Louis Guédet
Lundi 3 août 1914
1h soir Je remonte un peu les événements. Le premier août, journée affolante avec les gens qui vous assaillent, la fièvre et la folie dans les rues. A 3h je pars dans un train de rappelés pour Châlons. Tous sont calmes, gais, on sent qu’ils s’en vont sur le front ayant fait le sacrifice de leur vie, que nous sommes loin des braillards et avinés de 1870 !! C’est réellement réconfortant !!
J’arrive difficilement à St Martin à 8h du soir, le cheval de mon Père ayant été réquisitionné dans la nuit précédente. Tout mon petit monde calme mais un peu inquiet et ne comprenant pas tout cela, ils ne savent pas ce que c’est. Après causé, comme il faut que je rentre à Reims le dimanche 2 août avant 6h si je veux rentrer à Reims. Nous décidons avec ma pauvre femme fort courageuse, qu’elle restera avec les petits et grands chez mon Père dans la crainte de la disette à Reims. Je repars à midi et 1/2 par le premier train qui s’arrête à Vitry-la-Ville.
Je suis sans nouvelles des miens. Je reçois seulement une lettre de Madeleine du 31 juillet !! Je n’en suis pas surpris. Matinée de ce matin agitée, mais le calme revient. Dans mon Étude nécessairement il n’y a plus d’hommes, je crois que nous fermerons complètement ces jours-ci, je resterai seulement à mon poste, rien de plus. Touzet (principal clerc), Louis Leclerc, Lorillot sont partis sur le front. Ernest Leclerc est venu me serrer la main, très crâne, très froid en même temps, il m’a promis de me rapporter un casque de prussien. Dieu l’entende !!
Mon expéditionnaire M. Millet m’apprend qu’on vient de surprendre deux individus qui cherchaient à déboulonner des rails sur le pont du chemin de fer d’Épernay, on en a tué un et arrêté le second. C’est un enfant qui s’en est aperçu et a prévenu la troupe. J’espère que ce second là ne fera pas long feu.
Des blessés des escarmouches vers Longwy nous arrivent, mais, malgré toutes les rumeurs, rien de sérieux. Il faut s’y attendre.
4h3/4 soir On ne peut sortir dans les rues sans que l’on rentre avec la fièvre et le cœur serré. Je quitte Béliard, mon jeune confrère à la Savonnerie veuve Boutinot 57/59 rue Ernest Renan où sa Compagnie : la 11ème du 46ème territorial où il est sergent, est cantonnée en attendant qu’il parte cette nuit vers 1h du matin pour Verdun. Il fait ce qu’il peut pour être ferme, mais en nous quittant nous n’avons pu que nous embrasser les larmes aux yeux. Il laisse une toute jeune femme avec deux enfants dont un de quelques mois à peine !! En revenant, au coin de la rue du Mont d’Arène et de la rue de Courcelles 34, je vois s’arrêter une auto d’où descendent le Commissaire de police des 2ème/ 4ème cantons avec le secrétaire du Bureau de Police central et des agents qui, une pince-monseigneur à la main, se mettent à faire sauter un écriteau « Bouillon Kub » sur un volet et en brisent l’émail sur place aux cris de « Vive la France ». Comme je demandais pourquoi au commissaire de police, celui-ci me dit en me serrant la main « Je ne puis vous rien dire mais vous devez deviner ». Quelques pas plus loin j’apprends qu’il y aurait eu une émeute à Paris suscitée par la déclaration de Guerre et par le bruit que l’on aurait fait courir que Maggi et Kub auraient empoisonné leurs bouillons (en plaquettes) pour empoisonner les gens et les soldats ?? De là fureur du peuple et mise à sac de toutes les maisons et succursales de Paris détenant ou vendant ces produits !! On a voulu éviter pareil fait ici.
Tout cela n’est pas beau et donne à réfléchir sur ce que nos soldats laissent derrière eux : La Révolution avec la Guerre sur la Frontière !!
Document joint : courrier adressé à :
Béliard, sergent au 46ème Territorial, 11ème Compagnie, Verdun, Meuse
Lundi 3 août 1914 3h1/2
Pour avoir ma couverture complète avec les clients, j’ai fait virer par les Galeries Rémoises de mon compte personnel 40 000 Fr, ce qui a été fait ce matin, 30 000 Fr valeurs (à vérifier)et 10 000 Fr espèces chez Chapuis. J’ai réclamé ce virement de 40 000 Fr en autant de fois qu’ils voudraient (Chapuis) à la Banque de France : on me refusa et on offrit seulement 2/3000 Fr à mon caissier Heckel. Jactat caissier de Chapuis dit à Heckel que votre patron vienne s’entendre avec le nôtre. Je viens de voir M. Chapuis Père qui m’a refusé net d’une façon cassante, selon son habitude.
Je suis trop petit client pour lui sans doute ! Il aurait pu très bien me proposer de me remettre 10 000 Fr et je n’aurais pu lui réclamer plus.
Je m’en souviendrai !
Signé L. Guédet
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils