Abbé Rémi Thinot
6 NOVEMBRE – vendredi
Décidément, le bombardement de cette nuit a été sérieux.
Je vais faire un tour à la cathédrale Pas de dégâts, mais…l’herbe pousse dans la grande nef. Il y a des touffes de 15 à 20 centimètres déjà entre les dalles. Désolation ! Et quand va-t-on pouvoir se mettre à couvrir?
7 heures soir ; Je suis allé à Pommery photographier la tombe arrangée par Corpart, des victimes du fameux obus.
Je croise, en descendant, des groupes d’enfants qui jouent à la guerre ; ils sont tapis derrière des fascines de feuillages ; « Foncez, à la baïonnette, avec des pierres (sic). » En fait de baïonnettes, des épées de bois. Le sergent a ses galons ; il parle rude aux hommes et scande ses recommandations de « M’avez bien compris? hein? alors, rompez ! »
N’y en avait-il pas l’autre jour, faubourg de Paris, qui avaient une section de la Croix Rouge, drapeaux, brassards de la Convention de Genève, un blessé sur des brancards… Pauvres petits… ils jouent à la guerre, cette chose atroce…
M. le Curé a rédigé une note sur la question des Drapeaux sur la cathédrale. Il me l’a lue et je lui ai indiqué quelques corrections. Voici cette note mise au point ;
« Le 4 Septembre, pendant le premier bombardement, on hissa à la tour Nord un drapeau blanc envoyé de l’Hôtel de « Ville. Il y resta jusqu’après le départ des allemands (12 « Septembre)
« Le samedi 12, les allemands, en même temps que « la paille dans la nef, mirent un grand drapeau de Croix Rouge sans enlever le drapeau blanc. »
« Le dimanche 13, jour de l’entrée des troupes françaises, ces deux drapeaux ont été enlevés et remplacés par le drapeau tricolore, avant midi. »
« Le jeudi 17, alors que les blessés allemands amenés en hâte la veille et surtout ce matin-là, étaient à peine installés, et que le bombardement commençait, vers 9 heures, un premier drapeau de la Croix Rouge, de taille moyenne, fut attaché au paratonnerre de la tour Nord, puis, un peu plus tard, un deuxième, très grand, que nous avions fabriqué sur place avec une aube et des soutanes d’enfants de chœur.
« Le vendredi matin, un troisième semblable au premier. Ces deux-là, un mois après la catastrophe, sont encore en place. »
Extrait des notes de guerre de l'abbé Rémi Thinot. [1874-1915] tapuscrit de 194 pages prêté à ReimsAvant en 2017 pour numérisation et diffusion par Gilles Carré.
Louis Guédet
Vendredi 6 novembre 1914
55ème et 53ème jours de bataille et de bombardement
8h1/2 matin Nuit fort agitée, mal dormi, à 7h1/2, au moment où je pensais me reposer un peu encore un obus qui n’a pas dû tomber loin. Ceux d’hier soir seraient tombés à la Maison Jehanne d’Arc, au 49 de notre rue, au Casino, chez M. Ravaud pharmacien. Nous étions donc dans la vraie tranchée. Je n’ai plus de courage. Sortirai-je enfin sain et sauf de cet enfer ? Dieu continuera-t-il à me protéger et l’ennemi ne partira-t-il pas bientôt ?
6h3/4 soir Journée grise, terne, du brouillard. Calme sur toute la ligne, mais que va être la nuit ? Est-ce qu’elle va être comme celle d’hier une nuit de tortures, d’angoisses, de désespérance ?
7h3/4 soir A 11h du matin deux obus sont allés tomber sur les abattoirs, on aurait cru qu’ils étaient tombés place d’Erlon. Une question d’acoustique assez bizarre. Un fourrier du 86ème de ligne de Quimper est venu me demander des certificats de vie. Je lui en ai donné 2 et promis pour ses camarades ce dont il aurait besoin.
Ce soir vers 5h reçu la visite de M. Boucher (décédé à Reims avant le 25 janvier 1915, lettre de Lucien Pinet), charcutier rue de Vesle 61, accompagné d’un inspecteur de la Sûreté de Paris, M. Simonin. Ce dernier venait me demander divers renseignements sur M. Jacques Amsler, dont la fabrique est rue de Taissy 8, au point de vue de ses sentiments français ou anti-français. Il est soupçonné d’espionnage. J’ai dit ce que je savais sur son compte et sur sa famille d’origine alsacienne. Son père avait opté pour la nationalité française en 1872/73. J’estime que c’est une vengeance et une accusation calomnieuse, l’avenir nous dira le reste !
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Paul Hess
Nuit passée dans le calme absolu.
Brouillard intense toute la journée ; dans la nuit noire où se trouve déjà plongée la ville, sans aucune lumière, il rend la circulation si difficile, qu’à 18 h, ayant eu à passe rue du Cloître, à la sortie du bureau, j’ai les plus grandes difficultés à regagner le quartier du Jard. Après m’être engagé dans la rue Robert-de-Coucy, il me faut avancer comme un aveugle, dans l’impossibilité où je suis, étant sur le trottoir, de voir où il finit, de trouver même cette indication en cherchant l’espace libre entre les maisons, pouvant annoncer une rue à traverser. Il faut aller sans aucun point de repère.
Les quelques autos qui roulent en ville pour différents services, devant circuler sans phares allumés, je me demande, chemin faisant, comment peuvent s’y prendre les chauffeurs aujourd’hui et je pense au danger que cela doit constituer, outre les obus, pour les piétons obligés d’être dehors. Il est vrai que je n’entends personne passer auprès de moi, dans le trajet.
– Aujour’hui, Le Courrier publie l’avis suivant :
Ville de Reims – Avis important.
A partir du 6 novembre, la circulation de la population civile est interdite sur les ponts du cana, de 19 h à 6 h, sauf pour les personnes munies d’une autorisation spéciale délivrée par le général commandant la division, par le général commandant d’armes ou par le marie de Reims.
– Au-dessus de cet avis, on peut lire encore ceci, dans le journal :
Aux propagateurs de fausses nouvelles.
Communiqué
Certaines personnes colportent sans discernement des bruits mal fondés, qui provoquent dans la population de la ville des alarmes injustifiées ; nous les prévenant charitablement qu’elles s’exposent de ce fait à de graves désagréments. Nous engageons en même temps les habitants à n’ajouter aucune foi aux nouvelles qui ne sont cautionnées par aucune autorité.
C’est ainsi qu’on a parlé ces jours-ci de sommations lancées par les Taubes, sans qu’aucune enquête civile ou militaire ait pu en établir la moindre trace. Nous rappelons d’ailleurs à ce propos que toute personne qui, éventuellement posséderait un renseignement de ce genre, doit le communiquer aussitôt à la police ou à l’autorité militaire.
Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos
Cardinal Luçon
Bombardement d’un convoi près du cirque. Journée tranquille. Ecrit à M. Hertzog (je crois que ce doit être ce jour-là).
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. Travaux de l’Académie Nationale de Reims
Paul Dupuy
Cependant, aucun bruit suspect ne s’est plus fait entendre au cours de la nuit, et la première alerte s’annonce à 8H seulement par un gros obus envoyé sur la gare et qui tombe sur le derrière, vers la rue de Trianon.
Au cours de la séance d’hier soir, des projectiles ont été reçus : rue de Vesle, rue Buirette, par le Casino, la maison Delsuc, le 6 de la rue des Chapelains, la pharmacie Ravaud, la chemiserie Viret, la Glaneuse, etc. ; nous étions donc bien dans la zone dangereuse et c’est ce qui explique la violence des détonations.
Merci à la Providence de nous avoir préservés !
À 11 heures, en allant chercher du charbon chez Rohart, au chantier de l’avenue Brébant, Hénin est éclaboussé et tout mouillé par la chute d’un obus dans le canal, à 10m de lui ; il accourt en hâte tout émotionné et tout heureux d’en avoir été quitte à si bon compte.
En fin de cette journée, qui a été calme pour le Centre, M. Marolteaux vient, en mon absence, signaler que des pillards se sont introduits dans les caves du 22 de la rue Eugène Desteuque, et qu’il y aurait lieu de faire comme lui et de sauver de suite ce qui y reste.
De lui-même, Hénin part immédiatement se rendre compte des facilités d’accès, et sans la sauvegarde d’un agent de sa connaissance opère une descente qui lui prouve vite que les maraudeurs ont bien passé par là.
Dès mon retour, il me narre par le détail le résultat de sa démarche, et ensemble, nous convenons d’enlever le lendemain à la première heure ce que nous trouverons encore.
Paul Dupuy - Document familial issu de la famille Dupuis-Pérardel-Lescaillon. Marie-Thérèse Pérardel, femme d'André Pérardel, est la fille de Paul Dupuis. Ce témoignage concerne la période du 1er septembre au 21 novembre 1914.
Source : site de la Ville de Reims, archives municipales et communautaires
Vendredi 6 novembre
Les forces alliées sont maintenant sur la rive droite de l’Yser, où elles progressent peu à peu. Nous avançons également dans le Santerre, près de Roye, et partout ailleurs l’offensive ennemie a été brisée.
Le Président de la République, qui vient de parcourir le front, a adressé au ministre de la Guerre une lettre éloquente où il rend un hommage mérité à nos soldats.
La France et l’Angleterre ont déclaré officiellement la guerre à la Turquie. L’armée russe a pris la ville de Bayazid dans l’Arménie turque, et les croiseurs anglais ont bombardé Jaffa, en Syrie, tandis que le gouvernement de Londres proclamait l’annexion de l’île de Chypre occupée par lui depuis 1878. Sir Edward Grey déclare aussi que le Royaume-Uni respectera les lieux-saints de l’Islam.
Un combat naval où un croiseur britannique a été coulé a eu lieu au large du Chili. Par contre, un croiseur allemand l’Yorck a coulé sur une mine à Wilhelmshaven, dans golfe de Jahde.
Le président du Conseil espagnol, M.Dato a insisté aux Cortès sur sa volonté de garder la stricte neutralité.
Source : La Grande Guerre au jour le jour