Louis Guédet

Dimanche 13 août 1916

701ème et 699ème jours de bataille et de bombardement

6h1/2 soir  Pluie battante d’orage le matin, après-midi chaude, lourde et se rafraichissant en ce moment. Le calme. Rien de saillant. Journée fastidieuse comme tous les jours de dimanche. Été messe rue du Couchant à 7h, mis à mon courrier, parti à la Poste et remis mon courrier, que je quitte pour écrire ces quelques lignes. Je suis enfin à jour à 2 lettres près. Je vais tâcher de les écrire ce soir pour n’y plus penser. Reçu de bonnes nouvelles de Robert qui est avec son ami du collège Hanrot (Charles Hanrot 1896-1976) et un autre au 61ème. Jean est parait-il fatigué, pauvre enfant, pourvu qu’il ne tombe pas !! Tout cela n’est pas pour m’égayer dans ma solitude. Sans compter ma femme qui est toujours fort triste.

Vu uniquement 5 minutes l’abbé Camu, vicaire général, curé intérimaire de la Cathédrale et de la rue du Couchant, qui a insisté pour que j’aille voir souvent le cardinal Luçon. Je tâcherai de le faire, mais j’ai tant et tant à faire !! Voilà ma journée. Triste et monotone. Après-demain 15 août qui sera semblable !! J’aime mieux les jours ouvrables qui m’amènent forcément quelques distractions par occupations et visites d’affaires.

8h35 soir  Les Vandales recommencent !! Les Sauvages !! A 8h bombardement vers St Remy, à 8h10 les pompiers de Paris passent devant la maison, se dirigeant vers le quartier St Remy, à 8h30 on me dit que c’est l’Hôtel-Dieu vers la rue Pasteur (rue du Grand Cerf depuis 1924) qui flambe et qu’il n’y a rien à faire. Je monte au grenier sur le toit ! Spectacle inoubliable de destruction, d’horreur. Tout l’ancien Hôtel-Dieu flambe, c’est effrayant. Pourvu que St Remy ne brûle pas !! Mon Dieu ! après la Cathédrale, Saint Remy !! non ce n’est pas possible !! Vous n’écrasez donc pas ces Barbares ! Il n’y a pas de nom pour les qualifier. Du haut du Mont de Berru ou de Brimont, ils doivent exulter devant leur œuvre de destruction !! Pauvre Hôtel-Dieu ! Vieux vestige échappé des destructions de la Révolution, il te faut disparaître toi, et cela par la main des Barbares ! Sauvages. Ils ne seront donc pas châtiés ! Qu’on aille chez eux et qu’on les brûlent, les fusillent, les pendent comme des bandits de droit commun, non ce n’est plus de la Guerre !! Je ne sais ce que c’est ! Comment on appelle cela ??

8h3/4 soir  Jacques, Adèle, Lise descendent du toit et me disent que le fléau parait circonscrit, et que St Remy ne parait pas être atteint !! Ce sont donc des démons !!! Mon Dieu ! êtes-vous le Dieu de justice ! alors écrasez-les ces sauvages ! maudissez-les et que cette race disparaisse !! Vengeance, Vengeance, Justice où vous n’êtes pas le Dieu juste !!

8h55 soir  Pluie torrentielle. Saint Remy est indemne parait-il. Oui, mais cette pluie aurait dû commencer il y a 3/4 d’heures !! Pauvre Hôtel-Dieu, que de souvenirs cette catastrophe remue-t-elle en moi. Le vieux cloître. Les vieilles boiseries de la Bibliothèque des moines, l’ancienne chapelle aux boiseries XVIIIème siècle, les salles du bâtiment central de façade ! Tout cela en cendres en 20 minutes de temps !!!! Vengeance ! Vengeance ! Justice ! Châtiment. Mon Dieu ! ou bien ce serait à douter de tout. Justice, châtiment, il le faut, vous le devez !!

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Cardinal Luçon

Dimanche 13 août – Nuit tranquille. Reçu réponse du Cardinal de Cabrières. Visite au soldat… du Rosaire vivant, du Tiers-Ordre, dont le père est fabricant de biscuits (je crois). Mgr Neveux va dire une messe aux soldats cantonnés à Mailly. 5 h. bombes sifflantes ; très violent bombardement par canons et peut-être par avion. Nos canons répondent maigrement un pour 20. 8 h. soir, cinq aéroplanes allemands survolent la ville. Ils allument plusieurs incendies (annoncés : 4) à l’Hôpital Civil dont le corps principal est détruit. Chapelle (ancienne Bibliothèque). Le cocher Rozière, bon chrétien, qui conduisait le Dr Médecin de l’Hôpital Civil a été tué avec son cheval par un obus. Nous étions, Mgr Neveux et moi, dans le jardin. Temps lourd et chaud ; sombre ; épais nuages. Nous entendons ronfler des aéros au-dessus du jardin, cachés dans les nuages. Ne soupçonnant pas le danger, nous ne bougeons pas. Ce sont eux qui ont lancé les bombes incendiaires ou qui ont donné aux canons allemands le signal et le repèrement. Les deux sont probables : bombes d’avion et bombes de canon. Incendie cour Ste-Claire à Clairmarais (cinq tués route de Paris ; six civils tués ; deux ou trois carbonisés à Clairmarais. La Basilique S. Remi étant menacée, M. le Doyen et M. Maitrehut aidés du sacristain emportent les reliques de saint Remi dans la cave de M. le Doyen (Lettres recueil, p. 61 ).

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

clairmarais


Dimanche 13 août

Au nord de la Somme, une brillante attaque de notre infanterie a parfaitement réussi. Plusieurs tranchées allemandes ont été prises par nos troupes, qui ont établi leurs nouvelles lignes sur la croupe située au sud de Maurepas et le long de la route qui va de ce village à Hem.
Au nord du bois de Hem, une carrière puissamment fortifiée par l’ennemi et deux petits bois sont tombés en notre pouvoir. Nous avons fait 150 prisonniers et pris 10 mitrailleuses.
Sur le front de Verdun, bombardement de la région de Chattancourt et du secteur Thiaumont-Fleury.
Un avion ennemi a été abattu en flammes dans nos nos lignes au sud de Douaumont par un pilote de l’escadrille américaine.
Les Russes ont enfoncé l’armée du général von Bothmer. Sur la rive droite du Sereth, ils ont capturé 104 officiers et 4872 soldats; dans la partie sud de Monasteritza, ils ont pris 2500 hommes, dont un colonel; sur la Zlota-Lipa, leur butin a été de 1000 hommes.
L’armée italienne a progressé largement sur le Carso, à l’est de Monfalcone, sur le plateau de Doberdo et à l’est de Gorizia.
Les Anglais se sont avancés au nord de Bazentin-le-Petit ; ils ont ensuite rejeté toutes les contre-attaques ennemies; ils ont progressé également au nord-ouest de Pozières.

Source : La Grande Guerre au jour le jour