Louis Guédet
Dimanche 21 mars 1915
190ème et 188ème jours de bataille et de bombardement
Journée splendide. Beaucoup d’aéroplanes. Été messe 10h rue du Couchant à la petite chapelle de St Vincent de Paul, qui est l’église cathédrale. L’abbé Dage officiait. Le Cardinal Luçon fit un sermon, aussitôt après formule le vœu suivant : Si la Cathédrale est sauvée et peut être réparée au lendemain de la lutte il s’est engagé avec tous les assistants à faire un service d’adoration perpétuelle solennelle le 1er vendredi de la fête du Sacré-Cœur, et ce pendant 10 ans. Procès-verbal signé par le Cardinal Luçon, l’abbé Camu, Henri Abelé, de Bruignac, Charles Heidsieck et aussi comme patriciens tous présents. Les vicaires généraux, curés et chanoines de Reims non présents doivent également signer ce procès-verbal, qui a été lu à 10h25 devant le maître-autel de la petite chapelle et signé à 11h1/2 dans une salle en face.
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Paul Hess
Belle journée assez calme. Canonnade de temps en temps. Bombardement sérieux la nuit.
Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos
Cardinal Luçon
Dimanche 21 – Passion. Nuit comme les précédentes. Fréquents coups de canon, bombes énormes. Émission pendant la grand’messe, d’un Vœu signé de l’Archevêque, du Chapitre, des Fabriciens, de célébrer, pendant 10 ans, le vendredi du Sacré Cœur par un jour d’Exposition et d’adoration du Saint-Sacrement, si la Cathédrale nous est laissée réparable.
Visite à Prouilly manquée, faute de voiture ; aucun cocher n’a voulu nous conduire. Visite du commandant Billard et d’un élève de Saint-Cyr avec lui (1). Réception de cinq colis expédiés par les sœurs de Maurice Barrès (Écho de Paris)
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. Travaux de l’Académie Nationale de Reims
(1) L’École Spéciale Militaire de Saint-Cyr est fermée depuis la mobilisation. Tous ses élèves, nommés officiers, sont aux armées. Les candidats reçus au concours de juin 1914 ont été incorporés comme soldats et les survivants ne seront nommés officiers que fin 1915. Dans doute s’agit-il de l’un d’entre eux.
Hortense Juliette Breyer
Dimanche 21 Mars 1915.
Encore un nouveau malheur. Je me demande maintenant ce qu’il pourra encore m’arriver. Je vais te raconter cela tout au long. Hier j’avais promis à ton papa qu’aujourd’hui dimanche je passerai la journée chez eux. Comme hier il faisait un temps superbe ; c’est le premier jour du printemps.
Les aéros boches et français volaient déjà dans le ciel. Il était 9 heures quand je partis chez vous. Je pensais tout en marchant que s’il en était autrement, tu serais heureux par un temps pareil de te promener avec André, surtout qu’il marche bien. Comme je regrette ton absence, mon Charles. Enfin j’arrive chez vous et je profite que la petite Blanchette dort pour aller jusque chez nous au magasin chercher quelques provisions.
C’est rare quand je peux entrer car il y a toujours la sentinelle qui est à notre porte. J’ai un billet du commissaire mais il ne suffit pas ; il faudrait qu’il soit signé du commandant de la place. Mais par hasard celui qui était de garde aujourd’hui m’a laissée entrer. Et là je ne m’attendais pas à cela : la porte de la rue était bien fermée mais toutes les autres étaient grandes ouvertes. On était venu piller et malheureusement c’étaient les soldats. Pour les liquides ils avaient tout enlevé, ne laissant que les sirops, et encore peu. Ils avaient pris toutes les savonnettes, eaux de Cologne, boites de conserve, etc … J’étais navrée, et le plus fort, c’est qu’ils avaient été à la cave. Mais je n’eus pas le courage d’y descendre.
Ce nouveau coup me frappait et je repartis chez vous tristement, me demandant ce que j’avais pu faire pour être ainsi punie. L’après-midi je suis allée voir le commissaire avec la vieille fille, ma voisine, car on avait essayé d’aller chez elle aussi. Mais ça ne regarde pas le commissaire car c’est en zone militaire ; il en prend note quand même et demain j’irai tout au matin chez Mignot. Je ne veux rien perdre, j’ai déjà assez de malheur et je pense à mes deux petits.
Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) - Lettres prêtées par sa petite fille Sylviane JONVAL
De sa plus belle écriture, Sylviane Jonval, de Warmeriville a recopié sur un grand cahier les lettres écrites durant la guerre 14-18 par sa grand-mère Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) à son mari parti au front en août 1914 et tué le 23 septembre de la même année à Autrèches (Oise). Une mort qu’elle a mis plusieurs mois à accepter. Elle lui écrira en effet des lettres jusqu’au 6 mai 1917 (avec une interruption d’un an). Poignant.(Alain Moyat)
Il est possible de commander le livre en ligne
Dimanche 21 mars
A la Boisselle, près d’Albert, les Allemands ont tenté une attaque de nuit qui a été repoussée avec de grosses pertes pour eux. Ils ont été également repoussés en Champagne, à l’ouest de Perthes, où l’un de leurs rassemblements a beaucoup souffert du feu de notre artillerie. Aux Eparges, nous avons vivement progressé, après avoir refoulé deux contre-attaques. Quantités de morts ennemis ont été trouvés sur le terrain. Au bois Bouchot, au sud des Eparges, nous avons arrêté une offensive. Au bois Mortmare, en Woëvre, nous avons détruit un blockhaus. Progrès de nos troupes au bois Le Prêtre, près de Pont-à-Mousson.
Deux zeppelins ont survolé Paris et jeté quelques bombes.
Le conseil des amiraux qui s’est tenu à bord du Suffren, dans les Dardanelles, a décidé de procéder à une nouvelle attaque générale dans les Détroits. Les deux cuirassés anglais détruits ont été remplacés.
L’offensive prise par les Russes du côté de Memel inquiète vivement les Allemands.
La Bulgarie, qui serait à la veille d’agir, a concentré des troupes du côté de Xanthi, dans la partie de la Thrace qui lui appartient.
De nouvelles émeutes causées par le manque de farine ont éclaté à Vienne.
Toutes les informations continuent à montrer que l’Autriche, résistant aux objurgations allemandes, refuse de faire des concessions territoriales à l’Italie. Elle allègue que toutes les nationalités résidant sur son sol se croiraient alors fondées, elles aussi, à revendiquer leur rattachement à des États voisins.