Louis Guédet

Lundi 31 décembre 1917

1207ème et 1205ème jours de bataille et de bombardement

11h  Arrivé à St Martin samedi soir par un temps de neige. Il faisait froid. Vu à Épernay à mes affaires. Voyagé en autobus de Reims à Épernay avec de Bruignac, causé longuement de ce qui intéresse notre Ville. Que de choses il y aura à faire. Hélas et l’on ne parait pas y songer… Versé mes 10 030 F d’or, ce qui me fait donc 26 500 F environ d’or versé et récolté par moi pour ce mois de décembre, avec environ 162 500 F environ en espèces, tout en comprenant 152 000 F en Bons de la Défense nationale, 10 000 F. Pris le train pour St Martin à 2h, fait le voyage avec Gaston Hémard, mon camarade de collège que j’ai rencontré à la Gare. Causé des événements. Son second fils était avec lui (Louis Hémard (1896-1981)). Comme moi il a bon espoir mais nous allons recevoir un rude choc de l’Allemagne, débarrassée de la Russie. Pourvu que ce soit le dernier et que 1918 nous donne la Victoire finale et la Paix. Arrivé à St Martin à 5h1/2 du soir à la nuit serrée, trouvé les miens bien portants, ma pauvre chère femme toujours fort triste et angoissée de ses 2 grands. Les malheureuses (elle et Marie-Louise) ont les mains brisées, crevées par les engelures. Hier dimanche messe, et passé la journée à nous chauffer. On n’a le courage de rien, il fait très froid. Aujourd’hui de même. J’ai tiré à balles 4 pigeons. André est ici. Il ne manque que nos 2 chers grands. Triste jour de l’an. Sera-ce le dernier ainsi ?… !… En verrons-nous de plus heureux, plus fortunés, plus joyeux ?

Je quitte cette année 1917 avec mélancolie, sans regret. J’y ai tellement souffert durant son cours. Je vais franchir le seuil de la nouvelle année 1918 sans enthousiasme, tristement, et sans espoir de voir un peu de bonheur, de chance, de prospérité à tous mes chers aimés. Je souffre tant pour eux. Las de souffrir. J’entrerai dans cette nouvelle année sans espérance, indifférent à tout ce qui pourra m’arriver. Il y a des bornes aux forces morales et physiques ! Et je ne vois rien qui pourrait m’en redonner. Puisque quittant la douleur, la souffrance, le découragement, la terreur, les ruines, les horreurs de la Guerre, je rentre avec tout cela, gage sans espoir d’avoir un seul jour heureux et de bonheur, non pour moi mais pour Ma chère femme et mes chers Petits…  qui ne sauront jamais comme je les aime !!

Lasciate alla speranza !! (Dante Alighieri: Laissez toutes espérances !!)

Lettre du Cabinet du Procureur Général           Bastia
Mention en travers : Personnelle

Monsieur Guédet    Juge de Paix   Reims (Marne)
Bastia, le 31 décembre 1917

Mon cher ami,

Je panse donc je suis. Ma santé ne s’est pas améliorée loin de là. J’ai eu une petite rechute, (mais ceci très confidentiel, car je ne voudrais pas faire mourir de joie Texier, Bouvier é tutti quanti). Heureusement un bon médecin a enrayé le mal : je suis resté deux jours avec 40° de fièvre, et le 5e jour j’allais au Palais : mais ma plaie s’est rouverte, alors qu’elle était entièrement fermée, et c’est cela qui retarde ma guérison définitive. Voilà le motif de mon silence de près de 3 semaines. Mais ne parlez pas de tout cela, je le dis qu’à vous seul.

Et maintenant, mon bon ami, que j’ai expliqué mon long silence, laissez-moi vous envoyer mes vœux les plus vifs et les plus sincères pour cette énigmatique année nouvelle qui frappe à notre porte. Qu’elle vous donne à vous et aux chers vôtres, la santé le premier de tous les biens et qu’elle vous réunisse tous, petits et grands, guerriers et antimilitaristes à la chère table de famille sous l’œil maternel ému de revoir tous ses héros sains, saufs et glorieux. Qu’elle vous force à rougir enfin malgré vous. Cela ne peut plus tarder. Et qu’elle nous apporte à tous la libération de la botte tudesque.

Hélas elle s’annonce médiocrement l’année nouvelle avec son héritage des défections russes et la ruée des troupes du front oriental sur le front d’occident. Enfin Dieu protège la France !

J’ai reçu une lettre d’Herbaux, très philosophe ! Et voilà qu’on dit que la Cour suprême le désignerait comme P.G. (Procureur Général) à la Haute Cour, P.G. qui ne peut être choisi que parmi les inamovibles !

Ce qui me navre c’est qu’il n’ait pas décroché votre ruban : mais l’affaire est en si bonne voie quelle ne peut rester en route : Lenoir reste là.

Quant à Lescouvé je ne le connais que très vaguement. Je lui écrirai cependant un jour à votre sujet, quand il aura répondu à mes félicitations. Et par même courrier, je remonte Leroux.

Quant à Nail, j’ignorais presque son nom, jusqu’au jour où j’ai su qu’il avait donné le sien au gouver nail. Espérons qu’il le tiendra solidement.

Je crois qu’il est inutile en ce moment que vous alliez voir Lescouvé. Quand je lui aurai écrit sur votre compte, je vous dirai mon avis. Mais il doit être trop occupé par les grandes poursuites des canailles pour avoir le temps de s’occuper de simples héros, pour le moment.

Vous avez dû voir que ce malheureux Lyon-Caen a perdu une fillette de 12 ans coupée par une auto (Annette Lyon-Caen (1909-1917)). C’est épouvantable et j’en ai été navré.

J’écris aujourd’hui au bon docteur Simon, mais dites-moi où il s’est rendu en claquant les portes derrière lui. J’ai écrit à Reims  mais j’ai peur que ma lettre ne parvienne pas.

Je suis heureux des bonnes nouvelles que vous me donnez de vos guerriers. Faites leur bien mes amitiés et tous mes vœux. Vous savez que vous me devez toujours la photographie de l’aîné.

Ma femme me prie de transmettre à Madame Guédet et à vous – qu’elle admire dans votre héroïsme et elle s’y connait – ses souhaits et ses souvenirs les meilleurs.

Et moi, mon cher ami, je vous prie de mettre aux pieds de Madame Guédet l’expression de tous mes souhaits et de mes respects.

Et à vous, ô infernal tabellion, pour l’année nouvelle, je vous serre sur mon cœur.

Signé : Louis Bossu
Bonne carrière à Jean

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

31 décembre 1917 – Dans le milieu de la nuit, par un froid glacial, entendu sou­dainement des départs des pièces boches. Bombardement.

Bombardement dans la journée, à partir de 13 h 1/2. Explo­sions très fortes, peu éloignées du centre.

Dans la matinée, le général Leroux, commandant le sec­teur de Reims, vient faire visite au maire.

A 16 h 1/2, le personnel des services de la mairie est ré­uni dans le cellier lui servant de bureaux, 6, rue de Mars.

Raïssac en fait l’éloge au maire et par une allusion aux événements auxquels on peut s’attendre, sur le front de Reims, il fait comprendre que les souffrances endurées par suite des bom­bardements fréquents, souvent terribles, ne sont malheureusement pas encore à leur terme.

Le maire répond par un speech dans lequel il espère la vic­toire pour 1918 et l’on boit une flûte du champagne offert par les maisons Lanson et Werlé & C°.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Cardinal Luçon

Lundi 31 – + 2°. Nuit tranquille, sauf canonnade vers 2 h.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

Lundi 31 décembre

Canonnade intermittente en quelques points du front.
Des coups de main ennemis sur nos petits postes au sud de Saint-Quentin, dans la région de Bezonvaux et de Vauquois, sont restés sans succès. Nous avons fait des prisonniers, dont un officier.
Trois avions allemands ont été abattus, dont un par le tir de nos canons spéciaux.
Sur le front britannique, à la suite d’une vive canonnade au nord-est d’Ypres, l’ennemi a dirigé une attaque locale contre les positions de nos alliés de la voie ferrée d’Ypres à Staden.
Il a été entièrement rejeté par nos feux.
Un coup de main allemand a échoué au nord de Passchendaele.
Sur le front italien, on ne signale que des actions d’artillerie, plus vives dans le secteur du mont Tomba.
Des aviateurs anglais ont descendu un ballon captif ennemi à Pieve di Solego.
Des aviateurs ennemis ont renouvelé l’incursion sur Padoue, lançant sur la ville plus de vingt bombes explosives et incendiaires. Trois personnes ont été tuées et trois blessées. De nombreux dégâts ont été causés aux monuments et habitations privées.
Un conflit à surgi à Brest-Litowsk entre les délégués maximalistes et les plénipotentiaires des empires centraux au sujet de l’évacuation de la Pologne, de la Lituanie et de la Courlande par les troupes austro-allemandes.

Source : La Grande Guerre au jour le jour