Louis Guédet
Samedi 21 août 1915
343ème et 341ème jours de bataille et de bombardement
5h1/2 soir Nuit calme, matinée de même. Vaqué à nos affaires, et attendu prudemment pour sortir l’après-midi. En effet à 2h sonnant la danse a recommencée, comme depuis 5 jours ! C’est notre quartier qui a écopé. Varin 2 obus, Pharmacie de Paris 1 obus, dans notre rue, rue du Clou dans le Fer 2/3 obus, rue de Vesle chez Madame Luzzani, près de Venot place d’Erlon (5/6 victimes), etc… Enfin nous étions aux premières loges. Passé cette heure angoissante dans la cave. Ils tiraient par rafales de 2 – 3 – 4 obus à la fois. Je tremblais pour mes pauvres épaves qui sont chez Martinet. Quelle misère et quelle vie. J’ai rencontré à nouveau cette espèce de métronisation du cœur quand les obus sifflaient bas au-dessus de ma tête, mon pouls battait plus vite et fort. J’étais et je suis fiévreux. Et j’ai aussi remarqué que cette émotion ? influait sur ma vue, une espèce de fatigue nerveuse, qui me gêne pendant quelques heures pour fixer les objets de loin dans la rue notamment, c’est assez singulier, mais c’est bien gênant, je suis obligé de faire un effort pour fixer et distinguer l’objet que je regarde. Hélas quand ce sera fini, je paierai certainement tout cela, c’est trop et trop long, à moins que je ne succombe avant la fin ! Je suis si las ! si découragé ! si désemparé !
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Paul Hess
A 14 heures, le bombardement reprend comme les jours précédents. Quelques sifflements isolés se perçoivent d’abord puis, rapidement, les obus arrivent aujourd’hui, par rafales de quatre.
Le personnel de l’hôtel de ville, qui vient de rentrer dans les bureaux, en sort pour se diriger vers les sous-sols ou se répandre dans les couloirs. Ceux-ci sont vraiment trop bruyants ; je préfère rester à la « comptabilité », d’où j’entendrai au moins les sifflements, tout en profitant de cette interruption forcée pour fumer quelques cigarettes. Ce bombardement assez violent, dure une heure environ.
A 15 h 1/4, chacun a regagné sa place et repris ses occupations.
Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos
Cardinal Luçon
Samedi 21 – Nuit tranquille ; matinée item. 2 h. grosse bombe sifflante ; très violent bombardement sur la ville, bombes très lourdes, gros calibre. (Théâtre, Palais de Justice, maison Luzzani rue de Vesle (où avait couché Napoléon I), dit M. Compant. Visite de M. Claudin, du P. Lazariste de Roure (supérieur). On dit aux Petites Sœurs des Pauvres, à l’Hôtel de Ville, qu’il y a 15 victimes. Une derrière la maison de M. Compant (faux) 3 Maison Luzzani.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
Juliette Breyer
Samedi 21 Août 1915. Sur Le petit Parisien nous avons fait mettre nous deux Charlotte ton nom et celui de Paul avec toutes les explications que nous avons pu donner. Si seulement cela réussissait ! Depuis si longtemps, quand tous mes souvenirs me repassent par la tête, quelle souffrance j’endure. Et ce que je regrette le plus, vois-tu, c’est notre petit nid de la rue de Nogent. Qu’on y était bien ! Redeviendrons nous aussi heureux ? Reviendras-tu mon Charles ?
J’ai reçu la nouvelle que M. Commeaux est mort à Épernay. Encore un de moins. Mais sais-tu mon Charles, j’appréhende maintenant de rentrer chez moi. Mon commerce ne marchant plus, ils ne vont peut-être pas me le rendre. J’aime mieux ne pas y penser. Je ne sens plus ma pauvre tête. Je ne suis heureuse que quand je dors. Dormir toujours, que ce serait bon…
Je t’aime toujours mon Charles.
Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) - Lettres prêtées par sa petite fille Sylviane JONVAL
De sa plus belle écriture, Sylviane Jonval, de Warmeriville a recopié sur un grand cahier les lettres écrites durant la guerre 14-18 par sa grand-mère Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) à son mari parti au front en août 1914 et tué le 23 septembre de la même année à Autrèches (Oise). Une mort qu’elle a mis plusieurs mois à accepter. Elle lui écrira en effet des lettres jusqu’au 6 mai 1917 (avec une interruption d’un an). Poignant.(Alain Moyat)
Samedi 21 août
Bombardement réciproque à Bailly, sur les bords de l’Oise, au plateau Quennevieres; en Champagne, à Perthes-Beauséjour; entre Argonne et Meuse (région de Béthincourt-Haucourt).
En Artois, après une violente action d’artillerie et trois nouvelles contre-attaques, l’ennemi a réussi à reprendre pied dans les tranchées que nous lui avions enlevées sur le chemin d’Ablain à Angres. Il a subi des pertes sensibles.
Lutte de mines dans l’Argonne, à Vienne-le-Château; coups de pétards et de grenades dans le secteur de Saint-Hubert et de Marie-Thérèse.
Les pertes allemandes ont été très importantes au Lingekopf et au Schratzmaennele, en Alsace. On a trouvé un grand nombre de cadavres ennemis dans les 250 mètres de tranchées que nous avons conquis.
Aux Dardanelles, combats de patrouilles et lutte d’artillerie dans la zone sud. Dans la zone nord, l’aile gauche anglaise a réalisé des progrès dans la plaine d’Anasarta.
Les Allemands annoncent qu’ils ont pris Novo-Georgiewsk, où ils auraient capturé du matériel.
Un sous-marin avait torpillé, le 19, le steamer anglais Arabic. On apprend que six passagers, dont trois Américains et trente-huit marins ont péri. Cet acte de banditisme surexcite à nouveau les colères américaines.
M. de Bethmann-Hollweg a prononcé, au Reichstag, un discours où il essaie de justifier sa politique.
Source : La guerre au jour le jour