Paul Hess
Le lendemain, 9 août, les journaux annoncent la victoire d’Altkirch et l’entrée des nôtres à Mulhouse mais sans détails et sans parler de pertes, de part ou d’autre ; ce n’est que les 10 qu’ils déclarent que nos pertes à l’affaire d’Altkirch n’ont pas été de plus de 100 tués ou blessés.
Dans la matinée du dimanche 9 août, tandis que Lucien et moi nous nous promenons autour du square Colbert, notre attention est attirée, à l’arrivé d’un tain par la descente d’une quinzaine de civils escortés d’au moins autant de réservistes, baïonnette au canon. où conduit-on ces individus et qui sont-ils ? Nous remarquions, en outre, que l’on installe un poste de soldats à la gare, sur la partie en terrasse de la toiture du bâtiment principal.
L’exode de la population a pris à Reims une certaine ampleur, augmentée du mouvement occasionné parles arrivées continuelles d’évacués qui ont dû quitter, précipitamment la Belgique ou les Ardennes. un service des « Laissez-passer » a été mis sur pied à la mairie, dans le but d’assurer la surveillance et d’opérer le criblage nécessaires. Ce service fonctionnant sous la direction de la police, est assuré, en grande partie, par des habitants de la ville bien connus, qui se sont mis bénévolement à la disposition du secrétaire en cher, M. Raïssac. C’est ainsi qu’à partir de 17 h, chaque soir, mon travail au mont-de-piété étant terminé, je vais prendre place à une table de la salle des mariages de l’hôtel de ville, où se trouvent MM. Grandadam, inspecteur-chef de police en retraite, Brévannes (Dreyfus), administrateur artistique du Kursaal et Cophignon, appréciateur au mont-de-piété, afin de délivrer avec eux les pièces autorisant les départs. Le commissariat central a authentiqué ce rôle provisoire, en me remettant un brassard vert, portant sur fond blanc l’inscription R.R. avec son cachet.
Paul Hess dans La Vie à Reims pendant la guerre 1914-1918
Juliette Breyer
C’est aujourd’hui dimanche. Le commerce va toujours bien. La vente a été très forte, aussi j’ai fermé le magasin à midi. On m’a amené André à 11 heures et demie. Je vais donc pouvoir aller dîner chez ton papa et ta maman, mon Charles, et ce soir j’irai chez mes parents car c’est plus facile que si c’est papa qui vient coucher chez nous.
Je vais te raconter ma semaine. D’abord mercredi Gaston est parti ; il était venu la veille me dire au revoir. C’est triste tu sais de voir partir tous les siens : toi, mon frère, le tien. Quelle chose que la guerre ! Enfin je te dirai, et tu dois t’en douter, que chaque jour je guette le facteur, mais jusqu’ici rien. Mais je sais bien que c’est un mauvais fonctionnement de la Poste car ta première idée aura été de m’écrire.
Ton coco a un peu de diarrhée mais ce ne sera rien. Pauvre titi, le lendemain de ton départ, en rentrant chez nous il a fait le tour du magasin en criant papa. Mais tu étais loin et tu sais, ce n’est pas encore passé car il te cherche encore.
Le commerce va toujours. C’est la bataille au sucre. On cherche à m’intimider mais je tiens bon. Depuis que tu es parti, vois-tu, elles sentent qu’elles ont affaire à une femme. Elles ont changé d’attitude. Dans beaucoup de magasins les marchandises commencent à manquer et justement pour cela je leur ai dit que si elles continuaient, je fermerai mon Comptoir. Cela a fait son effet et depuis elles ne disent plus rien.
On commence déjà à manquer de lait. Le laitier ne vient plus, les vaches ayant été réquisitionnées. Aussi je m’empresse de mettre du lait concentré de côté pour que mon petit cadet n’en manque pas.
Paul est revenu à Reims en attendant qu’il soit dirigé autre part. Ton parrain aussi, mais toi, je me demande où tu es et ce que tu fais. Je m’inquiète déjà. Que sera la suite ? Enfin demain je t’écrirai encore une lettre car je me suis promise de t’écrire tous les jours tant que tu seras loin de moi.
Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) - Lettres prêtées par sa petite fille Sylviane JONVAL
De sa plus belle écriture, Sylviane Jonval, de Warmeriville a recopié sur un grand cahier les lettres écrites durant la guerre 14-18 par sa grand-mère Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) à son mari parti au front en août 1914 et tué le 23 septembre de la même année à Autrèches (Oise). Une mort qu’elle a mis plusieurs mois à accepter. Elle lui écrira en effet des lettres jusqu’au 6 mai 1917 (avec une interruption d’un an). Poignant.(Alain Moyat)