Abbé Rémi Thinot
9 FEVRIER – mardi
Je rentre de Châlons…
Je vais voir Mgr Tissier[1], très paternel, très bon. Monseigneur est bien d’avis que c’est lamentable la façon dont les officiers se conduisent, s’amusent, dépensent, scandalisent.., Ah ! ce n’est pas un élément de victoire, cela !
J’ai fait la route avec un médecin qui raisonnait de bonne façon. Nous étions d’accord pour dire que si la guerre fait bien des conversions individuelles, le gros demeure dans ses vieux sentiments. Tant et tant qui n’auront pas souffert de la guerre ! Tant qui seront « sur le front », solidement embusqués à l’arrière, bien en sûreté !, qui se gardent pour leurs ambitions, leurs divers égoïsmes !
Ah ! l’humanité n’est pas belle !
Déjà, j’avais causé hier avec le lieutenant Delpret (prêtre) de tous les motifs et mobiles qui sont à la base d’actions pourtant si graves, si solennelles ! Ce colonel Vély, du 59ème [2], qui commande la brigade, qui veut ses deux étoiles et qui ordonne des attaques dans des conditions si lamentables ! Les hommes ne veulent plus marcher. Ils sont las. Ils ne sortent pas des boyaux… ou bien il faut que l’officier les pousse avec son révolver.. !
Mon Dieu, comme c’est grand de confesser quelqu’un qui part à l’attaque ! qui ne sait pas s’il en reviendrai Mon Dieu, élevez mon âme, que je sois moins indigne dans ce ministère très saint, que je sois l’autre Christ qu’il faut auprès de ces âmes.
[1] Joseph-Marie Tissier, évêque de Chalons https://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph-Marie_Tissier
[2] Colonel Vely ou Velly (selon les sources) du 59e RI (68e brigade d’infanterie ; 34e division d’infanterie ; 17e corps d’armée.
Extrait des notes de guerre de l'abbé Rémi Thinot. [1874-1915] tapuscrit de 194 pages prêté à Reims
Paul Hess
La nuit a été calme. Bombardement dans la matinée vers le faubourg de Laon et l’après-midi sur le 3e canton.
– Vers 10 h, nous pouvons assister, de la cour de l’hôtel de ville, par un temps très clair, à la une chasse au Taube fort intéressante. Cela n’est pas pour faciliter sa promenade car de nombreux obus sont tirés sur lui, venant parfois éclater bien près dans son sillage. A-t-il été atteint ? Il finit par filer dans ses lignes, jugeant certainement qu’il deviendrait dangereux de rester plus longtemps en observation au-dessus de la ville.
– Depuis quelques jours, des ouvriers travaillent à garantir les parties basses de la cathédrale restées intactes après l’incendie du 19 septembre 1914 et non atteintes ensuite par les bombardements, en entassant des sacs de sable le long de pièces de bois clouées sur des montants allant jusqu’à la base des ogives, aux portails du centre et de droite de la façade.
– Je suis heureux d’avoir pu, ce jour, me débarrasser de trois grands caisses qui m’avaient été confiées par un voisin, bijoutier, alors qu’il partait pour la Creuse, avec sa famille, le 30 août 1914.
Lorsque ce dépôt m’avait été laissé, je ne pouvais soupçonner, en l’acceptant bénévolement, pour rendre service, combien il m’occasionnerait de soucis et d’ennuis quand la situation de Reims me ferait un devoir impérieux de chercher à la restituer.
Ce n’est, en effet, qu’après des pourparlers longs et laborieux, par correspondance, que ces trois caisses volumineuses, dont deux étaient remplies de pièces d’argenterie contrôlée (cafetières, théières, etc.), ont été livrées à la maison de roulage Rondeau, pour être transportées à Épernay et remises, en cette ville, à un oncle de l’intéressé, pour leur acheminement définitif.
Pour moi, oui, c’est un réel débarras, car après avoir sauvé de ma cave effondrée cette marchandise précieuse, le 26 septembre 1914, je n’avais pu que la placer sous un hangar, au fond du jardin de la maison de mon beau-père, 57 rue du Jard, où elle était susceptible de se ressentir des intempéries.
Il m’avait fallu déclarer nettement que je ne voulais pas prendre la responsabilité de la garder plus longtemps, sous le bombardement, et demander à plusieurs reprises des instructions pour son expédition.
Alors, deux fois, sur rendez-vous de Rondeau, qui avait été chargé du nécessaire, j’avais dû faire à faux le trajet mairie-rue du Jard, tandis que les obus pleuvaient, pour aller inutilement attendre… leur enlèvement.
J’étais exaspéré.
Aujourd’hui, j’ai poussé un soupir de soulagement en voyant enfin arriver, alors que je me tenais prêt pour la troisième fois, l’homme qui avait pour consigne de charger les caisses dans sa voiture – et je lui ai souhaité bon voyage avec satisfaction.
Mais on ne m’y reprendra plus à rendre des services de ce genre !
Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos
Cardinal Luçon
Mardi 9 – Nuit tranquille. Visite de M. Henri Abelé. des officiers lui ont dit que l’on amenait autour de Reims 225 (1) canons de 105, avec des munitions pour 1000 coups chacun. Chaque jour on fabrique en France 80000 obus. 40000. sont envoyés sur le front et emmagasinés et mis en réserve. Le Père Screpel dit que Pie X est apparu à une religieuse digne de confiance, et lui a dit que la Victoire n’était pas si loin qu’on le pensait ; et quelle se produirait de telle manière qu’il serait manifeste à tous qu’elle viendrait de Dieu.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. Travaux de l’Académie Nationale de Reims
(1) Il n’existe pas de canons de 105 mm à cette date dans l’armée française. Peut-être s’agit-il de canons anciens de 120 mm du système de Bange mais leur présence serait plus probable à l’Est de Reis ou sera lancée la première offensive de Champagne le 16 février 1915 (voici des officiers bien bavards !). La production quotidienne d’obus de 75 qui était de 10000 en 1914 va attendre 150000 en 1915 pour culminer à 230000 en 1917 et 1918. En 1915 on fabrique 3600 coups de 155 par jour et 460 de 220
Eugène Chausson
9/2 – Mardi – Beau temps dès le matin, les aéros circulent sur Reims, on leur expédie de nombreux obus. A midi, c’est assez calme. C’est toujours les mêmes cantons qui supportent le choc, 2e, 3e et 4e canton. Nuis assez calme. Ce jour, l’après-midi la (XX), par autorité militaire, a donné l’ordre de fermer les cafés les 10 et 11 courant. Conseil de révision au Pont de Muire.
Carnet d'Eugène Chausson durant la guerre de 1914-1918
Voir ce beau carnet sur le site de sa petite-fille Marie-Lise Rochoy
Mardi 9 février
Duel d’artillerie à Guinchy, près de la Bassée. A Carency, prise d’une tranchée allemande par nos troupes: ses défenseurs sont tués ou capturés. A la Boisselle, l’ennemi après avoir fait exploser des fourneaux de mines avait lancé des troupes à l’assaut de nos positions : ces troupes avaient été arrêtées. Une contre-attaque exécutée par une de nos compagnies a ensuite brillamment réussi. Les Allemands ont laissé 200 morts sur le terrain.
En Champagne, tir efficace de notre artillerie. Au nord de Massiges, nous enrayons une attaque; au nord de Mesnil-les-Hurlus, nous nous emparons d’un bois; nous refoulons une attaque à Fontaine-Madame dans l’Argonne, et une autre à Bagatelle dans la même région.
La lutte sur le front oriental continue à se dessiner en faveur des Russes (Bzoura, Borgimoff, Carpates). Un de leurs corps d’armée a fait 10000 prisonniers austro-hongrois dans les montagnes. En Bukovine seulement, ils ont dû se replier en attendant l’arrivée de leurs renforts.
La Bulgarie a emprunté 150 millions à 71/20/0 à Berlin et a Vienne. Elle touchera 75 millions tout de suite et le reste par quinzaines.
Le peuple allemand murmure d’autant plus contre le rationnement qui lui est imposé pour le pain, que le prix de la bière renchérit, en même temps que les cours de toutes les denrées.
La presse de Rome dénonce les mauvais traitements infligés aux Italiens à Trieste et dans le Trentin.