11 mars 1915
Bien chère Hortense,
comme je te l’annonçais sur mes cartes d’hier, je pensais recevoir aujourd’hui de tes nouvelles, mais malheureusement, je n’ai rien reçu, mais je serai plus favorisé demain je l’espère.
Chère chérie, en ce moment, je suis bien tranquille au coin du poêle chez des braves gens qui nous logent et qui jouent de bonté jusqu’à nous mettre une brique dans notre lit.
Tu vois que nous sommes à nouveau trop heureux pour que cela dure.
Enfin, tant pis, ce sera toujours tant de pris sur les mauvais jours. Nous allons manger dans quelques instants le reblochon que m’a envoyé l’oncle Honoré.
Voilà à peu près tout ce que j’avais à te dire ma petite chérie.
J’attends de tes nouvelles avec impatience et t’embrasse ainsi que Mimi Riri de toutes mes forces comme je vous aime.
Louis
Bons baisers pour ma nièce et pour tes parents.
Comme on peut encore le constater, une carte qui se veut rassurante, dans laquelle on échange finalement que des banalités… en dehors d’un « trop heureux pour que cela dure », non dénué de sens !
A la lecture du texte, il semble que Louis ne soit pas soldat, mais plutôt resté seul à Reims, sa famille mise à l’abri quelque part.
Il est, comme il le note, « hébergé chez des braves gens » qui poussent la gentillesse jusqu’à réchauffer les draps du lit avant d’aller coucher.
Il faut dire qu’il ne doit pas faire chaud, si on regarde dans l’Almanach Matot-Braine de l’époque, il est écrit que 3 jours avant, la neige tombait en flocons serrés… c’est vraiment l’hiver.
Si l’on consulte les événements rémois des jours précédents, il semble que la tranquillité que décrit Louis ne soit évoquée que pour rassurer la famille…
En effet, le Matot-Braine note chaque jour des canonnades ou des bombardements presque sans répits, des blessés et des morts. La dernière nuit vraiment calme remonte au 23 février 1915. Pas de quoi vivre en toute quiétude !
Petit clin d’œil au recto de la carte. En dehors du fait que le visuel nous montre les destructions de la cathédrale de Reims, Louis a ajouté une petite phrase assez amusante, qui sera certainement appréciée par nos amis cartophiles :
« Je t’envoie ces deux vues que j’avais depuis longtemps, elles seront rares après la guerre. »
Il est vrai que ne sommes qu’en mars 1915, moins d’un an s’est écoulé depuis le début du conflit, il est encore loin d’imaginer que tout çà durera plus de 4 années ! Et des cartes… il y en aura d’édité, par millions !
Au final, en-dehors de quelques unes, ces cartes postales montrant les ravages de la guerre dans notre ville ne sont pas devenues si rares que semblait le penser Louis.