Louis Guédet
Vendredi 7 février 1919
1610ème et 1608ème jours
10h De la neige qui tombe, qui tombe à flots ! Ma femme est rentrée hier de Reims, éreintée, ce qui ne m’étonne nullement avec la vie de misère qu’on mène là-bas. Pas de maison à louer ou trop petites, ou convenables, mais à des prix inabordables. Ce qui valait 2 à 3 000 F est fait à 4 500 – 5 000 – 6 000 F… !! Je fais mes malles néanmoins, ne pouvant tarder plus à rentrer dans ces galères !! J’écris à la Préfecture pour leur demander quand ils pourront me prendre ici et transporter mes archives à Reims, à moins qu’ils me donnent un ordre de réquisition m’autorisant à prendre mes malles ou bagages au chemin de fer, bien que le poids maximum accepté, avec voyage est de 65 kg, et chacune de mes malles pèse au moins 90 à 100 kg !!
Je pars là-bas comme si je me jetais à l’eau, pour en finir. Comment vivrais-je ? sans domestique, sans combustible ou à peu près, sans nourriture, que je serais obligé de préparer moi-même !! campé dans cette maison de la rue des Capucins 52 où j’ai tant souffert, où j’ai souffert les affres de la mort. Et en attendant il neige affreusement, il y a déjà au moins 10 centimètres de neige sur le sol !!! Ce sera gai ! ma vie à Reims !! pendant qu’on s’amuse et qu’on fait la fête à Paris et dans les pays qui n’ont pas subi la Guerre !!… Tout cela me rend fou !
4h soir La neige est tombée jusque vers 1h de l’après-midi, puis le soleil s’est mis de la partie et la fait fondre. Quel gâchis ! Peu de lettres heureusement maintenant que je boucle mes malles ! Lettre de Bompas, notre ancien concierge appariteur de la Chambre des notaires qui m’envoie ses condoléances à l’occasion de la mort de mon Père. Il est toujours bien désolé de la mort de sa pauvre femme. Lettre de M. Legrand, juge de Paix de Ville-en-Tardenois, toujours aussi amusant. Il m’en conte de belles au sujet des pillages !! Quand je serai un peu installé à Reims j’irai lui serrer la main. C’est un brave cœur et un brave ! Il a été réellement héroïque durant cette Guerre, et surtout au moment de la ruée de mai 1918 !…
Je fais mes malles ! et comment les faire parvenir ! voilà le hic ! J’espère que la République m’y aidera !
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Cardinal Luçon
Vendredi 7 – Visite de M. Forêt ; de 2 trappistes d’Igny.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
Vendredi 7 février
La Conférence de la paix a entendu les déclarations des délégués du Hedjaz, qui voudraient constituer un vaste royaume arabe, comprenant : l’Arabie, la Syrie, la Mésopotamie, le Kurdistan, et borné au nord par une ligne allant d’Alexandrette à Diarbékir.
La commission de la Société des Nations poursuit rapidement ses travaux.
Les bolchevistes, par un radio qu’a lancé Tchitcherine, acceptent d’aller à Prinkipo et de faire la paix avec l’Entente, mais ils posent comme condition que cette dernière n’interviendra pas dans les affaires intérieures de la Russie.
Le gouvernement a déposé à la Chambre un projet de loi pour réprimer l’accaparement et la spéculation et lutter contre la vie chère.
L’Allemagne a refusé des passeports aux délégués interalliés qui devaient se rendre outre-Rhin pour constater l’état des biens appartenant à des nationaux de l’Entente et qui avaient été séquestrés.
La conférence socialiste internationale de Berne a voté une motion transactionnelle au sujet des responsabilités de la guerre.
Les relations officielles ont été reprises entre la France et la Finlande.
Les troupes gouvernementales allemandes ont réoccupé Brême. A Düsseldorf, la bourgeoisie s’est armée contre les bolchevistes. Il y a 300.000 chômeurs à Berlin.
Source : La Grande Guerre au jour le jour