Paul Hess

4 septembre – À 4 heures, exactement, commence une démonstration de notre artillerie. C’est un réveil vraiment effrayant, car tout de suite, l’infernal charivari est devenu formidable, comme le 26 août. Le vacarme dure une demi-heure, pendant laquelle quelques siffle­ments et explosions d’arrivées se font entendre.

— Il y a aujourd’hui un an, les Allemands pouvaient faire leur entrée victorieuse à Reims, dans la griserie du succès de leur avance foudroyante, depuis Charleroi.

Le corps saxon venant prendre possession de la ville chantait en arrivant à 16 h, avec ses canons enguirlandés de feuillage, tan­dis que le gros des armées, contournant notre cité, poursuivait sa marche en direction de Paris.

Nous avions eu, dans la matinée, la surprise terrible d’un bombardement préalable, déclenché subitement vers 9 h 1/4 et qui durait jusqu’à 10 heures, massacrant les premières victimes civiles parmi la population terrorisée.

Triste anniversaire. Le rédacteur du Courrier de la Champa­gne en parle aujourd’hui ; il donne une relation jusqu’ici inconnue, de cette tragique matinée, telle qu’elle résulterait d’une conversa­tion qu’il a eue récemment avec M. Brulé-Luzzani, maire des Mesneux. La voici :

Le bombardement du 4 septembre 1914.

Les batteries lourdes des Mesneux.

Le vendredi 4 septembre, vers huit heures et demie, arrive aux Mesneux, venant de la direction de Pargny, sous les ordres du colonel von Roeder, en formation de combat, une colonne ennemie comprenant deux bataillons du 2F régiment de gre­nadiers de la garde Empereur François-Joseph, quatre batteries de campagne et une compagnie de pionniers, le gros des forces allemandes s’était arrêté à proximité du chemin de Jouy à Sacy.

Prévenu, le maire, M. Brulé-Luzzani se porte immédiate­ment à la rencontre du détachement et assure le commandant de la sécurité qu’il réclame aux Mesneux, pour sa troupe.

Aussitôt, cet officier annonce au dévoué maire, qu’il est venu uniquement pour bombarder Reims, qu’il lui enjoint de faire rentrer chaque habitant chez lui, toute personne trouvée pendant cette opération dans les champs, autour du village, s’exposant à être impitoyablement fusillée ; quant à lui en sa qualité de chef de la municipalité, il doit l’accompagner jus­qu’au petit bois situé aux champs Clairon, entre les Mesneux et Ormes, près de la route de Dormans, petit bois près duquel l’artillerie va prendre position pour exécuter ses feux.

Le maire, soucieux d’éviter une telle calamité, que rien ne peut justifier, répond que la veille il a vu, à l’hôtel de ville, son collègue le Dr Langlet. Celui-ci lui a affirmé de la façon la plus catégorique que Reims, devenue ville ouverte par suite du dé­part des troupes françaises, ne se défendra pas et que, dans ces conditions, il est absolument contraire aux lois de la guerre d’ouvrir le feu sur une cité désarmée.

Peine perdue. Von Roeder réplique à M. Brulé : « Monsieur le maire, j’ai reçu des ordres supérieurs, c’est un bombarde­ment d’intimidation. Je vais tirer quatre-vingts obus.

Navré, le maire est contraint de subir cette poignante émotion de voir bombarder une ville où il compte tant de sym­pathies et tant d’amitiés.

Enfin, vers 10 h 1/4 le brouillard se dissipe, le drapeau parlementaire hissé à la tour septentrionale de Notre-Dame de­vient visible, le colonel consent enfin à arrêter le feu après avoir, à son dire, tiré soixante projectiles. Seul le matériel de 150 était entré en action.

L’ennemi prend ensuite, après avoir consommé un repas, la direction d’Épernay, sans entrer dans Reims.

Bombardement d’intimidation, aurait déclaré à M. Brulé, son interlocuteur. Je n’en ai jamais douté ; j’en étais resté persuadé personnellement, quoi qu’on en ait dit, et malgré les explica­tions (?) données l’année dernière de différentes parts, pour faire admettre que nous avions malheureusement subi un déplorable bombardement « par erreur ».

— Tout ce qui s’est passé au cours de cette longue année de misères ne peut certes s’oublier, mais il n’est pas de souvenir pénible qui se soit gravé plus profondément en moi, que l’expression d’épouvante de notre petit André, dans la cave de mon habitation, rue de la Grue 7, lorsqu’il disait d’une voix chevrotante : « Papa, j’ai peur ! » alors que nous frémissions d’horreur en entendant siffler et exploser les 150 tout autour de nous.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Cardinal Luçon

Samedi 4 – Nuit tranquille jusqu’à 4 h. matin. A4 h. très violente canon­nade française ; riposte de bombes allemandes dont une sur la Chapelle de la rue de Venise (Maison des Frères, Collège Saint-Joseph) ; d’autres dans le Canal. Donné à l’Imprimeur la Lettre prescrivant des Prières pour la France, à la fête de saint Michel.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

Juliette Breyer

Samedi 4 Septembre 1915. Triste anniversaire, l’entrée des boches à Reims. J’ai reçu une lettre de Charlotte où elle me dit que la lettre de la Croix rouge que l’on a reçue n’était pas pour Paul mais pour le jeune homme de Paris qui porte le même nom. Maintenant on dit autour de nous que pour le 10 nous allons avoir quelque chose. Hier encore des soldats étaient occupés à faire une percée dans les tunnels où nous sommes. En cas de grand bombardement ils descendraient tous dans les caves.

Je me reprends à espérer. Toute la journée je prononce ton nom. J’en arrive à appeler ma toute petite ma Charlotte. Serais-tu heureux si je l’appelais comme ça ? Je vois, tous les petits portent le nom de leur papa. Et elle te ressemble tant, surtout de profil. Tu la mangerais en revenant.

Mais je te dirai aussi que nos canons ce matin à quatre heures ont attaqué avec fureur et les boches ont répondu. Gare à notre journée ! Je t’aime.

Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) - Lettres prêtées par sa petite fille Sylviane JONVAL

De sa plus belle écriture, Sylviane Jonval, de Warmeriville a recopié sur un grand cahier les lettres écrites durant la guerre 14-18 par sa grand-mère Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) à son mari parti au front en août 1914 et tué le 23 septembre de la même année à Autrèches (Oise). Une mort qu’elle a mis plusieurs mois à accepter. Elle lui écrira en effet des lettres jusqu’au 6 mai 1917 (avec une interruption d’un an). Poignant.(Alain Moyat)

Il est possible de commander le livre en ligne


 

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