques contre nos tranchées devant Loos. Ils ont été refoulés dans les leurs.
Ils ont été repoussés également au sud-est de Neuville-Saint-Vaast.
Violent bombardement de part et d’autre sur tout le front d’Artois.
Des démonstrations ennemies ont été arrêtées à l’est de Souchez; d’autres ont eu le même sort, sur l’Aisne, près du Godat.
Canonnade à Lihons, à Quennevières et à Nouvron.
En Champagne, nous avons rejeté une contre-attaque à l’est de la ferme Navarin et une autre contre la butte de Tahure.
Lutte de bombes en Argonne et sur les Hauts-de-Meuse.
Plusieurs reconnaissances allemandes ont été dispersées sur le front de Lorraine.
Les Russes ont progressé dans plusieurs secteurs, capturant en tout 4000 prisonniers.
Les Austro-Allemands ayant franchi le Danube et la Save, en face de Belgrade, ainsi qu’à l’est et à l’ouest de cette ville ont subi une série d’échecs qui leur ont occasionné de lourdes pertes.
La Bulgarie a protesté auprès de la Grèce contre les facilités que cette dernière a offertes au débarquement franco-anglais à Salonique.
Source : la Grande Guerre au jour le jour