Louis Guédet

Mardi 12 mars 1918                                                      

1278ème et 1276ème jours de bataille et de bombardement

5h1/4 soir  Beau temps, gelée, mais doux dans la journée. A 8h Jean nous arrive en permission. Robert arrivera sans doute ces jours-ci. Nous serions donc tous réunis pour la première fois depuis la Guerre, 43 mois !! Rien de saillant. Lettre aimable du Procureur qui me demande de rester au repos. Jean a dormi toute l’après-midi, il était fatigué de son voyage de nuit et d’une randonnée à cheval hier.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

12 mars 1918 – Bombardement, comme les jours précédents.

Au service du commissariat qui fonctionne à la mairie, en face du nôtre, il y a affluence aujourd’hui.

Conformément aux prescriptions de l’affiche jaune placardée hier, les personnes autorisées à rester à Reims (1 500 environ) viennent faire apposer sur leurs cartes de circulation, le visa spécial sans lequel il sera absolument impossible, à partir du 15 courant, de demeurer dans notre ville. La formalité consiste à obtenir la mention suivante, que je demande à M. Luchesse, secrétaire géné­ral de la police, d’ajouter sur la mienne :

Autorisation de séjour – mars 1915.
P/o. de la commission mixte, signé Luchesse.

A la « comptabilité », nous nous attendons toujours à rece­voir l’ordre de faire nos préparatifs de départ et comme nous pres­sentons que cela ne tardera plus, nous décidons, afin de nous mettre en avance, de commencer l’emballage de nos paperasses.

Nous allons donc travailler dans la partie du sous-sol de la rue de la Grosse-Ecritoire où nos registres voisinaient avec d’autres archives, déposées là par les soins du personnel de différents bu­reaux : état-civil, voirie, architecture, etc.

Cullier procède à l’inventaire de tout ce qu’il veut évacuer pendant que, de mon côté, je fais le récolement des nombreux livres de l’administration du mont-de-piété, à l’aide de celui que j’ai établi depuis longtemps.

Le tout est ensuite remonté, après avoir été étiqueté, numé­roté et ficelé. Les lourds colis sont transportés et déposés dans la cour de l’hôtel de ville, à côté d’autres registres, documents, car­tons, déjà prêts à être enlevés. Avec ce que nous ajoutons, concer­nant nos services respectifs, l’ensemble à charger forme maintenant un tas de plusieurs mètres cubes.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos


Cardinal Luçon

Mardi 12 – + 2°. Beau temps. Vers 4 h. un avion vole très bas. Visite du Général Petit et de MM. Paul Renaudet et Abel Ferry, pendant le Conseil. On a lu dans un journal suisse un communiqué disant que les patrouilles allemandes ont, de nouveau, vu des signaux lumineux sur la Cathédrale. La Commission de l’Armée prend cela pour un avertissement. Elle m’envoie ces Messieurs pour me prier d’écrire au Pape. Je réponds que je veux bien ; mais que les Allemands auront le temps d’écraser la Cathédrale avant toute intervention utile du Pape. Celui-ci ne peut pas défendre – lui – aux batteries allemandes de tirer sur la Cathédrale. Il enverra une lettre à son délégué à Berlin. Celui-ci écrira au Ministre prussien à Lugano ; le Ministre à son Gouvernement ; cela prendra 8 ou 10 jours – Alors envoyez un télégramme – Je veux bien, mais les civils n’en ont pas le droit – Vous l’enverrez au nom du Gouvernement – Mais vous m’avez dit qu’il ne faut pas que le Pape sache que je lui parle au nom du Gouvernement – Alors, tout en écrivant la lettre, indiquez une Note pour les journaux : les Allemands la liront et recevront ainsi une explication. — Je veux bien, mais faut-il tout dire ? Cette question signifiait : faut-il expliquer aux Allemands que les hommes qu’ils voient sur la Cathédrale sont des ouvriers qui déposent les vitraux, ce qui était vrai. – Mais oui ! nous avons, nous, eu la pensée de former une Commission d’étrangers : espagnols, suisses, qui viendraient constater sur place qu’on ne fait pas d’observation sur la Cathédrale, et feraient une enquête – Vous ne pourriez rien faire de mieux. Ils partent. Je rédige une lettre au Pape et une note pour les journaux, étant bien entendu que je ne consens à la poster qu’après que le Gouvernement l’aura lue. C’est alors que à 6 h. soir par retour les 2 pièces à Mgr Neveux qui les écrirait à la machine. Un capitaine nous guide : on a surpris un radio télé-gramme ainsi conçu : « Si les autorités militaires françaises ne donnent pas d’ici 48 h. la preuve qu’il n’y a pas d’observateur au-dessus de la Cathédrale, celle-ci sera bombardée. » Il fut conclu que l’on enverrait un radio-télégramme pour donner l’assurance demandée. J’écrivais une lettre au Pape, et au Ministère public ma Note à la presse. Le bombardement de la Cathédrale n’eut pas lieu(1).

Visite du Commandant Deligny ou Deligné, cantonné à Bezannes, natif de Moulins, Allier. 10 h. soir.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
(1) Le Cardinal, qui a conservé un amer souvenir de la séparation de l’Église et de l’État, de ses vexations et de son expulsion personnelle de l’Archevêché, n’apprécie pas le rôle officiel que l’on essaie de lui faire jouer, même au nom de « L’Union Sacrée ». Il entends également conserver toute son indépendance pour que sa parole ne puisse être mise en doute, ni par le Vatican, ni par les États neutres, ni même par nos adversaires. La présence d’ouvriers dans les hauts de la Cathédrale pouvait effectivement servir la propagande allemande mais, de tout façon, les artilleurs mettaient le jeu comme bon leur semblait.

Mardi 12 mars

Au nord de l’Aisne, nous avons exécuté deux coups de main dans la région de Fresnes et au nord de Courtecon.
En Champagne, l’ennemi a tenté d’aborder nos lignes aux approches de la route Saint-Hilaire-Saint-Soupplet. Ila été rejeté par notre contre-attaque et a laissé des prisonniers entre nos mains.
Sur la rive gauche de la Meuse, après un violent bombardement, une double attaque à laquelle participaient des troupes spéciales d’assaut, a été menée contre nos positions de la côte de l’Oie et du Mort-Homme. Les assaillants ont été partout repoussés. Sur la rive droite, vive action de l’artillerie au bois des Caurières.
Au nord de Saint-Mihiel, nous avons dispersé un fort groupe ennemi qui, de Seuzey, cherchait a aborder nos tranchées.
Les troupes américaines ont, en Lorraine, effectué une incursion hardie dans les lignes allemandes.
Les troupes britanniques ont exécuté avec succès au sud de Saint-Quentin un coup de main qui leur a permis de tuer ou de capturer, un certain nombre d!ennemis et de ramener deux mitrailleuses.
Un détachement allemand, qui tentait d’aborder les lignes au nord-ouest de la Bassée à été rejeté par les feux de l’artillerie anglaise et les mitrailleuses. Un nouveau raid de gothas a eu lieu sur Paris.
Les Autrichiens ont bombardé Naples par avions. On signale 74 victimes.

Source : La Grande Guerre au jour le jour