Louis Guédet
Mardi 9 janvier 1917
850ème et 848ème jours de bataille et de bombardement
6h soir Tempête de neige fondue, sale temps triste et sombre comme tout ce qui nous entoure. Fait quelques courses ce matin. Rendu visite au Cardinal Luçon après-midi. Causé longuement. Ayant affleuré la conversation sur un article de journal disant que le Pape avait demandé au Kaiser de laisser réparer la Cathédrale et de prendre l’engagement de ne pas tirer sur les travailleurs, son Éminence m’a déclaré qu’il était obligé de garder le secret sur cela… mais qu’il y avait du vrai… Il n’y avait pas à insister, mais il m’a dit qu’il avait déjà songé depuis longtemps et que par un intermédiaire il en avait fait parler à Paris, mais que le Gouvernement n’avait pas voulu, parce qu’il ne voulait pas demander quoique ce soit à l’Allemagne qui put donner à celle-ci prétexte de dire qu’on tentait de causer indirectement avec Elle. C’est juste. Demain matin allocations militaires. Service à la Caisse d’Épargne comme administrateur, et après-midi réunion du Conseil de Fabrique à 2h à l’archevêché… la première depuis la Guerre !!
J’ai trouvé le Cardinal moins confiant que naguère, il croirait presque à une paix boiteuse, cela m’a surpris. Comme je lui disais que ce serait regrettable et dangereux, il m’approuvait mais il répliquait qu’en raison de l’épuisement de tous les belligérants, il craignait qu’on ne traitât trop tôt, et comme moi malgré tout il affirmait qu’il fallait que l’Allemagne fût abattue sans rémission, mais il craignait qu’on ne le puit… à moins d’un miracle. C’est ce que je crois qui arrivera bientôt. Il le faut ou alors tout espoir serait perdu et adieu l’Existence de la France. Qui vivra verra ! mais il faut que ce soit bientôt… tout de suite !!…
Vu aussi la Supérieure du Bon Pasteur, qui (comme je lui déclarais que devant partir pour Paris samedi je devais absolument être rentré à Reims pour le 17 janvier,) se mit à sourire et me dit : « Ah ! vous voulez être rentré pour l’anniversaire de Pontmain (apparition de la Vierge le 17 janvier 1871 à Pontmain en Mayenne), et voir si ce qu’on dit arrivera, c’est-à-dire la fin de la Guerre comme en 1871… !… » Je lui ai répondu que je ne croyais pas cela possible, attendu qu’il fallait que nous soyons Victorieux et en Allemagne, et nous ne sommes ni l’un ni l’autre, et ce n’est pas en 8 jours que semblable chose précise arrivera. Rentré chez moi travailler.
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Cardinal Luçon
Mardi 9 – Nuit tranquille, + 2°. Neige. A 3 h. canon français, riposte allemande entre batteries. Visite de M. Guédet, et de M. Thulié. 4 h. bombes sifflantes.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
Mardi 9 janvier
Rencontres de patrouilles dans la région de Bouchavesnes et dans la forêt de Parroy.
Sur la rive droite de la Meuse, lutte d’artillerie assez active au pied des Côtes de Meuse. Nos batteries ont exécuté des tirs de destruction sur les organisations allemandes de la Woëvre et du bois des Chevaliers.
Journée relativement calme sur le reste du front.
En Belgique, sur tout le front de l’Yser, grande activité d’artillerie réciproque, particulièrement à Dixmude et Steenstraete.
La canonnade a beaucoup augmenté d’intensité sur le Carso. Des avions italiens ont opéré dans la région entre Nabresina et Trieste.
Les Russes ont pris 16 canons et 800 prisonniers allemands dans la partie nord de leur front occidental. Leurs avions ont bombardé Kovel. Les Allemands pensent que la reprise d’offensive de Broussilof se produira en Volhynie.
Les communiqués de l’état-major allemand annoncent la prise de Focsani, en Valachie, où 3900 hommes auraient été capturés.
Les ministres français et anglais sont revenus de la conférence de Rome; les ministres anglais ont continué leur route vers Londres.
Le Kaiser annonce la guerre sous-marine sans restriction.
Source : La Grande Guerre au jour le jour