Madeleine Guédet
Mardi 25 août 1914
Depuis que j’ai écrit bien des événements se sont passés, et d’abord pour Mulhouse, les Français ont dû la quitter, mais ces jours derniers l’ont reprise et sont bien établis en Haute-Alsace. Mais les Allemands ont progressé et jusqu’ici n’ont pu prendre Liège, mais ont avancé en grand nombre, les Belges se sont retirés dans Anvers. Les Allemands ont donc pénétrés à Bruxelles.
La semaine dernière nous avions occupé les cols principaux de Lorraine, mais ces jours derniers nous avons dû reculer et les Allemands sont entrés à Lunéville, ce matin on nous dit qu’ils sont à Nancy mais cela demande confirmation.
En tous cas il est certain qu’en ce moment et peut-être depuis deux ou trois jours la grande bataille est engagée de Mons au Luxembourg environ.
Que Dieu nous aide.
Nous sommes soutenus par une partie de l’armée Anglaise qui combat avec nous. Les Russes ont maintenant attaqué sérieusement les Autrichiens, qui sont, il semble, fortement battus par les Serbes. Les Russes ont aussi franchi la frontière allemande et occupent quelques villes entre la frontière et Kœnigsberg.
L’heure est bien grave ! Comme autre malheur le Pape Pie X est mort jeudi dernier, c’était un saint.
Nous restons à Saint-Martin, tout au moins jusqu’à nouvel ordre. Louis vient nous voir chaque samedi et retourne le mardi matin ; mais il y a encore bien peu de travail, puis, n’ayant plus de cheval il faut faire le trajet de Vitry-la-Ville à pied.
Ce matin Robert est parti avec Louis pour quelques jours à Reims ; il parait que la session du baccalauréat aura lieu en octobre comme d’habitude, il est grand temps pour lui de travailler. Son professeur M. Crespin, qui devait le faire travailler par correspondance étant obligé de partir à l’armée, Louis s’est occupé de trouver quelqu’un. Il a trouvé M. l’abbé Charles, ancien supérieur du Collège, et Robert va voir avec lui à s’arranger.
Louis a profité de ses deux derniers voyages pour aller à Vitry-le-François porter de la correspondance à M. Fernand Laval de qui on n’avait aucune nouvelle. Il va bien, et est à la tête d’une péniche prête à partir.
La semaine dernière, Jean et Robert sont allés à Châlons déjeuner avec Marcel, il y est en ce moment avec un train sanitaire qu’il commande et s’attend à être appelé dans une direction quelconque prochainement. Les enfants ont été très intéressés de tout ce qu’ils ont vu à Châlons.
Journal de Madeleine Guédet épouse de Louis Guédet, retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Louis Guédet
Mardi 25 août 1914
10h soir Je suis rentré de St Martin avec Robert à 5h soir. Partis à 9h de St Martin, pris le train à Vitry-la-Ville 10h, arrivés à Châlons 10h3/4 rencontrés des trains de blessés venant du Nord. Attendu dans Châlons de 11h à 1h. Déambulés dans les rues et acheté journaux nous annonçant retraite sur nos lignes de défense, défection des bataillons du midi, qu’on aurait dû fusiller séance tenante sans jugement (il parait cependant qu’on a fait des exemples) Partis de Châlons à 1h1/2 pour Reims, après avoir fait voir à Robert certains coins pittoresques de cette vielle ville que j’aime et si poétique dans sa mélancolie de vieille cité de Champagne Pouilleuse. Passé devant l’École des Arts, dont a fait partie mon Grand-Père qui lui a fait le coup de feu dans les rues de Châlons comme Artiste en 1814 contre les Russes.
Arrivés à Reims à 5h après avoir attendu 1h au pont Huet le droit d’arriver à la gare. A Saint-Hilaire-au-Temple invasion de transfuges de Sedan, d’Étain, geignards mais peu intéressants. Ce sont ces gens-là qui démoralisent et font courir de faux bruits.
Reims a un aspect moins ferme qu’à mon départ, nervosité et… affolement, pourquoi ? « Mais hier soir, Monsieur ! Un Zeppelin ! a survolé Reims pour la bombarder ! » Conclusion on avait tiré avec nos mitrailleuses sur un dirigeable français malgré les signaux de reconnaissance : tués, blessés et… peut-être destruction du dirigeable !! Mais mutisme sur toute la ligne !
On perd la tête quoi. Autre histoire, vraie, celle-ci : Le 132ème serait décimé, on le reforme à Troyes d’où il est refoulé ! 1000 hommes.
A la gare je me cogne dans le Beau-Père et cri du cœur… non du ventre ! Sans dire bonjour : « Ah Marrthe a les Boileau ?? (qu’é qu’c’est q’çà ?) à dîner et elle vous invite à dîner avec eux !! Je l’envoie bouillir !!
Comment, son mari, à cette petite pimbèche amorale, est parti avec son train sanitaire sur le front où, mon Dieu il peut attraper un accroc. C’est peu probable, mais cela peut arriver. Et la turlurette invite à dîner des amis et connaissances !! Il faut se distraire… repriser un peu la vie triste et si peu agréable par ces temps !! C’est honteux… penser à dîner, à inviter des étrangers quand on meurt et souffre à la Bataille !! Dieu y a-t-il une justice qui cingle les pécores de cette espèce !!
Le Beau-Père n’est pas encore revenu de mon refus !! Comment refuser sa proposition ?! refuser une si belle occasion de se remplir le ventre !! et… de rire un peu !! on a si peu de distractions !! C’est si triste la Guerre !!…
Ilote ! Va ! vieux cochon Porc !! et Lâche !!! comme son fils du reste… J’en reparlerai demain !! (Ilote : esclave, sens péjoratif)
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Paul Hess
25 aout 1914 – Ce jour, le communiqué annonce l’échec de notre offensive en Belgique.
A la caserne Colbert, l’après-midi, on prépare le départ d’un détachement du 132e pour combler les vides sans doute.
Source Paul Hess - La Vie à Reims pendant la guerre 1914-1918 - Notes et impressions d'un bombardé
Les Allemands ont repris l’offensive dans le Nord contre nos troupes. Ils ont été vigoureusement contenus.
Les forces franco-anglaises, qui reçoivent sans cesse des renforts, sont en bonne posture avec Givet comme centre. A l’Est de la Meuse, nous tenons tous les débouchés de l’Ardenne, et nous avons repris l’offensive vers Virton, où le 6e corps s’est distingué.
Le généralissime a arrêté la poursuite pour reformer la ligne de front.
En Lorraine, deux armées françaises ont pris l’offensive, partant l’une du Grand-Couronné, l’autre des environs de Lunéville. Le canon s’éloigne de Nancy. Le 15e corps a fait une contre-attaque brillante sur la Vezouze. Le moral est excellent là comme partout.
La Haute-Alsace a été évacuée par ordre du généralissime qui voulait concentrer ses forces sur la Meuse.
Des postes de uhlans ont fait leur apparition dans notre département du Nord, mais leur écrasement est certain.
Un Zeppelin a jeté des bombes sur Anvers et tué huit personnes. Namur tient toujours et les Belges ont repris Malines.
Les Russes sont entrés à Osterode, à 240 kilomètres de leur frontière Occidentale, en Prusse, et entourent Königsberg.
Un oncle de Guillaume II a été tué dans la bataille de Charleroi.
Source : La Grande Guerre au jour le jour