Juliette Maldan

Dimanche 20 août 1914

Le matin, à la cathédrale on annonce qu’il n’y aura pas de vêpres dans les paroisses, et que la population toute entière est conviée à St Remy pour une cérémonie de supplication. L’ennemi est à nos portes, et dans les heures de péril, il convient d’implorer les saints qui sont les protecteurs de la cité.

CPA : collection Véronique Valette

A la messe de 9h M le Curé insiste encore sur l’épreuve qu’il sent monter et à laquelle il voudrait préparer les âmes : « La croix se fait plus lourde chaque jour sur l’épaule meurtrie de la France. Elle gravit son calvaire, mais n’oublions pas que c’est au Calvaire que s’opère la Rédemption !… »

A la sortie de la cathédrale, je suis enveloppée par un groupe lamentable de réfugiés. La ville, plus encore que les jours précédents, est inondée du flot errant de ces malheureux. Je ramène à la maison deux de ces pauvres femmes, traînant leurs petits enfants. En route, elles me racontent leur triste histoire. L’une des femmes tient dans ses bras son bébé de huit jours, et il y a cinq jours qu’elle marche avec lui, fuyant devant l’ennemi. L’enfant manque de tout. Pendant que je cherche en hâte un peu de linge et quelques petites affaires, les femmes s’affalent sur une marche de l’escalier, avec l’air épuisé et les yeux las de bêtes traquées qui ne savent plus où fuir… Quelle misère !

L’après-midi, la foule se porte en masse vers S Remy. Le désir instant du clergé, des fidèles, du peuple, eut été de voir sortir la chasse du saint, et de porter publiquement les reliques à travers les rues de la ville, comme cela s’était fait jadis et toujours dans le temps des grandes calamités, alors qu’un danger public menaçait la Cité. De tous côtés, le vœu en a été exprimé. M Landrieux sont allés vendredi soir trouver le gouverneur militaire pour en demander l’autorisation. Hélas, elle a été refusée. On a prétexté je ne sais quelles vaines raisons de prudence humaine, de crainte d’impressionner la foule… Cependant, elle ne peut guère être plus affolée et démoralisée qu’elle ne l’est, la population !

Dieu eut béni, et… peut-être exaucé cette prière publique !

La discipline est grande parmi la population où la dévotion à St Remy est conservée très vivace.

Il a fallu se borner à une cérémonie à l’intérieur de l’église.

Une foule énorme se presse vers la vieille basilique qui se détache sur le bleu lumineux du ciel. Un chaud soleil d’arrière-saison dore les pierres usées du portail et donne à toutes choses un air de fête, mais l’angoisse est dans tous les yeux. Le grondement sinistre du canon, se fait sur cette hauteur, plus sonore, plus impressionnant. On sent qu’il est plus proche de nous qu’hier, et dans l’église, quand les chants se taisent un moment, dans l’intervalle des litanies, ce roulement lointain résonne sous les voûtes comme une basse lugubre, qui serre les cœurs…

Journal de Juliette Maldan, grand-tante de François-Xavier Guédet, retranscrit par lui-même.

Louis Guédet

 Jeudi 20 août 1914

9h soir  Toujours le vide, le silence, sur ce qui se passe à la frontière et en Belgique !

On dit ce soir que : 1) les Prussiens (les sauvages) ont passés la Meuse entre Liège et Namur (c’est possible)  2) qu’ils ont pris Bruxelles !! (c’est moins possible) etc…  etc…

3) que Pie X est mort, çà ? cela se pourrait. Attendons à demain ! les uns ne considèrent cela que comme un évènement…  secondaire, tout en s’écriant : à cette fois si cette vielle ganache de François-Joseph veut mettre son veto ! J’espère bien que nos cardinaux le mettront dans leurs poches et s’assiéront dessus en disant : « Assez F…tez nous la paix, vieille canaille !! »

Les autres et de nos amis (Heidsieck, Mareschal) trouvent que c’est un trait de la Providence qui permettra, l’Italie restant neutre, pour le moment, aux cardinaux de se réunir facilement pour le Conclave et nommer un Pape ! soit !! mais, ma foi ! J’aimerais plutôt mieux que l’Italie déclarât de suite la Guerre à l’Autriche et se mette avec nous. Foin du Pape ! (Dieu me pardonne !) mais : « Un bon tient vaut mieux que deux tu l’auras ! » et une bonne frottée aux Autrichiens par les Italiens ! me plairait bien mieux tout de suite que dans un mois et puis après nos vénérés cardinaux auraient toujours le temps de nommer un successeur à Jésus-Christ qui peut très bien lui se passer d’un Vicaire en ce bas Monde pendant quelques temps, tout en nous donnant la Victoire. La Fille aînée de l’Église (la France !) a besoin de Dieu et peut, à mon humble avis, se passer de son Représentant sur terre pendant quelques mois pour faire éclater la Justice contre la Force et la Fourberie et nous permettre de battre à plates coutures les Germains et le Protestantisme !!

Déjeunant ce matin chez mon bon ami Maurice Mareschal avec le curé de la Cathédrale M. l’abbé Landrieux nous sommes venus à parler, dans la conversation, des fêtes de Nuit du Parc Pommery (parc des sports) qui ont été données  au commencement de juillet 1914, et ce dernier faisait un rapprochement de ces fêtes, réminiscence des Grecs et de la décadence avec les évènements qui nous troublent et inquiètent actuellement. Lui comme moi disait : Que ces fêtes ou des femmes du monde (la haute bourgeoisie de Reims) n’avaient pas craint de se montrer à peine vêtues au public, à la masse du peuple, étaient à son point de vue, le dernier défi donné à Dieu et presque une provocation au châtiment qui, quelques jours, quelques heures plutôt, après devait fondre sur nous. « La Guerre ! avec ses suites ! et ses conséquences !! »

Oui ! J’ai, moi aussi, à ce moment-là réprouvé ces saturnales ! (oh ! le mot paraitrait dur à tous nos petits snobs d’alors !!) mais je répondrais : Ne distinguons pas !! Saturnales ? Mot trop dur ? Soit ! Traduisez-le en grec et vous serez satisfaits, car le mot n’aura changé que de costume ou de fard et il n’y aura que la différence qui existait jadis entre les Romains et les Grecs !! Plus délicats, ceux-ci que ceux-là ! plus raffinés ! plus fins ! soit ! mais tout aussi Pervers ! par suite, plus coupables devant le Monde ! devant l’Histoire ! A cela, il fallait le châtiment ! La Rafale ! qui courbât tous ces fronts étroits de nos snobs efféminés ! Allons ! Mesdames ! Faites des Grâces ! Dansez ! Faites des effets de jambes ! de torses ! Minaudez ! Livrez-vous aux regards de la populace ! Vos mâles (maris) sont à la Frontière !!

 

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

Les journaux de ce matin parlent d’une seconde bataille, à Dinant, où les Allemands auraient encore été repoussés sans avoir pu franchir la Meuse. Au bureau, où naturellement le personnel commente les communiqués, on espère qu’ils n’y parviendront pas, malgré leurs efforts.

Nous n’avons cependant pas tous la même confiance, ou la même manière de voir les choses, un collègue ne nous apprenait-il pas hier, en revenant à 13 h 1/4 reprendre son service, que les Allemands étaient à Mézières : ses propos nous ont paru inconsidérés – nous le connaissons pessimiste – mais, malgré tout il faut reconnaître qu’ils ont produit, sur l’ensemble, l’effet d’une douche glaciale.

Après déjeuner, accompagné de mon fils Jean, je vais lire les dépêches à la sous-préfecture. Nous sommes avides de nouvelles, à Reims, car elles ne nous sont pas prodiguées depuis quelques jours. Celles d’aujourd’hui ne me semblent pas de bon augure. Il est annoncé uniquement ceci : « On apprend que les Allemands, en forces imposantes, auraient réussi à passe la Meuse, entre Liège et Namur », sans autres détails pour un événement aussi considérable ; je pense que c’est bien peu et quant à la nouvelle elle-même, beaucoup trop, malheureusement. Ce ne doit pas être sans une sérieuse résistance qu’ils sont parvenus enfin à franchir la Meuse que, sitôt l’entrée en campagne, ils ont cherché à traverser à Visé et deux fois depuis, à Dinant sans réussir. Il nous faut forcément attendre pour savoir autre chose, et il me paraît évident qu l’on ne nous dira plus dorénavant, que ce qu l’on ne pourra pas cacher.

 Source : Paul Hess dans La vie à Reims pendant la guerre de 1914-1918 - Notes et impressions d'un bombardé

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Jeudi 20 août

Les Allemands ont atteint, en Belgique, à l’est de la Meuse, la ligne Dinant-Neufchâteau.

Des masses ennemis ont franchi la Meuse, près de Huy, et sont arrivées sur la Dyle,entre Bruxelles et Anvers.
Enfin, une avant-garde de cavalerie allemande a occupé Bruxelles.
Dans la Haute-Alsace, brillant succès français. Combat à notre avantage entre Altkirch et Mulhouse, reprise de cette ville; capture de nombreux prisonniers et de 24 canons. Occupation de Guebwiller. En Lorraine annexée, nos avant-gardes rétrogradent jusqu’à la Seille et au canal de la Marne au Rhin. Mais le gros de nos troupes est là solidement établi.
Succès des Russes qui, après avoir culbuté les Allemands à Eydtkuhnen, ont pris la ville importante de Gumbinnen en Prusse. En Galicie, ils poursuivent leur marche vers Lemberg.
Échange de télégrammes cordiaux entre M.Poincaré et Georges V.

Source : La Grande Guerre au jour le jour