Louis Guédet

Dimanche 15 août 1915 Assomption

337ème et 335ème jours de bataille et de bombardement

9h1/2 matin  Nuit calme, pluie toute la nuit. Je vais déjeuner à Pargny avec le docteur Lardennois. J’aimerais apprendre quelques bonnes nouvelles. Enfin nous verrons.

8h soir  Rentré de Pargny à 6h avec la voiture de réquisition de l’Hôpital Lardenois n°12 qui m’a déposé à la douane (à vérifier) ne pouvant pénétrer en ville avec un civil. Arrivé à Pargny par le beau temps mais avec menace de pluie orageuse. Déjeuné avec la docteur Lardennois, Merot (à vérifier), gestionnaire, Godfrin pharmacien un médecin 2 galons, de Caen (à vérifier). Causé de choses et d’autres. Eux ne connaissent aucune nouvelle, encore moins que moi !! Ils n’ont aucune idée de la fin de la Guerre. Il n’y a plus un soldat dans les villages environnants. Où sont-ils ?…  Vu l’abbé Midoux, Touzet qui revenait de congé voir femme et enfants, mère, beaux-parents, il en paraissait très heureux.

Il a plu en orage toute l’après-midi, heureusement que pour rentrer en ville je n’ai plus eu de pluie. Fais donner procès-verbal contre un type qui s’amusait à jeter à l’eau dans le bassin muré de l’Écluse un pauvre petit roquet attaché à une grosse corde qu’il tenait raide à l’étrangler sous prétexte de l’apprendre à nager (en vertu de la loi de Grammont)  (Loi pénale du 2 juillet 1850 votée à l’instigation du député le général de Grammont selon laquelle : « Seront punis d’une amende de cinq à quinze francs, et pourront l’être d’un à cinq jours de prison, ceux qui auront exercé publiquement et abusivement des mauvais traitements envers les animaux domestiques ») et de lui tirer ses puces, la pauvre petite bête faisait des efforts surhumains pour s’agripper à la muraille et à se tirer de là. Quand il le voyait fatigué il le retirait à bout de corde pendu et le jetait pantelant sur la berge, puis quand il voyait qu’il avait repris son souffle, il le rejetait à l’eau et il recommençait. Cela pendant au moins 20/25 minutes à 5/6 reprises différentes. S’il vient en simple police devant moi il n’y coupera pas. Voilà ma journée.

Trouvé en rentrant plainte d’une actrice qui prétend que je la laisse mourir de faim et je n’ai pas un maravédis à elle ! Et dire qu’il faut répondre à cela !! Non, j’aurai à faire partout !!… De même une femme qui me demande duplicata sur une levée de scellés que je n’ai pas faite !! C’est du joli !! Je verrai le Procureur demain pour qu’il me débarrasse de ces femelles-là !

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Cardinal Luçon

Ave Maria ! Nuit tranquille ; journée tranquille, sauf quel­ques coups de canons vers le soir. Vêpres à Sainte-Geneviève. Pluie d’orage.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

 

Sainte-Geneviève


Juliette Breyer

Dimanche 15 Août 1915. C’est aujourd’hui la fête de ta maman. Le temps n’était pas sur et je n’y suis pas allée mais j’ai envoyé une carte pour les deux tout petits. Elle aura été contente. Mais mon Charles, aujourd’hui je suis au désespoir complet. Il est arrivé une lettre de la Croix rouge à l’adresse de Charlotte. Je l’ai décachetée et sais-tu ce qu’ils disent ? Ils préviennent Charlotte qu’ils sont en possession de la médaille ayant appartenu à Paul, mais le matricule n’est pas le même. On l’a envoyée d’Allemagne en automne après les combats des Vosges et ils disent qu’il faut penser qu’il est mort, et pour ravoir ses effets, qu’il faut écrire au Ministère de la guerre. Je fais les démarches nécessaires et si malheureusement c’est vrai j’en ferai part à Charlotte après.

Mon pauvre Lou, je me demande encore comment je peux tenir. Je crois que cette fois je ne pourrai pas surmonter ; j’essaie de réagir et je ne peux pas. Je te vois dans les mêmes conditions. Je voudrais toujours dormir. Je ne peux pas pleurer. Je me reporte deux ans en arrière. Quelle différence ! On me dit d’espérer toujours mais je vois tout en noir. Si je n’avais pas les petits j’irais te retrouver bien vite. André me dit toujours: « Tu t’ennuies maman après mon tit papa Charles ; pleure pas ; je tuerai les boches et j’irai le chercher ».

Je meurs de désespoir.

Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) - Lettres prêtées par sa petite fille Sylviane JONVAL

De sa plus belle écriture, Sylviane Jonval, de Warmeriville a recopié sur un grand cahier les lettres écrites durant la guerre 14-18 par sa grand-mère Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) à son mari parti au front en août 1914 et tué le 23 septembre de la même année à Autrèches (Oise). Une mort qu’elle a mis plusieurs mois à accepter. Elle lui écrira en effet des lettres jusqu’au 6 mai 1917 (avec une interruption d’un an). Poignant.(Alain Moyat)

Il est possible de commander le livre en ligne


 

Dimanche 15 août

Canonnade en Belgique, devant Lombaertzyde, Saint-Georges, Boesinghe et Woesten.
Lutte de grenades et de pétards en Artois, à Carleul et à Souchez. A l’est de la route de Lille, nous avons détruit à la mine des travaux avancés de l’ennemi et fait sauter un dépôt de Munitions.
Au nord de Lassigny, nous avons bombardé des positions allemandes à la Tour-Roland.
Une attaque ennemie a été repoussée, en Argonne, dans le secteur de Marie-Thérèse : les Allemands ont subi des pertes sensibles. Canonnade à la Houyette, au bois de Mortmare, à la Tête-à-Vache, et dans les Vosges, à la Chapelotte et à la Fontenelle.
Les Anglais ont débarqué à la baie de Suvla,dans la presqu’île de Gallipoli. Ils ont progressé à Gaba-Tépé, où ils ont pris neuf mitrailleuses et 650 soldats. Plus au sud nous avons quelque peu avancé.
En Courlande, les Russes ont rejeté les Allemands au delà de l’Aaa. Ils ont enregistré également des succès près de Dwinsk et de Vilkomir. Dans le secteur de Kovno, Hindenburg a suspendu ses attaque. Sur la Vistule moyenne, le repliement russe s’est poursuivi conformément au programme fixé.
Des attaques autrichiennes ont été arrêtées par les Italiens, en Cadore, sur le Haut-Cordevole et sur l’Isonzo, dans la région du Monte Nero et dans celle de Plava. Nos alliés ont encore obtenu un succès dans le Carso.
Les Autrichiens, reprenant l’offensive contre la Serbie, ont bombardé depuis Orsova la rive serbe du Danube
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