Abbé Rémi Thinot

18 FEVRIER – jeudi –

6 heures matin ; Je vais repartir. Il pleut ; le canon tonne, tonne.

11 heures 1/2 soir ; J’arrive ce matin au 83. Une voiture a versé ; plus loin, du sang dans la boue ; un attirail de troupiers ; un obus vient de tomber là, en pleine colonne du 209 et a tué deux hommes… Je passe par la batterie du capitaine Lasses ; au poste d’observation, je vois descendre des renforts allemands ; des cadavres, caissons démolis, ragions bouleversées ; c’est terrible.

A Maison forestière, je vois quelques blessés, puis pars pour les tranchées. Les hommes sont étonnés de me voir. De la boue, les sacs de terre, des armes, des cadavres ; des corps dans les champs, les mitrailleuses, le grand entonnoir (70 à 80 mètres de diamètre) rempli d’hommes maintenant, creusé il y a 3 jours par l’explosion de 3000 kilos de poudre noire.

Je dis une prière près de 15 cadavres qui sont là. Emotion. Un autre entonnoir à moitié rempli par la terre sortie d’une mine creusée par une perforatrice…

Un commandant a été tué ce matin dans la tranchée…

Ah ! je pense encore à ce bouleversement des tranchées, dans les tronçons de boyaux sens dessus-dessous, des corps entassés, péniblement, dans les plus atroces positions, sur le parapet les fils de fer en forêt chaotique, plus loin le bols fameux qu’on veut enlever, c’est-à-dire une maigre plantation de manches à balai… c’est la désolation. Que restera-t-il de toutes les constructions dans ces villages qui sont sur le front, sur la ligne même du feu ?

Que d’horreurs ! Ce malheureux, qui avait le bas de la figure emportée, plus de mâchoire, de langue, de menton ! Il ne peut rester couché ; son sang l’étouffe et il ne peut l’avaler, n’ayant plus de langue !…

Très gracieux, le médecin-chef m’a offert hier de me racheter une croix d’aumônier, puisque j’avais perdu la mienne.

Extrait des notes de guerre de l'abbé Rémi Thinot. [1874-1915] tapuscrit de 194 pages prêté à Reims

Paul Hess

Bombardement intense dans la matinée et à deux reprises au cours de l’après-midi, causant la mort de neuf personnes.

Parmi les tués identifiés, se trouvent : MM. L. Carton, cantonnier municipal ; J. Gauthier, balayeur au service de la voirie et un enfant d’une douzaine d’années, J. Bouchet.

Nous apprenons en outre, à la mairie, que M. G. Lasseron, 47 ans, conservateur au cimetière du nord, atteint grièvement en se portant courageusement au secours des victimes d’un premier obus, tombé sur le Champ-de-Mars, est mort de ses blessures pendant la nuit.

Il y a également une douzaine de blessés.

Au cimetière du nord particulièrement et dans ses environs, les dégâts sont très importants.

Le Courrier publie aujourd’hui l’avis suivant :

Avis aux débitants de boissons.

Reims le 13 février 1915.

Le Général Commandant d’Armes de la place de Reims, à Monsieur le Commissaire Central de Police.

A la suite d’incidents très regrettables provoqués par l’ivresse, le Général commandant d’armes interdit à partir d’aujourd’hui 16 février, dans toute l’étendue de la ville de Reims, la vente tant aux militaires qu’aux personnes civiles, de toute boisson alcoolique à l’exception du vin, de la bière et du cidre.

Toute contravention à cette interdiction entraînera la fermeture immédiate de l’établissement du contrevenant, pour toute la durée de la guerre.

P. le Général commandant d’armes, P.O. le Major de la garnison,

signé : Colas.

Le débit Pingot (coin de la place des Marchés et de la rue de Tambour) a été fermé par ordre, l’autorité militaire ayant établi, paraît-il que le réserviste coupable, d’avoir tué, dimanche soir, M. Erhart s’était enivré dans ce café, d’où il sortait.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Cardinal Luçon

Jeudi 18 – Nuit tranquille en ville. Visite aux Sœurs de l’Espérance, aux Petites Sœurs de l’Assomption, à Rœderer. Pendant mon absence de 2 h à 5 h, deux obus tombèrent sur la maison. Un premier tomba près de chez nous. Les sœurs qui se trouvaient toutes les quatre réunies dans la salle de bains avec elur machine à coudre – parce que les bombardements avaient rendu inhabitables leurs appartements qui étaient dans l’aile gauche en entrant, faisant face aux obus allemands par les batteries qui étaient disposées de l’Est au Nord, à Nogent-l’Abbesse, Berru, Vitry, Fresne, Brimont – l’entendirent, et descendirent pour aller à la cave. A peine étaient-elles au bas de l’escalier que le 2eme et le 4eme obus de la série tombèrent dans la petite pièce même où elles travaillaient. La mort les a manquées d’une minute.

J’adressais le 5 novembre à l’Agence Havas une Note rectifiant avec modération celle de M. de Bethmann Holweg. Dans la semaine du 22 au 25, ma maison rue du Cardinal de Lorraine, et celle de M. l’Archiprêtre qui avait signé la note, furent bombardées. On crut que c’était pour se venger de ma rectification?. le 24 janvier j’envoyais aux journaux une copie de l’Adresse des Cardinaux Français au Cardinal Mercier qui parut seulement vers le 29 ou 30 janvier ; le 18 février 2 bombes tombent sur ma maison (3).

Je me demandai si ce n’était point en représailles de l’Adresse. A la même heure, une bombe a endommagé un contrefort de la Cathédrale rue Robert de Courcy. Il y a des rapprochements qui donnent à penser. Un enfant de chœur de la Cathédrale est tué.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. Travaux de l’Académie Nationale de Reims

(3) Les lois de la balistique, surtout pour des pièces tirant à la limite de portée, comme c’était le cas, ne peuvent pas permettre un réglage aussi précis. Les objectifs ponctuels ne sont atteints que par hasard ou par la profusion des coups.


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Eugène Chausson

18/2 – jeudi

Temps gris et pluie fine. La canonnade d’hier, direction de Berry-au-Bac ou plus loin se fait encore entendre mais beaucoup moins fort. A 11 h du matin j’entends arriver 2 obus vers la gare (sans éclater) ni l’un ni l’autre. De là, je retourne à la maison. De nombreux obus sont tombés en ville faisant de nombreuses victimes dans toutes les directions. J’en ai vu tomber aux abords de la cathédrale et 4e canton. Le soir, calme relatif, la nuit aussi.

Carnet d'Eugène Chausson durant la guerre de 1914-1918

Voir ce beau carnet sur le site de sa petite-fille Marie-Lise Rochoy


Jeudi 18 février

Tir efficace de l’artillerie belge sur des rassemblements et des abris; au nord d’Arras, nous enlevons deux lignes de tranchées et refoulons de violentes contre-attaques: nous faisons des prisonniers et infligeons à l’ennemi de fortes pertes; de nombreux officiers allemands sont tués. Dix contre-attaques allemandes sont repoussées en Champagne, pendant la nuit. Nous consolidons nos progrès dans le secteur de Reims (Loivre). En Champagne, nous poursuivons nos gains au nord-ouest de Perthes et enlevons les positions ennemies sur un front de 800 mètres. Toutes les contre-attaques sont brisées vers Mesnil-les-Hurlus et Beauséjour : nous faisons 200 prisonniers. En Argonne, nous progressons dans le bois de la Grurie, et de chaudes actions à l’arme blanche infligent à l’ennemi des pertes élevées. Progrès de nos troupes entre Argonne et Meuse et sur le Sudelkopf en Haute-Alsace. Nos avions bombardent la gare de Fribourg-en-Brisgau.
Les aviateurs anglais et français, qui ont participé au raid sur la côte belge ont jeté 240 bombes sur l’aérodrome de Ghistelles et sur les établissements militaires de Zeebrugge et d’Ostende.
Les Austro-allemands livrent aux Russes, devant Czernowitz, un très violent combat, et qui a occasionné déjà d’effroyables pertes de part et d’autre. Un autre combat est engagé à Augustovo, dans le gouvernement de Suwalki, les corps de Hindenburg ayant franchi la frontière russe de ce côté.
On annonce que M. Krivocheine, ministre de l’Agriculture, remplacerait prochainement M. Goremykine à la présidence du conseil de Russie.

Source : La Grande Guerre au jour le jour